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Ton Dieu que tu trahis, ton Dieu que tu blasphèmes, Pour toi, pour l'univers, est mort en ces lieux mêmes; En ces lieux où mon bras le servit tant de fois, En ces lieux où son sang te parle par ma voix. Vois ces murs, vois ce temple, envahis par tes maîtres Tout annonce le Dieu qu'ont vengé tes ancêtres. Tourne les yeux; sa tombe est près de ce palais ; C'est ici la montagne où, lavant nos forfaits, Il voulut expirer sous les coups de l'impie; C'est là que de la tombe il rappela sa vie. Tu ne saurais marcher dans cet auguste lieu, Tu n'y peux faire un pas sans y trouver ton Dieu; Et tu n'y peux rester sans renier ton père, Ton honneur qui te parle, et ton Dieu qui t'éclaire. Je te vois dans mes bras et pleurer et gémir, Sur ton front pâlissant Dieu met le repentir; Je vois la vérité dans ton cœur descendue; Je retrouve ma fille après l'avoir perdue; Et je reprends ma gloire et ma félicité, En dérobant mon sang à l'infidélité.

VOLTAIRE. Zaïre.

L'ORAGE.

On voit à l'horizon de deux points opposés
Des nuages monter dans les airs embrasés;
On les voit s'épaissir, s'élever et s'étendre.
D'un tonnerre éloigné le bruit s'est fait entendre:
Les flots en ont frémi, l'air en est ébranlé,
Et le long du vallon le feuillage a tremblé ;
Les monts ont prolongé le lugubre murmure,
Dont le son lent et sourd attriste la nature.
Il succède à ce bruit un calme plein d'horreur,
Et la terre en silence attend dans la terreur.

Des monts et des rochers le vaste amphithéâtre
Disparoît tout à coup sous un voile grisâtre ;
Le nuage élargi les couvre de ses flancs;
Il pése sur les airs tranquilles et brûlants.

Mais des traits enflammés ont sillonné la nue,
Et la foudre, en grondant, roule dans l'étendue;
Elle redouble, vole, éclate dans les airs:
Leur nuit est plus profonde; et de vastes éclairs
En font sortir sans cesse un jour pâle et livide.
Du couchant ténébreux s'élance un vent rapide
Qui tourne sur la plaine, et, rasant les sillons,
Enlève un sable noir qu'il roule en tourbillons.
Ce nuage nouveau, ce torrent de poussière,
Dérobe à la campagne un reste de lumière.

a

La peur, l'airain sonnant, dans les temples sacrés
Font entrer à grands flots les peuples égarés.
Grand Dieu! vois à tes pieds leur foule consternée
Te demander le prix des travaux de l'année.

Hélas! d'un ciel en feu les globules glacés
Écrasent en tombant les épis renversés.
Le tonnerre et les vents déchirent les nuages;
Le fermier de ses champs contemple les ravages,
Et presse dans ses bras ses enfants effrayés.
La foudre éclate, tombe; et des monts foudroyés
Descendent à grand bruit les graviers et les ondes,
Qui courent en torrents sur les plaines fécondes.
O récolte! ô moissons! tout périt sans retour:
L'ouvrage de l'année est détruit dans un jour.

SAINT-LAMBERT. Les Saisons.

MORT D'ANNE DE BOULEN.

SIRE, chargé par vous d'un ordre de clémence,
Je courois à la mort enlever l'innocence,

Je vois de tous côtés vos sujets éperdus,
Vos malheureux sujets à grands flots répandus
Dans la place où leur Reine, indignement traînée,
Devoit sur l'échafaud finir sa destinée.

Ils venoient voir mourir ce qu'ils ont adoré.
Je vole au-devant d'eux, et d'espoir enivré,
En mots entrecoupés, de loin, tout hors d'haleine,
Je m'écrie: "Arrêtez! sauvez, sauvez la Reine;
Grâce, pardon je viens, je parle au nom du Roi.”
Ils ne m'ont répondu que par un cri d'effroi.
A ces clameurs succède un plus affreux silence;
J'interroge on se tait. Je frémis, je m'avance:
Je lis dans tous les yeux ; je ne vois que des pleurs :
Un deuil universel remplissoit tout les cœurs.
J'étois glacé de crainte; et cependant la foule
S'entr'ouvre, me fait place, et lentement s'écoule :
J'arrive au lieu fatal, j'appelle.... Il n'est plus temps,
O Reine, j'aperçois vos restes palpitants!
J'ai vu son sang, j'ai vu cette tête sacrée,
D'un corps inanimé maintenant séparée.
Ses yeux, environnés des ombres de la mort,
Sembloient vers ce séjour se tourner sans effort;
Ses
yeux où la vertu répandoit tous ses charmes,
Ses yeux encor mouillés de leurs dernières larmes.
Femmes, enfants, vieillards, regardoient en tremblant
Ces augustes débris, ce front pâle et sanglant.
Des vengeances des lois l'exécuteur farouche,
Lui-même consterné, les sanglots à la bouche,

Détournoit ses regards d'un spectacle odieux,

Et s'étonnoit des pleurs qui tomboient de ses yeux.
Mille voix condamnoient des juges homicides.
J'ai vu des citoyens baisant ses mains livides,
Raconter ses bienfaits, et, les bras étendus,
L'invoquer dans le ciel, asyle des vertus.

Au milieu de l'opprobre on lui rendoit hommage.
Chacun tenoit sur elle un différent langage.
Mais tous la bénissoient; tous, avec des sanglots,
De ses derniers discours répétoient quelques mots.
Elle a parlé d'un frère, honneur de sa famille,
Du Roi, de vous, Madame, et surtout de sa fille.
A ses tristes sujets, elle a fait ses adieux,

Et son âme innocente a monté vers les cieux.

CHENIER. Henri VIII.

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R

L'APOLLON DU BELVÉDÈRE.

O prodige! long-temps dans sa masse grossière,
Un vil bloc enferma le Dieu de la lumière.

L'art commande, et d'un marbre Apollon est sorti ;
Son œil a vu le monstre, et le trait est parti;
Son arc frémit encore entre ses mains divines;
Un courroux dédaigneux a gonflé ses narines :a
Avec ses yeux perçants, devant qui l'avenir,
Le passé, le présent, viennent se réunir,
Du haut de sa victoire ↳ il regarde sa proie,
Et rayonne d'orgueil, de jeunesse et de joie.
Chez lui rien n'est mortel: avec la majesté
Son air aérien joint la légèreté;

b

A peine sur la terre il imprime sa trace;
Ses cheveux sur son front sont noués avec grâce.
D'un tout harmonieux j'admire les accords;
L'œil avec volupté glisse sur ce beau corps.
A son premier aspect, je m'arrète, je rêve;
Sans m'en apercevoir ma tête sa relève,

Mon maintien s'ennoblit. Sans temple, sans autels,
Son air commande encor l'hommage des mortels;
Et, modèle des arts et leur première idole,

Seul il semble survivre au Dieu du Capitole.

DELILLE. L'Imagination.

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