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LE LIVRE DE LA RAISON.

LORSQUE le ciel, prodigue en ses présents,
Combla de biens tant d'êtres différents,
Ouvrages merveilleux de son pouvoir suprême,
De Jupiter l'homme reçut, dit-on,
Un livre écrit par Minerve elle-même,
Ayant pour titre la Raison.

Ce livre, ouvert aux yeux de tous les âges,
Les devoit tous conduire à la vertu ;
Mais d'aucun d'eux il ne fut entendu,
Quoiqu'il contînt les leçons les plus sages.
L'enfance y vit des mots, et rien de plus;
La jeunesse, beaucoup d'abus;
L'âge suivant, des regrets superflus;
Et la vieillesse en déchira les pages.

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LE VOYAGEUR ÉGARÉ DANS LES NEIGES DU SAINT-BERNARD.

La neige au loin accumulée

En torrents épaissis tombe du haut des airs,

Et sans relâche amoncelée

Couvre du Saint-Bernard les vieux sommets déserts.

Plus de routes, tout est barrière;

L'ombre accourt, et déjà, pour la dernière fois,

Sur la cime inhospitalière

Dans les vents de la nuit l'aigle a jeté sa voix.

A ce cri, d'effroyable augure,

Le voyageur transi n'ose plus faire un pas ;
Mourant, et vaincu de froidure,

Au bord d'un précipice il attend le trépas.

Là, dans sa dernière pensée,

Il songe à son épouse, il

songe à ses enfants :

Sur sa couche affreuse et glacée

Cette image a doublé l'horreur de ses tourments.

C'en est fait; son heure dernière

Se mesure pour lui dans ces terribles lieux ;

Et chargeant sa froide paupière,
Un funeste sommeil déjà cherche ses yeux.

Soudain, ô surprise! ô merveille! D'une cloche il a cru reconnoître le bruit;

Le bruit augmente à son oreille;

Une clarté subite a brillé dans la nuit.

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Tandis qu'avec peine il écoute,

A travers la tempête un autre bruit s'entend:
Un chien jappe, et s'ouvrant la route,
Suivi d'un solitaire, approche au même instant.

Le chien, en aboyant de joie,
Frappe du voyageur les regards éperdus :
La Mort laisse échapper sa proie,
Et la Charité compte un miracle de plus.

CHÊNEDOLLÉ. Etudes Poétiques.

EXISTENCE DE DIEU.

LES cieux instruisent la terre
A révérer leur Auteur :

Tout ce que leur globe enserre
Célèbre un Dieu créateur.
O quel sublime cantique,
Que ce concert magnifique
De tous les célestes corps !
Quelle grandeur infinie!
Quelle divine harmonie
Résulte de leurs accords!

De sa puissance immortelle
Tout parle, tout nous instruit.
Le jour au jour la révèle,
La nuit l'annonce à la nuit.

Ce grand et superbe ouvrage

N'est point pour l'homme un langage
Obscur et mysterieux :

Son adorable structure

Est la voix de la nature

Qui se fait entendre aux yeux.

Dans une éclatante voûte
Il a placé de ses mains
Ce soleil qui, dans sa route,
Éclaire tous les humains.
Environné de lumière,

Cet astre ouvre sa carrière
Comme un époux glorieux,
Qui, dès l'aube matinale,
De sa couche nuptiale
Sort brillant et radieux.

L'univers, à sa présence,
Semble sortir du néant.
Il prend sa course, il s'avance
Comme un superbe géant.
Bientôt sa marche féconde
Embrasse le tour du monde
Dans le cercle qu'il décrit ;
Et, par sa chaleur puissante,
La nature languissante,

Se ranime et se nourrit.

O que tes œuvres sont belles,

Grand Dieu! quels sont tes bienfaits!

Que ceux qui te sont fidèles

Sous ton joug trouvent d'attraits!

Ta crainte inspire la joie ;

Elle assure notre voie,

Elle nous rend triomphants;

Elle éclaire la jeunesse,

Et fait briller la sagesse

Dans les plus foibles enfants.

J. B. ROUSSEAU. Odes.

LA GRÈCE.

DANS la belle vallée où fut Lacédémone,
Non loin de l'Eurotas, et près de ce ruisseau,
Qui, formant son canal de débris de colonne,
Va sous des lauriers-rose ensevelir son eau,
Regardez c'est la Grèce et toute en un tableau.
Une femme est debout, de beauté ravissante,
Pieds nus; et sous ses doigts un indigent fuseau,
File, d'une quenouille empruntée au roseau,a
Du coton floconneux la neige éblouissante.
Un pâtre d'Amyclée, auprès d'elle placé,
Du bâton recourbé, de la courte tunique,
Rappelle les bergers d'un bas-relief antique.
Par un instinct charmant, et sans art adossé
Contre un vase de marbre à demi renversé,
Comme aux jours solennels des fêtes d' Hyacinthe,c
Des fleurs du glatinier sa tête encore est ceinte.
Sous sa couronne à l'ombre, il regarde, surpris,
Trois voyageurs d'Europe, au pied d'un chêne assis.
Le chemin est auprés. Sur un coursier conduite,
La musulmane y passe, et de l'œil du mépris
Regarde; et l'Africain marche et porte à sa suite
Dans une cage d'or sa perdrix favorite :
Cependant qu'un aga, dans un riche appareil,
Rapide cavalier au front sombre et sévère,
Sous un galop bruyant fait rouler la poussière.
De ses armes d'argent que frappe le soleil,
Parmi les oliviers scintille la lumière.

Il nous lance en passant des regards scrutateurs.
Voilà Sparte: voilà la Grèce tout entière.

Un esclave, un tyran. des débris, et des fleurs,

P. LEBRUN. Voyage de Grèce.

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