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FUREURS D'ORESTE."

Je ne veux rien, cruel, d'Électre ni de toi :
Votre cœur, affamé de sang et de victimes,

M'a fait souiller ma main du plus affreux des crimes.
Mais quoi! quelle vapeur vient obscurcir les airs ?
Grâce au Ciel, on m'entr'ouvre un chemin aux enfers.
Descendons; les enfers n'ont rien qui m'épouvante.
Suivons le noir sentier que le sort me présente ;
Cachons-nous dans l'horreur de l'éternelle nuit.
Quelle triste clarté dans ce moment me luit?
Qui ramène le jour dans ces retraites sombres ?
Que vois-je ? mon aspect épouvante les ombres ?
Que de gémissements! que de cris douloureux!
Oreste!" Qui m'appelle en ce séjour affreux ?
Égisthe! Ah! c'en est trop, if faut qu'à ma colère....
Que vois-je? dans ses mains la tête de ma mère !
Quels regards! où fuirai-je ? Ah! monstre furieux,
Quel spectacle oses-tu présenter à mes yeux ?
Je ne souffre que trop, monstre cruel! arrête :
A mes yeux effrayés dérobe cette tête.

b

Ah! ma mère, épargnez votre malheureux fils!
Ombre d'Agamemnon, sois sensible à mes cris;
J'implore ton secours, chère ombre de mon père !
Viens défendre ton fils des fureurs de sa mère ;
Prends pitié de l'état où tu me vois réduit!
Quoi! jusque dans tes bras le barbare me suit!
C'en est fait, © je succombe à cet affreux supplice.
Du crime de ma main mon cœur n'est point complice ;
J'éprouve cependant des tourments infinis.

Dieux! les plus criminels seroient-ils plus punis ?
CRÉBILLON. Electre.

MÊME JUJET.

GRACE aux Dieux, mon malheur passe mon espérance!
Oui, je te loue, ô Ciel, de ta persévérance!
Appliqué sans relâche au soin de me punir,
Au comble des douleurs tu m'as fais parvenir;
Ta haine a pris plaisir à former ma misère ;
J'étois né pour servir d'exemple à ta colère,
Pour être du malheur un modèle accompli :
Hé bien, je meurs content, et mon sort est rempli.
Où sont ces deux amants? pour couronner ma joie,
Dans leur sang, dans le mien, il faut que je me noie;
L'un et l'autre, en mourant, je les veux regarder.
Réunissons trois cœurs qui n'ont pu
s'accorder.
Mais quelle épaisse nuit tout à coup m'environne!
De quel côté sortir? D'où vient que je frissonne ? a
Quelle horreur me saisit! grâce au Ciel, j'entrevoi.....
Dieux, quels ruisseaux de sang coulent autour de moi!
(Prenant Pylade pour Pyrrhus),

Quoi, Pyrrhus, je te rencontre encore !
Trouverai-je partout un rival que j'abhorre?
Percé de tant de coups, comment t'est-tu sauvé ?
Tiens, tiens, voilà le coup que je t'ai réservé.

Mais que vois-je! à mes yeux Hermione l'embrasse; Elle vient l'arracher au coup qui le menace! Dieux! quels affreux regards elle jette sur moi ! Quels démons, quels serpents traîne-t-elle après soi? Hé bien, filles d'enfer, vos mains sout-elles prêtes ? Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? A qui destinez-vous l'appareil qui vous suit? Venez-vous m'enlever dans l'éternelle nuit ? Venez; à vos fureurs Oreste s'abandonne ! Mais non retirez-vous, laissez faire Hermione ; © L'ingrate mieux que vous saura me déchirer; Et je lui porte enfin mon cœur à dévorer.

x 2

RACINE. Andromaque.

. LE CAFÉ.

IL est une liqueur, au poëte plus chère,
Qui manquoit à Virgile, et qu'adoroit Voltaire.
C'est toi, divin café, dont l'aimable liqueur,
Sans altérer a la tête, épanouit le cœur.

Aussi, quand mon palais est émoussé par l'âge,
Avec plaisir encor je goûte ton breuvage.
Que j'aime à préparer ton nectar précieux !
Nul n'usurpe chez moi ce soin délicieux.

Sur le réchaud brûlant moi seul tournant ta graine,
A l'or de ta couleur fais succéder l'ébène ;

Moi seul contre la noix, qu'arment ses dents de fer,
Je fais, en le broyant, crier ton fruit amer;
Charmé de ton parfum, c'est moi seul dans l'onde
Infuse à mon foyer ta poussière féconde;
Qui, tour à tour calmant, excitant tes bouillons,
Suis d'un œil attentif tes légers tourbillons.
Enfin de ta liqueur lentement reposée,
Dans le vase fumant la lie est déposée ;
Ma coupe, ton nectar, le miel américain,

Que du suc des roseaux exprima l'Africain,

:

Tout est prêt du Japon l'émail reçoit tes ondes,
Et seul tu réunis les tributs des deux mondes.

Viens donc, divin nectar, viens donc, inspire-moi :
Je ne veux qu'un désert, mon Antigone,a et toi.
A peine j'ai senti ta vapeur odorante,

Soudain de ton climat la chaleur pénétrante

Réveille tous mes sens; sans trouble, sans chaos
Mes pensers plus nombreux accourent à grands flots.
Mon idée étoit triste, aride, dépouillée ;

Elle rit, elle sort richement habillée,
Et je crois, du génie éprouvant le réveil,
Boire dans chaque goutte un rayon du soleil.

DELILLE. Les Trois Règnes de la Nature.

LORD BYRON.

Toi, dont le monde encore ignore le vrai nom,
Esprit mystérieux, mortel, ange ou démon,
Qui que tu sois, Byron, bon ou fatal génie,
J'aime de tes concerts la sauvage harmonie,
Comme j'aime le bruit de la foudre et des vents
Se mêlant dans l'orage à la voix des torrents!
La nuit est ton séjour, l'horreur est ton domaine :
L'aigle, roi des déserts, dédaigne aussi la plaine;
Il ne veut, comme toi, quea des rocs escarpés
Que l'hiver a blanchis, que la foudre a frappés ;
Des rivages couverts des débris du naufrage,
Ou des champs tout noircis des restes du carnage;
Et tandis que l'oiseau qui chante ses douleurs
Bâtit au bord des eaux son nid parmi les fleurs,
Lui, des sommets d'Athos franchit l'horrible cime,
Suspend aux flancs des monts son aire sur l'abîme;
Et là, seul, entouré de membres palpitants,
De rochers d'un sang noir sans cesse dégouttants,
Trouvant sa volupté dans les cris de sa proie,
Bercé par la tempête, il s'endort dans sa joie.

Et toi, Byron, semblable à ce brigand des airs,
Les cris du désespoir sont tes plus doux concerts.
Le mal est ton spectacle, et l'homme est ta victime.
Ton œil, comme Satan, a mesuré l'abîme,
Et ton âme, y plongeant loin du jour et de Dieu,
A dit à l'espérance un éternel adieu.
Comme lui maintenant, régnant dans les ténèbres,
Ton génie invincible éclate en chants funèbres :

Il triomphe, et ta voix sur un mode infernal, ↳ Chante l'hymne de gloire au sombre dieu du mal.

Ah! si jamais ton luth, amolli par tes pleurs,
Soupirait sous tes doigts l'hymne de tes douleurs ;
Ou si du sein profond des ombres éternelles,
Comme un ange tombé, tu secouais tes ailes,
Et prenant vers le jour un lumineux essor,
Parmi les chœurs sacrés tu t'asseyais encor,
Jamais, jamais l'écho de la céleste voûte,
Jamais ces harpes d'or que Dieu lui-même écoute,
Jamais des séraphins les chœurs mélodieux
De plus divins accords n'auraient ravi les cieux.
Courage! enfant déchu d'une race divine;
Tu portes sur ton front ta superbe origine!
Tout homme en te voyant reconnaît dans tes yeux
Un rayon éclipsé de la splendeur des cieux :
Roi des chants immortels, reconnais-toi toi-même !
Laisse au fils de la nuit le doute et le blasphème ;
Dédaigne un faux encens qu'on t'offre de si bas,
La gloire ne peut être où la vertu n'est pas,
Viens reprendre ton rang dans sa splendeur première,
Parmi ces purs enfants de gloire et de lumière,
Que d'un souffle choisi Dieu voulut animer,

Et qu'il fit pour chanter, pour croire et pour aimer !

DE LA MARtine.

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