Au banquet de la vie, infortuné convive,
J'apparus un jour, et je meurs :
Je meurs, et sur ma tombe, où lentement j'arrive, Nul ne viendra verser des pleurs.
Salut, champs que j'aimois, et vous, douce verdure, Et vous, riant exil des bois !
Ciel, pavillon de l'homme, admirable nature, Salut pour la dernière fois !
Ah! puissent voir long-temps votre beauté sacrée Tant d'amis sourds à mes adieux !
Qu'ils meurent pleins de jours, que leur mort soit pleurée, Qu'un ami leur ferme les yeux !
LE SAVETIER ET LE FINANCIER.
UN savetier chantoit du matin jusqu'au soir : C'etoit merveille de le voir,
Merveille de l'ouïr; il faisoit des passages,a
Plus content qu'aucun des sept sages. Son voisin, au contraire, étant tout cousu d'or, Chantoit peu, dormoit moins encor : C'étoit un homme de finance.
Si sur le point du jour parfois il sommeilloit, Le savetier alors en chantant l'éveilloit ; Et le financier se plaignoit
Que les soins de la Providence
N'eussent pas au marché fait vendre le dormir,a Comme le manger et le boire.
En son hôtel il fait venir
Le chanteur, et lui dit : Or ça, sire Grégoire,
Que gagnez-vous par an? Par an! ma foi, monsieur, Dit avec un ton de rieurf
Le gaillard savetier, ce n'est point ma manière De compter de la sorte; et je n'entasse guère Un jour sur l'autre il suffit qu'à la fin J'attrape le bout de l'année ;
Chaque jour amène son pain.
Eh bien! que gagnez-vous, dites-moi, par journée ?— Tantôt plus, tantôt moins : le mal est que toujours (Et sans cela nos gains seroient assez honnêtes), Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours
Qu'il faut chommer; on nous ruine en fêtes : L'une fait tort à l'autre ; et monsieur le curé De quelque nouveau saint charge toujours son prône. Le financier, riant de sa naïveté,
Lui dit: Je vous veux mettre aujourd'hui sur le trône. Prenez ces cent écus; gardez-les avec soin,
Pour vous en servir au besoin.
Le savetier crut voir tout l'argent que la terre Avoit, depuis plus de cent ans,
Produit pour l'usage des gens.
Il retourne chez lui: dans sa cave il enserre L'argent, et sa joie à la fois.
Plus de chant. il perdit la voix
Du moment qu'il gagna ce qui cause nos peines. Le sommeil quitta son logis;
Il eut pour hôtes les soucis, Les soupçons, les alarmes vaines.
Tout le jour il avoit l'œil au guet ; et la nuit, Si quelque chat faisoit du bruit,
Le chat prenoit l'argent. A la fin le pauvre homme S'en courut chez celui qu'il ne réveilloit plus : Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme; Et reprenez vos cent écus.
ROME, l'unique objet de mon ressentiment! Rome à qui vient ton bras d'immoler mon amant! Rome qui t'a vu naître, et que ton cœur adore! Rome enfin que je hais, parce qu'elle t'honore! Puissent tous ses voisins, ensemble conjurés, Saper ses fondements encor mal assurés!
Et, si ce n'est assez de toute l'Italie, Que l'Orient contre elle à l'Occident s'allie ; Que cent peuples, unis des bouts de l'univers, Passent, pour la détruire, et les monts et les mers; Qu'elle-même sur soi renverse ses murailles, Et de ses propres mains déchire ses entrailles : Que le courroux du Ciel, allumé par mes vœux, Fasse pleuvoir sur elle un déluge de feux ! Puissé-je de mes yeux y voir tomber la foudre,
Voir ses maisons en cendre, et tes lauriers en poudre, Voir le dernier Romain à son dernier soupir,
Moi seule en être cause, et mourir de plaisir !
CORNEILLE. Les Horaces.
LA MOLLESSE CONJURE LA NUIT DE LUI CONSERVER SON DERNIER ASILE.
A CE triste discours, qu'un long soupir achève, La Mollesse en pleurant sur un bras se relève, Ouvre un œil languissant, et d'une foible voix Laisse tomber ces mots, qu'elle interrompt vingt fois : "O Nuit! que m'as-tu dit? Quel démon sur la terre Souffle dans tous les cœurs la fatigue et la guerre ? Hélas! qu'est devenu ce temps, cet heureux temps, Où les Rois s'honoroient du nom de fainéants,a S'endormoient sur le trône, et, me servant sans honte, Laissoient leur sceptre aux mains ou d'un maire ou d'un comte ?
Aucun soin n'approchoit de leur paisible Cour;
On reposoit la nuit, on dormoit tout le jour. Seulement au printemps, quand Flore dans les plaines Faisoit taire des vents les bruyantes haleines, Quatre bœufs attelés, d'un pas tranquille et lent, Promenoient dans Paris le monarque indolent. Ce doux siècle n'est plus! le Ciel impitoyable A placé sur le trône un prince infatigable; Il brave mes douceurs, il est sourd à ma voix ; Tous les jours il m'éveille au bruit de ses exploits. Rien ne peut arrêter sa vigilante audace ;
L'été n'a point de feux, l'hiver n'a point de glace. J'entends à son seul nom tous mes sujets frémir. En vain deux fois la Paix a voulu l'endormir; Loin de moi son courage entraîné par la gloire Ne se plaît qu'à courir de victoire en victoire. Je me fatiguerois à te tracer le cours
Des outrages cruels qu'il me fait tous les jours.
Je croyois, loin des lieux où ce Prince m'exile, Que l'Église du moins m'assuroit un asile :
Mais en vain j'espérois y régner sans effroi; Moines, abbés, prieurs, tout s'arme contre moi. Par mon exil honteux la Trappe est ennoblie. J'ai vu dans Saint-Denis la réforme établie, Le carme, le feuillant s'endurcir aux travaux ; Et la règle déjà se remet dans Clairvaux. Citeaux dormoit encore, et la Sainte-Chapelle Conservoit du vieux temps l'oisiveté fidèle ; Et voici qu'un lutrin, prêt à tout renverser, D'un séjour si chéri vient encor me chasser.
O toi, de mon repos compagne aimable et sombre, A de si noirs forfaits prêteras-tu ton ombre? Ah! Nuit, si tant de fois dans les bras de l'Amour Je t'admis aux plaisirs que je cachois au jour, Du moins ne permets pas.... "La Mollesse oppressée, Dans sa bouche, à ce mot, sent sa langue glacée : Et, lasse de parler, succombant sous l'effort, Soupire, étend les bras, ferme l'œil et s'endort.
CEPENDANT tout s'apprête, et l'heure est arrivée Qu'au fatal dénoûment la Reine a réservée. Le signal est donné sans tumulte et sans bruit : C'etait à la faveur des ombres de la nuit. De ce mois malheureux l'inégale courrière Semblait cacher d'effroi sa tremblante lumière ; Coligny languissait dans les bras du repos, Et le sommeil trompeur lui versait ses pavots.
Soudain de mille cris le bruit épouvantable Vient arracher ses sens à ce calme agréable. Il se lève, il regarde; il voit de tous côtés Courir des assassins à pas précipités ; a
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