Page images
PDF
EPUB

de superbes ananas, des glaces à l'italienne, de belles pyramides de fruits, de toute espèce; mais chacun remarquait avec étonnement qu'il n'y avait point de fraises, si recherchées à cette époque. La mère de Laure, surprise comme tout le monde de ce que ses ordres n'avaient point été suivis, se disposait à gronder celui de ses gens qui était chargé de cette partie du service, lorsqu'un laquais vint déposer sur le plateau de fleurs qui était au milieu de la table, le panier chéri de Laure. Elle ne put, en le voyant, s'empêcher de jeter un cri de joie, et son aimable rougeur annonçait que ce panier renfermait quelque mystère. Son père alors raconta l'aventure dont il avait été l'heureux témoin. "J'ai cru," dit-il, "que je ne pouvais offrir à mes amis, à mes convives, d'autres fraises que celles-ci; non, je ne connais point de corbeille, fût elle de procelaine du Japon, et remplie des productions les plus rares, qui puisse être comparée au simple panier de Babet, "

Chacun applaudit et prit Laure dans ses bras. Sa mère surtout la tenait pressée contre son sein, ne pouvant exprimer tout ce qu'elle ressentait. On la pria de distribuer elle-même à chaque personne les fraises que contenait le panier: ce qu'elle fit en recevant les plus douces félicitations; mais quel fut son étonnement lorsque, en distribuant les dernières fraises, elle trouva au fond du panier un collier de corail, ayant un écusson d'or entouré de perles fines, et sur lequel étaient

gravés ces mots : Babet, à sa bienfaitrice.

BOUILLY. Contes à ma Fille.

LE DUC DE MONTAUSIER AU DAUPHIN,

SUR LA PRISE DE PHILIPSBOURG.

MONSEIGNEUR,

Je ne vous fais pas de compliment sur la prise de Philipsbourg; vouz aviez une bonne armée, une excellente artillerie, et Vauban, Je ne vous en fais pas non plus sur les preuves

a

que vous avez données de bravoure et d'intrépidité : ce sont des vertus héréditaires dans votre maison; mais je me réjouis avec vous de ce que vous êtes libéral, généreux, humain, faisant valoir b les services d'autrui et oubliant les vôtres : c'est sur quoi je vous fais mon compliment.

RÉPONSE DU VICOMTE D'ORTE,

COMMANDANT DE BAYONNE, A CHARLES IX., QUI LUI AVOIT ORDONNÉ DE FAIRE MASSACRER LES PROTESTANTS.

SIRE,

J'AI communiqué le commandement de Votre Majesté à ses fidèles habitants et gens de guerre de la garnison: je n'y ai trouvé que de bons citoyens et braves soldats, mais pas un bourreau. C'est pourquoi eux et moi supplions très-humblement Votre Majesté de vouloir bien a employer nos bras et nos vies en choses possibles: quelque hasardeuses qu'elles soient, nous y mettrons jusqu'à la dernière goutte de notre sang.

AMAND.

UN pauvre manœuvre, nommé Bertrand, avait six enfants en bas âge, et il se trouvait fort embarrassé pour les nourrir. Par surcroît de malheur a l'année fut stérile, et le pain se vendait une fois plus cher b que l'an passé. Bertrand travaillait jour et nuit: malgré ses sueurs, il lui était impossible de gagner assez d'argent pour rassasier du plus mauvais pain ses enfants affamés. Il était dans une extrême désolation. Il appelle un jour sa petite famille, et les yeux pleins de larmes, il lui dit : Mes chers enfants, le pain est devenu si cher, qu'avec tout mon travail je ne peux gagner assez pour vous sustenter. Vous le voyez, il faut que je paie le morceau de pain que voici du produit de toute ma journée. Il faut donc vous contenter de partager avec moi le peu que je m'en serai

[ocr errors]

procuré; il n'y en aura certainement pas assez pour vous rassasier; mais du moins il y aura de quoi vous empêcher de mourir de faim." Le pauvre homme ne put en dire davantage : il leva les yeux vers le ciel, et se mit á pleurer.a Ses enfants pleuraient aussi; et chacun disait en lui-même, O Dieu ! venez à notre secours, pauvres petits malheureux que nous sommes ! assistez notre père, et ne nous laissez pas mourir de faim.

:

Bertrand partagea son pain en sept portions égales; il en garda une pour lui, et distribua les autres à chacun de ses enfants. Mais un d'entre eux, qui s'appelait Amand, refusa de recevoir la sienne, et dit : "Je ne peux rien prendre, mon père je me sens malade; mangez ma portion, ou partagez-la entre les autres.” “Mon pauvre enfant, qu'as-tu donc ?” e lui dit Bertrand en le prenant dans ses bras. "Je suis malade," répondit Amand, “très-malade: je veux aller me coucher." Bertrand le porta dans son lit, et le lendemain au matin, accablé de tristesse, il alla chez un médecin, et le pria de venir, par charité voir son fils malade, et de le secourir.

Le médecin, qui était un homme pieux, se rendit chez Bertrand, quoiqu'il fût bien sûr de n'être pas payé de ses visites. Il s'approche du lit d'Amand, lui tâte le pouls; mais il ne peut y trouver aucun symptôme de maladie : il lui trouva cependant une grande faiblesse, et pour le ranimer, il voulut lui prescrire une potion. "Ne m'ordonnez rien, Monsieur," lui dit Amand; "je ne prendrais pas ce que vous m'ordonneriez." Le médecin. Tu ne le prendrais pas ! et pourquoi donc, s'il te plaît ?

Amand. Ne me le demandez pas, Monsieur, je ne peux pas vous le dire.

Le médecin. Et qui t'en empêche, mon enfant? Tu me parais être un petit garçon bien obstiné.

Amand. Monsieur le médicin, ce n'est point par obstination, je vous assure.

Le médecin. A la bonne heure, je ne veux pas te contraindre; mais je vais le demander à ton père, qui ne sera peut-être pas si mystérieux.

Amand. Ah! je vous en prie, Monsieur, que mon père n'en sache rien.

Le médecin. Tu es un enfant bien incompréhensible! Mais il faut absolument que j'en instruise ton père, puisque tu ne veux pas me l'avouer.

Amand. Oh! Monsieur, gardez-vous-en bien: je vais plutôt vous le dire; mais auparavant faites sortir, je vous prie, mes frères et mes sœurs.

Le médecin ordonna aux enfants de se retirer, et alors Amand lui dit :

"Hélas! Monsieur, dans un temps si dur, mon père ne gagne qu'avec bien de la peine de quoi acheter un mauvais pain : il le partage entre nous : chacun n'en peut avoir qu'un petit morceau, et il n'en veut presque rien garder pour lui-même. Cela me fait de la peine de voir mes petits frères et mes petites sœurs endurer la faim. Je suis l'aîné; j'ai plus de force qu'eux; j'aime mieux ne pas manger, pour qu'ils puissent partager ma portion. C'est pour cela que j'ai fait semblanth d'être malade, et de ne pouvoir pas manger; mais que mon père n'en sache rien, je vous en prie."

Le médecin essuya ses pleurs, et lui dit : " Mais toi, n'as-tu pas faim, mon cher ami?"

Amand. Pardonnez-moi, j'ai bien faim; mais cela ne me fait pas tant de mal que de les voir souffrir.

Le médecin. Mais tu mourras bientôt, si tu ne te nourris pas.

Amand. Je le sens bien, Monsieur; mais je mourrai de bon cœur mon père aura une bouche de moins a remplir; et lorsque je serai auprès du bon Dieu, je le prierai de donner à manger à mes petits frères et à mes petites sœurs.

L'honnête médecin était hors de lui-même d'attendrissement et d'admiration, en entendant ainsi parler ce généreux enfant. Il le prit dans ses bras, le serra contre son cœur, et lui dit : "Non, mon cher ami, tu ne mourras pas. Dieu, notre père, à tous, aura soin de toi et de ta famille; rends-lui grâces de ce qu'il m'a conduit ici; je reviendrai bientôt." II

courut à sa maison, chargea un de ses domestiques de toutes sortes de provisions, et revint aussitôt avec lui vers Amand et ses frères affamés. Il les fit tous mettre à table, et leur donna à manger jusqu'à ce qu'ils fussent rassasiés. C'etait un spectacle ravissant pour le bon médecin de voir la joie de ces innocentes créatures. En sortant, il dit à Amand de ne pas se mettre en peine, et qu'il pourvoirait à leurs nécessités. Il observa fidèlement sa promesse; il leur faisait passer tous les jours abondamment de quoi se nourrir. D'autres personnes charitables à qui il raconta cette aventure, imitèrent sa bienfaisance. Les uns envoyaient des provisions, les autres de l'argent, ceux-là des habits et du linge; en sorte que, peu de jours après, la petite famille eut au-delà de tous ses besoins.

Aussitôt que le Prince fut instruit de ce que le brave petit Amand avait fait pour son père et pour ses frères, plein d'admiration de tant de générosité, il envoya chercher Bertrand, et lui dit: "Vous avez un enfant admirable; je veux être aussi son père. J'ai ordonné qu'on vous donnât tous les ans, en mon nom, une pension de cent écus. Amand et tous vos autres enfans seront élevés à mes frais dans le métier qu'ils voudront choisir, et s'ils savent en profiter, j'aurai soin de leur fortune."

Bertrand s'en retourna chez lui enivré de joie, et s'étant jeté à genoux, il remercia Dieu de lui avoir donné un si digne BERQUIN. L'Ami des Enfants.

enfant.

L'ARABE ET SON CHEVAL.

Les Arabes étendent leur humanité jusqu'à leurs chevaux ; jamais il ne les frappent. Ils les dressent à force de caresses, et ils les rendent si dociles qu'il n'y en a point dans le monde qui leur soient comparables en beauté et en bonté ; ils ne les attachent point dans leur camp; ils les laissent errer en paissant aux environs, d'où ils accourent à la voix de leurs

« PreviousContinue »