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Le Czar avec respect les contempla long-temps.

"Que j'aime à voir," dit-il, "ces braves combattants!
Ces bras victorieux, glacés par les années,

Quarante ans, de l'Europe ont fait les destinées. a
Restes encor fameux de tant de bataillons,

De la foudre sur vous j'aperçois les sillons.e

Que vous me semblez grands! Le sceau de la victoire
Sur vos ruines même imprime encor la gloire ;
Je lis tous vos exploits sur vos fronts révérés:

Temples de la Valeur, vos débris sont sacrés."

Bientôt ils vont s'asseoir dans une enceinte immense,

Où d'un repas guerrier la frugale abondance

Aux dépens de l'État satisfait leur besoin.

Pierre de leur repas veut être le témoin.
Avec eux dans la foule il aime à se confondre,
Les suit, les interroge; et, fiers de lui répondre,
De conter leurs exploits, ces antiques soldats
Semblent se rajeunir au récit des combats;

Son belliqueux accent émeut leur fier courage.

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'Compagnons," leur dit-il, "je viens vous rendre hommage;

Car je suis un guerrier, un soldat comme vous."

D'un regard attentif ils le contemploient tous,

Et son front désarmé leur parut redoutable.

Tout à coup le Monarque approchant de leur table,

Du vin dont leurs vieux ans réchauffoient leur langueur,
Dans un grossier crystal1 épanche la liqueur;

Et, la coupe à la main, debout, la tête nue :
"Mes braves compagnons," dit-il, "je vous salue !”
Il boit en même temps. Les soldats attendris,

A ce noble étranger répondent par des cris.
Tous ignoroient son nom, son pays, sa naissance;
Mais de son fier génie ils sentoient la puissance.
Leur troupe avec honneur accompagne ses pas :
Son rang est inconnu, sa grandeur ne l'est pas.

THOMAS. Pétréide.

LA CHUTE DES FEUILLES.

De la dépouille de nos bois,
L'automme avait jonché la terre :
Le bocage était sans mystère,
Le rossignol était sans voix.
Triste et mourant, à son aurore, a
Un jeune malade, à pas lents,
Parcourait une fois encore

Le bois cher à ses premiers ans.

"Bois, que j'aime! adieu.... je succombe ; Votre deuil me prédit mon sort;

Et dans chaque feuille qui tombe
Je vois un présage de mort."
Fatal oracle d'Épidaure,'

b

Tu m'as dit: "Les feuilles des bois

A tes yeux jauniront encore,
Mais c'est pour la dernière fois.
L'éternel cyprès, t'environne:
Plus pâle que la pâle automne,
Tu t'inclines vers le tombeau.
Ta jeunesse sera flétrie
Avant l'herbe de la prairie,
Avant les pampres du côteau.”

Et je meurs!.. De leur froide haleine
M'ont touché les sombre autans:
Et j'ai vu comme une ombre vaine
S'évanouir mon beau printemps.
Tombe, tombe, feuille éphémère !
Voile aux yeux ce triste chemin ;
Cache au désespoir de ma mère
La place où je serai demain.
Mais, vers la solitaire allée,
Si mon amante échevelée

Venait pleurer quand le jour fuit,
Éveille par ton léger bruit

Mon ombre un instant consolée !

Il dit, s'éloigne.... et sans retour!....
La dernière feuille qui tombe

A signalé son dernier jour.

Sous le chêne on creusa sa tombe....
Mais son amante ne vint pas

Visiter la pierre isolée :

Et le pâtre de la vallée

Troubla seul du bruit de ses pas

Le silence du mausolée.

MILLEVOYE.

TROUBLE ET AGITATION D'AUGUSTE,

SANS CESSE EN BUTTE AUX CONSPIRATIONS.

CIEL! à qui voulez-vous désormais que je fie
Les secrets de mon âme et le soin de ma vie?
Reprenez le pouvoir que vous m'avez commis,
Si, donnant des sujets, il ôte les amis;

Si tel est le destin des grandeurs souveraines,

Que leurs plus grands bienfaits n'attirent que des haines, Et si votre rigueur les condamne à chérir

Ceux que vous animez à les faire périr.

Pour elles rien n'est sûr; qui peut tout, doit tout craindre.
Rentre en toi-même, Octave, et cesse de te plaindre.
Quoi tu veux qu'on t'épargne, et n'as rien épargné !
Songe aux fleuves de sang où ton bras s'est baigné ;
De combien ont rougia les champs de Macédoine;
Combien en a versé la défaite d'Antoine,
Combien celle de Sexte, et revois tout d'un temps
Pérouse au sien noyée et tous ses habitants.

Remets dans ton esprit, après tant de carnages,
De tes proscriptions les sanglantes images,
Où toi-même, des tiens devenu le bourreau,
Au sein de ton tuteur enfonças le couteau;
Et puis ose accuser le destin d'injustice,

Quand tu vois que les tiens s'arment pour ton supplice,
Et que, par ton exemple à ta perte guidés,

Ils violent les droits que tu n'as pas gardés !
Leur trahison est juste, et le Ciel l'autorise.
Quitte la dignité comme tu l'as acquise;
Rends un sang infidèle à l'infidélité,
Et souffre des ingrats après l'avoir été. a
Mais que mon jugement au besoin m'abandonne!
Quelle fureur, Cinna, m'accuse et te pardonne;
Toi, dont la trahison me force à retenir

Ce pouvoir souverain dont tu me veux punir,
Me traite en criminel, et fait seule mon crime,
Relève, pour l'abattre, un trône illégitime,
Et, d'un zèle effronté couvrant son attentat,
S'oppose, pour me perdre, au bonheur de l'État!
Donc jusqu'à l'oublier je pourrois me contraindre !
Tu vivrois en repos après m'avoir fait craindre!
Non, non, je me trahis moi-même d'y penser:
Qui pardonne aisément, invite à l'offenser.
Punissons l'assassin, proscrivons les complices.

Mais quoi! toujours du sang, et toujours des supplices. Ma cruauté se lasse, et ne peut s'arrêter :

Je veux me faire craindre, et ne fais qu'irriter.
Rome a pour ma ruine une hydre trop fertile,
Une tête coupée en fait renaître mille;

Et le sang répandu de mille conjurés

Rend mes jours plus maudits, et non plus assurés.
Octave, n'attends plus les coups d'un nouveau Brute;
Meurs, et dérobe-lui la gloire de ta chute;

Meurs tu ferois pour vivre un lâche et vain effort,
Si tant de gens de cœur font des vœux pour ta mort,

Et si tout ce que Rome a d'illustre jeunesse
Pour te faire périr tour à tour s'intéresse ;

e

Meurs, puisque c'est un mal que tu ne peux guérir ;
Meurs enfin, puisqu'il faut ou tout perdre ou mourir.
La vie est peu de chose, et le peu qui t'en reste
Ne vaut pas l'acheter par un prix si funeste.
Meurs; mais quitte du moins la vie avec éclat,
Eteins-en le flambeau dans le sang de l'ingrat :
A toi-même, en mourant, immole ce perfide:
Contenant ses désirs, punis son parricide;
Fais un tourment pour lui de ton propre trépas,
En faisant qu'il le voie, et n'en jouisse pas.
Mais jouissons plutôt nous-même de sa peine;
Et si Rome nous hait, triomphons de sa haine.
O Romains! ô vengeance! ô pouvoir absolu !
O rigoureux combat d'un cœur irrésolu,
Qui fuit en même temps tout ce qu'il se propose,
D'un Prince malheureux ordonnez quelque chose.
Qui des deux dois-je suivre, et duquel m'éloigner ?{
Ou laissez-moi périr, ou laissez-moi régner.

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