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Il voit briller partout les flambeaux et les armes ;
Son palais embrasé, tout un peuple en alarmes ;
Ses serviteurs sanglants, dans la flamme étouffés ;
Les meurtriers en foule au carnage échauffés,
Criant à haute voix : "Qu'on n'épargne personne ;
C'est Dieu, c'est Médicis, c'est le Roi qui l'ordonne!"
Il entend retentir le nom de Coligny :
Il aperçoit de loin le jeune Téligny,
Téligny dout l'amour a mérité sa fille,
L'espoir de son parti, l'honneur de sa famille,
Qui, sanglant, déchiré, traîné par des soldats,
Lui demandait vengeance, et lui tendait les bras.
Le Héros malheureux, sans armes, sans défense,
Voyant qu'il faut périr et périr sans vengeance,
Voulut mourir du moins comme il avait vécu,
Avec toute sa gloire et toute sa vertu.
Déjà des assassins la nombreuse cohorte,
Du salon qui l'enferme allait briser la porte;
Il leur ouvre lui-même, et se montre à leurs yeux,
Avec cet œil serein, ce front majestueux,
Tel que, dans les combats, maître de son courage,
Tranquille, il arrêtait on pressait le carnage.

A cet air vénérable, à cet auguste aspect, Les meurtriers surpris sont saisis de respect; Une force inconnue a suspendu leur rage. "Compagnons," leur dit il, "achevez votre ouvrage, Et de mon sang glacé souillez ces cheveux blancs, Que le sort des combats respecta quarante ans. Frappez, ne craignez rien: Coligny vous pardonne; Ma vie est peu de chose, et je vous l'abandonne ; J'eusse aimé mieux la perdre en combattant pour vous." Ces tigres, à ces mots, tombent à ses genoux : L'un, saisi d'épouvante, abandonne ses armes ; L'autre embrasse ses pieds qu'il trempe de ses larmes ; Et de ses assassins ce grand homme entouré, Semblait un Roi puissant par son peuple adoré.

Besme, qui dans la cour attendait sa victime,
Monte, accourt, indigné qu'on diffère son crime
Des assassins trop lents il veut hâter les coups:
Aux pieds de ce Héros il les voit trembler tous.
A cet objet touchant lui seul est inflexible;
Lui seul, à la pitié toujours inaccessible,
Aurait cru faire un crime, et trahir Médicis,
Si du moindre remords il se sentait surpris.
A travers les soldats, il court d'un pas rapide;
Coligny l'attendait d'un visage intrépide :
Et bientôt dans le flanc ce monstre furieux
Lui plonge son épée en détournant les yeux,
De peur que d'un coup d'œil cet auguste visage
Ne fît trembler son bras, et glaçât son courage.

;

Du plus grand des Français tel fut le triste sort:
On l'insulte, on l'outrage encore après sa mort.
Son corps percé de coups, privé de sépulture,
Des oiseaux dévorants fut l'indigne pâture;
Et l'on porta sa tête aux pieds de Médicis :
Conquête digne d'elle et digne de son fils!
Médicis la reçut avec indifférence,

Sans paraître jouir du fruit de sa vengeance,
Sans remords, sans plaisir, maîtresse de ses sens,
Et comme accoutumée à de pareils présents.

VOLTAIRE. Henriade.

ÉLÉVATION D'ESTHER.

PEUT-ÊTRE on t'a conté la fameuse disgrâce
De l'altière Vasthi dont j'occupe la place,
Lorsque le Roi, contre elle enflammé de dépit,
La chassa de son trône, ainsi que de son lit.
Mais il ne put sitôt en bannir la pensée :
Vasthi régna long-temps dans son âme offensée.
Dans ses nombreux États il fallut donc chercher
Quelque nouvel objet qui l'en pût détacher.
De l'Inde à l'Hellespont ses esclaves coururent.
Les filles de l'Égypte à Suse comparurent ;
Celles même du Parthe et du Scythe indompté
Y briguèrent le sceptre offert à la beauté.

a

On m'élevoit alors, solitaire et cachée,
Sous les yeux vigilants du sage Mardochée.
Tu sais combien je dois à ses heureux secours :
La mort m'avoit ravi les auteurs de mes jours;
Mais lui, voyant en moi la fille de son frère,
Me tint lieu, chère Élise, et de père et de mère.
Du triste état des Juifs jour et nuit agité,

Il me tira du sein de mon obscurité,

Et sur mes foibles mains fondant leur délivrance,
Il me fit d'un Empire accepter l'espérance.
A ses desseins secrets tremblante j'obéis:
Je vins, mais je cachai ma race et mon pays.
Qui pourroit cependant t'exprimer les cabales
Que formoit en ces lieux ce peuple de rivales,
Qui toutes, disputant un si grand intérêt,
Des yeux d'Assuérus attendoient leur arrêt?
Chacune avoit sa brigue et de puissants suffrages.
L'une d'un sang fameux vantoit les avantages;
L'autre, pour se parer de superbes atours,
Des plus adroites mains empruntoit le secours ;

b

Et moi, pour toute brigue et pour tout artifice,
De mes larmes au Ciel j'offrois le sacrifice.

Enfin, on m'annonça l'ordre d'Assuérus.
Devant ce fier Monarque, Élise, je parus.

Dieu tient le cœur des Rois entre ses mains puissantes ;
Il fait que tout prospère aux âmes innocentes,
Tandis qu'en ses projets l'orgueilleux est trompé.
De mes foibles attraits le Roi parut frappé.

Il m'observa long-temps dans un sombre silence;
Et le Ciel, qui pour moi fit pencher la balance,
Dans ce temps-là, sans doute, agissoit sur son cœur.
Enfin, avec des yeux où régnoit la douceur :

Soyez Reine," dit-il; et, dès ce moment même,
De sa main sur mon front posa son diadême.
Pour mieux faire éclater sa joie et son amour,
Il combla de présents tous les grands de la Cour;
Et même ses bienfaits, dans toutes ses provinces,
Invitèrent le peuple aux noces de leurs Princes.

Hélas! durant ces jours de joie et de festins,
Quelle étoit en secret ma honte et mes chagrins !
Esther, disois-je, Esther dans la pourpre est assise !
La moitié de la terre à son sceptre est soumise!
Et de Jérusalem l'herbe cache les murs !
Sion, repaire affreux de reptiles impurs,
Voit de son temple saint les pierres dispersées,
Et du Dieu d'Israël les fêtes sont cessées !

Cependant mon amour pour notre nation
A rempli ce palais de filles de Sion,
Jeunes et tendres fleurs, pas le sort agitées,
Sous un ciel étranger comme moi transplantées.
Dans un lieu séparé de profanes témoins,

Je mets à les former mon étude et mes soins ;

Et c'est là que, fuyant l'orgueil du diadême,

Lasse de vains honneurs, et me cherchant moi-même,
Aux pieds de l'Éternel je viens m'humilier,

Et goûter le plaisir de me faire oublier.

RACINE. Esther.

PIERRE-LE-GRAND À L'HOTEL DES INVALIDES.

VERS les bords où la Seine, abandonnant Paris,
Semble de ces beaux lieux, où son onde serpente,
S'éloigner à regret et ralentir sa pente,a
D'un immense palais le front majestueux,
Arrondi dans la nue en dôme somptueux,
S'élève et peuple au loin la rive solitaire.
Pierre y porte ses pas. La pompe militaire,
Des tonnerres d'airain, des gardes, des soldats,
Tout présente à ses yeux l'image des combats :
Mais cet éclat guerrier orne un séjour tranquille.
"Tu vois de la Valeur, tu vois l'auguste asyle,"
Lui dit Le Fort: "jadis, pour soutenir ses jours,
Réduit à mendier d'avilissants secours,
Duns un pays ingrat, sauvé par son courage,
Le guerrier n'avoit pas, au déclin de son âge,
Un asyle pour vivre, un tombeau pour mourrir :
L'État qu'il a vengé daigne enfin le nourir.

Louis à tous les Rois y donne un grand exemple."

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Entrons," dit le héros. Tous étoient dans le temple.
C'étoit l'heure où l'autel fumoit d'un pur encens ;
Il entre, et de respect tout a frappé ses sens.
Ces murs religieux, leur vénérable enceinte,
Ces vieux soldats épars sous cette voûte sainte,
Les uns levant au ciel leurs fronts cicatrisés,
D'autres, flétris par l'âge et de sang épuisés,
Sur leurs genoux tremblants pliant un corps débile,
Ceux-ci courbant un front saintement immobile,
Tandis qu'avec respect sur le marbre inclinés,
Et plus près de l'autel quelques uns prosternés,
Touchoient l'humble pavé de leur tête guerrière,
Et leurs cheveux blanchis rouloient sur la poussière.

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