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REMORDS DE PHEDRE.

MISERABLE! et je vis, et je soutiens la vue
De ce sacré soleil dont je suis descendue!a
J'ai pour aïeul le père et le maître des Dieux;
Le ciel, tout l'univers est plein de mes aïeux.
Où me cacher? fuyons dans la nuit infernale.
Mais, que dis-je ? mon père y tient l'urne fatale.
Le sort, dit-on, l'a mise en ses sévères mains;
Minos juge aux enfers tous les pâles humains.
Ah! combien frémira son ombre épouvantée,
Lorsqu'il verra sa fille, à ses yeux présentée,
Contrainte d'avouer tant de forfaits divers,
Et des crimes peut-être inconnus aux enfers!
Que diras-tu, mon père, à ce spectacle horrible?
Je crois voir de tes mains tomber l'urne terrible;
Je crois te voir, cherchant un supplice nouveau,
Toi-même de ton sang devenir le bourreau.
Pardonne! un Dieu cruel a perdu ↳ ta famille ;
Reconnois sa vengeance aux fureurs de ta fille.
Hélas! du crime affreux dont la honte me suit,
Jamais mon triste cœur n'a recueilli le fruit.
Jusqu'au dernier soupir de malheurs poursuivie,
Je rends dans les tourments une inutile vie.

b

RACINE. Phèdre.

LA RETRAITE.

OUI, Lamoignon, je fuis les chagrins de la ville,
Et contre eux la campagne est mon unique asyle.
Du lieu qui m'y retient veux-tu voir le tableau ?
C'est un petit village, ou plutôt un hameau,
Bâti sur le penchant d'un long rang de collines,
D'où l'œil s'égare au loin dans les plaines voisines.
La Seine, au pied des monts que son flot vient laver,
Voit du sein de ses eaux vingt îles s'élever,
Qui, partageant son cours en diverses manières,
D'une rivière seule y forment vingt rivières.
Tous ses bords sont couverts de saules non plantés,*
Et de noyers souvent du passant insultés.
Le village au-dessus forme un amphithéatre :
L'habitant ne connoît ni la chaux ni le plâtre ;
Et dans le roc qui cède et se coupe aisément,
Chacun sait de sa main creuser son logement.
La maison du seigneur, seule un peu plus ornée,
Se présente au dehors de murs environnée.
Le soleil en naisssant la regarde d'abord,

Et le mont la défend des outrages du nord.

C'est là, cher Lamoignon, que mon esprit tranquille
Met à profit les jours que la Parque me file.
Ici dans un vallon, bornant tous mes désirs,
J'achète à peu de frais de solides plaisirs :
Tantôt, un livre en main, errant dans les prairies,
J'occupe ma raison d'utiles rêveries;

Tantôt, cherchant la fin d'un vers que je construis,
Je trouve au coin d'un bois le mot qui m'avait fui;
Quelquefois, aux appâts d'un hameçon perfide,
J'amorce, en badinant, le poisson trop avide;

Ou, d'un plomb qui suit l'œil et part avec l'éclair,
Je vais faire la guerre aux habitants de l'air.
Une table au retour, propre et non magnifique,
Nous présente un repas agréable et rustique.
Là, sans s'assujettir aux dogmes du Broussain,
Tout ce qu'on boit est bon, tout ce qu'on mange est sain;
La maison le fournit, la fermière l'ordonne,

с

b

Et mieux que Bergerat l'appétit l'assaisonne.
O fortuné séjour! ô champs aimés des cieux !
Que, pour jamais foulant vos prés délicieux,
Ne puis-je ici fixer ma course vagabonde,
Et, connu de vous seuls, oublier tout le monde !

BOILEAU. Epitres.

MÊME SUJET.

RETRAITE d'Argental, vallon tranquille et sombre,
Qu'habitent le travail, la paix et le bonheur,
Que j'aime à respirer ce reste de fraîcheur,
A l'ardeur des étés échappé sous ton ombre !
Le zéphyre se plaît dans tes longs peupliers;
Ces monts, où deux forêts balancent leur verdure,
Environnent ton sein d'une double ceinture.
Courbez-vous sur mon front, rameaux hospitaliers;
Source fraîche, où ma main recueille une onde pure,
Reviens par cent détours aux bords que tu chéris ;
Poursuis que ton murmure, en charmant mes oreilles,
Se mêle au bruit léger de cet essaim d'abeilles

Qui vole en bourdonnant sur les buissons fleuris.

Des chênes ébranlés mutilant les racines,
Puissent les noirs torrents dont le cours inégal
Dans un lit de gravier gronde au pied des collines,
Ne jamais obscurcir ton paisible crystal !

Puissent le dieu des champs, et ses nymphes divines,

Ecarter loin de toi le chasseur inhumain,

Quand, l'oreille anx aguets,a sortant du hois voisin,
La biche au pied léger, ou le chevreuil timide,
Vient se désaltérer à ta source limpide!

Ah! si jamais le ciel, soigneux de mes plaisirs,
Fixe ma vie errante au milieu de ces plaines,
Je veux que leur enceinte enferme mes désirs,
Que mon travail soit libre ainsi que mes loisirs :
J'y veux couler en paix des jours exempts de peines.
Quand l'ardent Sirius blanchit l'azur des cieux,
Quel bonheur de fouler des herbes verdoyantes;
Ou dans les nuits d'hiver, quand un vent pluvieux
Vient battre à coups pressés les vitres frémissantes,
De rêver à ce hruit qui vous ferme les yeux !
Si je meurs entouré de riantes images,
Je ne veux pour tombeau que ces gazons épais.
Les passants fatigués de quelques longs voyages,
Pourront s'y reposer sous des peupliers frais;
Mon ombre écartera de leur couche tranquille,
L'insecte malfaisant, le reptile odieux;

Un regret, un soupir, en quittant ces beaux lieux,
Me patront au-delà mes soins et mon asile.

Voilà mes seuls désirs: puissent-ils plaire aux Dieux !
O vallon fortuné! paisibles promenades!
Tout ce faste imposant que Paris va m'offrir,
Ces palais, ces jardins, et leurs tristes Naïades,
Du besoin de vous voir ne sauraient me guérir :
Entre vos monts altiers, au bruit de vos cascades,
Que ne m'est-il donné de vivre et de mourir !

Casimir DELAVIGNE.

LÉONIDAS AUX TROIS CENTS SPARTIATES.

EH BIEN! écoutez donc l'espoir qu'un dieu m'inspire,
Et le but salutaire où notre mort aspire!

Contre ce roi barbare, et qui compte aux combats
Autant de nations que nos rangs de soldats,a

Que pourraient tous les Grecs? Puissance inattendue,
Il faut qu'une vertu, même à Sparte inconnue,
Frappe, étonne, confonde un despote orgueilleux.
De notre sang versé va sortir, en ces lieux,
Une leçon sublime; elle enseigne à la Grèce
Le secret de sa force, aux Perses leur faiblesse.
Devant nos corps sanglants on verra le grand roi
Pâlir de sa victoire, et reculer d'effroi ;

Ou, s'il ose franchir le pas des Thermopyles,
Il frémira d'appendre, en marchant sur nos villes,
Que dix mille après nous y sont prêts pour la mort.
Mais, que dis-je ? dix mille! ô généreux transport!
Notre exemple en héros va féconder la Grèce !
Un cri vengeur succède au cri de sa détresse :
Patrie! indépendance! A ce cri tout répond
Des monts de Messénie aux mers de l'Hellespont,
Et cent mille héros, qu'un saint accord anime,
S'arment, en attestant notre mort unanime.
Au bruit de leurs serments, sur ces rochers sacrés,
Réveillez-vous alors, ombres qui m'entourez !
Voyez en fugitif, sur une frêle barque,

L'Hellespoint emporter ce superbe monarque,
Et la Grèce, éclipsant ses exploits les plus beaux,
Rassurer son Olympe au pied de nos tombeaux.

Si de tels intérêts j'ose un moment descendre,
Amis, je vous dirai quel culte à notre cendre

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