Page images
PDF
EPUB

Et Tartufe?

ORGON.

DORINE.

Pressé d'un sommeil agréable, Il passa dans sa chambre au sortir de la table ; Et dans son lit bien chaud il se mit tout soudain, Où, sans trouble, il dormit jusques au lendemain.

Le pauvre homme!

ORGON.

DORINE.

A la fin, par nos raisons gagnée,

Elle se résolut à souffrir la saignée ;

Et le soulagement suivit tout aussitôt.

Et Tartufe?

ORGON.

DORINE.

d

Il reprit courage comme il faut; a

Et, contre tous les maux fortifiant son ame,

Pour réparer le sang qu'avoit perdu madame,
But, à son déjeûner, quatre grands coups de vin.

Le pauvre homme !

ORGON.

DORINE.

Tous deux se portent bien, enfin ;

Et je vais à madame annoncer, par avance,
La part que vous prenez à sa convalescence.

MOLIÈRE. Tartufe.

ÆGISTE, FILS DE MÉROPE,

ATTAQUE POLYPHONTE AU PIED DE L'AUTEL OÙ CE
TYRAN ALLAIT ÉPOUSER SA MÈRE.

La victime était prête, et de fleurs couronnée ;
L'autel étincelait des flambeaux d'hyménée;
Polyphonte, l'œil fixe, et d'un front inhumain,
Presentait à Mérope une odieuse main ;
Le prêtre prononçait les paroles sacrées ;
Et la Reine, au milieu des femmes éplorées,
S'avançant tristement, tremblante entre mes bras,
Au lieu de l'hyménée, invoquait le trépas.

Le peuple observait tout dans un profond silence.
Dans l'enceinte sacrée, en ce moment s'avance
Un jeune homme, un Héros, semblable aux Immortels;
Il court. C'était Ægisthe: il s'élance aux autels;
Il monte, il y saisit, d'une main assurée,
Pour les fêtes des Dieux la hache préparée.

Les éclairs sont moins prompts; je l'ai vu de mes yeux,
Je l'ai vu qui frappait ce monstre audacieux.
"Meurs, tyran!" disait-il : "Dieux, prenez vos victimes!"
Erox, qui de son maître a servi tous les crimes,
Erox, qui dans son sang voit ce monstre nager,
Lève une main hardie, et pense le venger.
Ægisthe se retourne, enflammé de furie,
A côté de son maître il le jette sans vie.
Le tyran se relève, et blesse le Héros ;
De leur sang confoundu j'ai vu couler les flots.
Déjà la garde accourt avec des cris de rage.
Sa mère.... Ah! que l'amour inspire de courage!
Quel transport animait ses efforts et ses pas !
Sa mère.... Elle s'élance an milieu des soldats.

"C'est mon fils! arrêtez; cessez, troupe inhumaine !
C'est mon fils! déchirez sa mère et votre Reine,
Ce sein qui l'a nourri, ces flancs qui l'ont porté !"
A ces cris douloureux, le peuple est agité.

b

Un gros de nos amis, que son danger excite,

Entre elle et ces soldats vole et se précipite.

Vous eussiez vu soudain les autels renversés,
Dans des ruisseaux de sang leurs débris dispersés;
Les enfants écrasés dans les bras de leurs mères,
Les frères, méconnus, immolés par leurs frères ;
Soldats, prêtres, amis, l'un sur l'autre expirants :
On marche, en est porté sur les corps des mourants ;
On veut fuir, on revient; et la foule pressée
D'un bout du temple à l'autre est vingt fois repoussée.
De ces flots confondus le flux impétueux
Roule, et dérobe Ægisthe et la Reine à mes yeux.
Parmi les combattants je vole ensanglantée :
J'interroge à grands cris la foule épouvantée.
Tout ce qu'on me répond redouble mon horreur.
On s'écrie: "Il est mort, il tombe, il est vainqueur!"
Je cours, je me consume, et le peuple m'entraîne,
Me jette en ce palais, éplorée, incertaine,

Au milieu des mourants, des morts et des débris.
Venez, suivez mes pas, joignez-vous à mes cris.
Venez: j'ignore encor si la Reine est sauvée,
Si de son digne fils la vie est conservée,

Si le tyran n'est plus. Le trouble, la terreur,
Tout ce désordre horrible est encor dans mon cœur.
VOLTAIRE. Mérope.

LES FEUILLES DE SAULE.

"Un jour je m'étais amusé à effeuiller une branche de saule sur un ruisseau, et à attacher une idée à chaque feuille que le courant entraînait."

CHÂTEAUBRIAND.

L'AIR était pur; un dernier jour d'automne,
En nous quittant arrachait la couronne
Au front des bois ;

Et je voyais, d'une marche suivie,
Fuir le soleil, la saison et ma vie,
Tout à la fois,

Près d'un vieux tronc, appuyée en silence,
Je repoussais l'importune présence

Des jours mauvais ;

Sur l'onde froide, ou l'herbe encor fleurie,
Tombait sans bruit quelque feuille flétrie,
Et je rêvais!....

Au saule antique incliné sur ma tête,
Ma main enlève, indolente et distraite,
Un vert rameau;

Puis j'effeuillai sa dépouille légère,
Suivant des yeux sa course passagère ↳
Sur le ruisseau.

с

De mes ennuis jeu bizarre et futile!
J'interrogeais chaque débris fragile
Sur l'avenir;

Voyons, disais-je à la feuille entraînée,
Ce qu'à ton sort ma fortune enchaînée
Va devenir?d

Un seul instant je l'avais vue à peine,
Comme un esquif que la vague promène,
Voguer en paix :

Soudain le flot la rejette au rivage;
Ce léger choc décida son naufrage....
Je l'attendais !....

Je fie à l'onde une feuille nouvelle,
Cherchant le sort que pour mon luth fidèle
J'osai prévoir;

Mais vainement j'espérais un miracle,
Un vent rapide emporta mon oracle
Et mon espoir.

Sur cette rive où ma fortune expire,
Où mon talent sur l'aile du Zéphire
S'est envolé,

Vais-je exposer sur l'élément perfide

Un vœu plus cher ?.... Non, non, ma main timide A reculé.

Mon faible cœur, en blâmant sa faiblesse,
Ne put bannir une sombre tristesse,
Un vague effroi :

Un cœur malade est crédule aux présages;
Ils amassaient de menaçans nuages

Autour de moi.

Le vert rameau de mes mains glisse à terre :
Je m'éloignai pensive et solitaire,

Non sans effort:

Et dans la nuit mes songes fantastiques,
Autour du saule aux feuilles prophétiques
Erraient encor!

Mme. TASTU.

« PreviousContinue »