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UNE AUTRE.

J'ai vu l'impie adoré sur la terre :

Pareil au cèdre, il cachoit dans les cieux
Son front audacieux;

Il somblait à son gré gouverner le tonnerre,
Fouloit aux pieds ses ennemis vaincus ;
Je n'ai fait que passer, il n'étoit déjà plus.
RACINE.

Esther.

LA FEUILLE.

DE ta tige détachée,

Pauvre feuille desséchée,

Où vas-tu ?-Je n'en sais rien:
L'orage a brisé le chêne

Qui seul était mon soutien.
De son inconstante haleine,
Le zéphyr ou l'aquilon,
Depuis ce jour me promène
De la forêt à la plaine,
De la montagne au vallon.

Je vais où le vent me mène,

Sans me plaindre ou m'effrayer;
Je vais où va toute chose,

Où va la feuille de rose
Et la feuille de laurier.

ARNAULT.

S

LES SOUVENIRS DU PEUPLE.

On parlera de sa gloire

Sous le chaume bien long-temps. L'humble toit, dans cinquante ans, Ne connaîtra plus d'autre histoire. Là, viendront les villageois Dire alors à quelque vieille; Par des récits d'autrefois, Mère, abrégez notre veille.a Bien, dit-on, qu'il nous ait nui, Le peuple encor le révère, Oui, le révère.

Parlez-nous de lui, grand 'mère;

Parlez-nous de lui.

Mes enfans, dans ce village,

Suivi de rois il passa.

Voilà bien long-temps de ça :

Je venais d'entrer en ménage.
A pied grimpant le côteau
Ой pour voir je m'étais mise,
Il avait petit chapeau
Avec redingote grise.

Près de lui je me troublai,

Il me dit: Bon jour, ma chère,

Bon jour, ma chère.

-Il vous a parlé, grand 'mère !
Il vous a parlé !

L'an d'après, moi pauvre femme,

A Paris étant un jour,

Je le vis avec sa cour:

Il se rendait à Notre-Dame.

Tous les cœurs étaient contens;
On admirait son cortége.
Chacun disait : Quel beau temps!
Le ciel toujours le protége.

Son sourire était bien doux :
D'un fils Dieu le rendait père,

Le rendait père.

-Quel beau jour pour vous, grand 'mère !
Quel beau jour pour vous !

Mais quand la pauvre Champagne
Fut en proie aux étrangers,
Lui, bravant tous les dangers,
Semblait seul tenir la campagne.b
Un soir, tout comme aujourd'hui,©
J'entends frapper à la porte:
J'ouvre, bon Dieu! c'était lui,
Suivi d'une faible escorte.
Il s'asseoit où me voilà,
S'écriant: Oh! quelle guerre!

Oh! quelle guerre !

-Il s'est assis là, grand 'mère !
Il s'est assis là !

J'ai faim, dit-il, et bien vite
Je sers piquette et pain bis.
Puis il sèche ses habits;
Même à dormir le feu l'invite.

Au reveil, voyant mes pleurs,
Il me dlt: Bonne espérance!
Je cours de tous ses malheurs
Sous Paris venger la France.
Il part; et comme un trésor
J'ai depuis gardé son verre,

Gardé son verre.

-Vous l'avez encor, grand 'mère!

Vous l'avez encor!

Le voici.

Mais à sa perte

Le héros fut entraîné.

Lui, qu'un pape a couronné,
Est mort dans une île déserte.

Long-temps aucun ne l'a cru;
On disait : Il va paraître.
Par mer il est accouru;
L'étranger va voir son maître.
Quand d'erreur on nous tira,
Ma douleur fut bien amère,
Fut bien amère.

-Dieu vous bénira, grand 'mère ;

Dieu vous bénira.

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ABANDON, DÉSESPOIR ET TERREUR DE NÉRON.

MON trône est renversé !

De l'universe entier je me vois repoussé !
Me voilà seul portant la haine universelle!
Puisse-t-on ignorer le lieu qui me recèle !

Qu'au moins mes jours sauvés... Dois-je former ces vœux,
N'avoir d'autres palais que ces caveaux affreux,
D'autre Cour que le deuil, leur silence et leur ombre,

Et ne voir d'autre jour que cette clarté sombre?

Ah! cette vie horrible est semblable au trépas.........

Où suis-je ? un songe affreux... Non, non, je ne dors pas; De mon cœur soulevé c'est un secret murmure:

Je m'entends appeler meurtrier et parjure.

Je le suis.... Mais quels cris, quels lugubres accents!
Une sueur mortelle a glacé tous mes sens....
Ne me trompé-je pas ? je crois voir mes victimes....
Je les vois; les voilà!.... Du fond des noirs abîmes,
S'élancent jusqu'à moi des fantômes sanglants;

Ils jettent dans mon sein des flambeaux, des serpents;
Je ne puis me soustaire à leur troupe en furie....
Arrêtez!.... est-ce toi, vertueuse Octavie?

Tu suis contre Néron un trop juste transport:
Qu'oses-tu m'annoncer? ah! je t'entends.... la mort !
La mort! tu viens aussi me l'apporter, mon frère !
Mais que vois-je, grands Dieux ? Agrippine! ma mère !
Tous les morts aujourd'hui sortent-ils du tombeau ?
Meurs! meurs! criez-vous tous. Quel supplice nouveau !
Contre moi l'univers appelle la vengeance,

Et la tombe elle-même a rompu son silence!

Je n'en puis plus douter, la mort, la mort m'attend!

Et comment soutenir ce redoutable instant?

LEGOUVÉ. Épicharis et Néron.

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