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Mais rien pour réparer ma vigueur épuisée.
Mon toit est loin encor, et fût-il près, hélas!
Mes genoux chancelans sous le poids qui m'accable,
Ne sauraient plus me traîner à cent pas.
Pourtant contre les Dieux je ne murmure pas :
Ils m'ont tendu toujours une main secourable."
Il dit, et sur son faix il s'étend. Moi, soudain
Je vole ici. Sans rien dire à ma mère,

Je prends des fruits nouveaux, du lait frais, et du pain,
Et cours soulager sa misère.

Il reposait. Sans bruit j'entre sous le rocher;
Je pose auprès de lui ma coupe et ma corbeille,
Et parmi des buissons je m'en vais me cacher.
Une heure passe, il se réveille.

"Que le sommeil," dit-il, "est un Dieu bienfaisant !
Le soir s'avance, allons: quittons cette retraite."
Et reprenant son faix: "Dieux! ccmme il est pesant!
Mais n'a-t-il pas servi pour reposer ma tête ?
Peut-être que les Dieux voudront guider mes pas.
Je puis, dan ces déserts, trouver une chaumière."
A ses côtés alors il voit ma panetière,

Et son fardeau retombe de son bras. "Malheureux que je suis! quel est ce vain mensonge Qui m'égare dans mon sommeil ?

Je rêve encore. A mon réveil,

Tout va fuir: mais non, non...ah! ce n'est point un songe."
Il prend du lait, des fruits. "O mortel généreux,
Qui te plais à cacher ta noble bienfaisance!

Reçois les doux transports de ma reconnaissance!
Que ne puis-je te voir et t'embrasser! Grands Dieux !
Sur lui, sur tous les siens, répandez l'abondance.
Je suis rassasié, mais j'emporte ces fruits.

Je veux que mes enfants, ma femme s'en nourrissent:
Qu'en une voix, ce soir, tous nos cœurs réunis,
Chantent mon bienfaiteur, le chantent, le bénissent."

Il se lève à ces mots. Prompt à le devancer,

A travers les buissons, je cours dans la prairie,
Et m'assieds en un lieu qu'il devait traverser.
Il m'aperçoit. "Mon fils, viens, dis-moi, je te prie,
Aurais-tu vu quelqu'un passer?"

"Non," dis-je, "bon vieillard.

Sans doute,

Tu t'es égaré dans ta route."

Mais d'où viens-tu?

-Oui, mon ami; j'allais au village prochain.
Étranger dans ces lieux, je ne puis les connaître.
Je croyais par ce bois abréger mon chemin,
Mais il est si désert, que sans un Dieu, peut-être,
Je serais déjà mort et de soif et de faim.

"Eh bien! à ce village, allons, que je te mène,”
Lui dis-je, "et sur mon bras appuie un peu ta main,
Pour me suivre avec moins de peine :

Si j'étais assez fort, je prendrais ton fardeau."
Et je le conduisis jusqu'au prochain hameau.

Tu l'as voulu savoir. Eh bien! voilà, mon père,
Ce qui de joie encor me fait tout tressaillir.

Ce que j'ai fait ne coûtait rien à faire,
Si tu savais pourtant combien j'ai de plaisir
D'avoir de ce pauvre homme adouci la misère!
Si je suis si content pour si peu, Dieux! combien
Doit être heureux celui qui fait beaucoup de bien!

"Le sort peut maintenant me ravir la lumière,” Dit Lycas, sur son cœur pressant son petit-fils : "Lorsque mes jours seront finis,

La bienfaisance encor vivra dans ma chaumière."

N

BERQUIN.

A UN PÈRE, SUR LA MORT DE SA FILLE.

TA douleur, Du Perrier, sera donc éternelle?
Et les tristes discours

Que te met en l'esprit l'amitié paternelle,
L'augmenteront toujours ?

Le malheur de ta fille au tombeau descendue
Par un commun trépas,

Est-ce quelque dédale a où ta raison perdue
Ne se retrouve pas ?

Je sais de quels appas son enfance étoit pleine,
Et n'ai pas entrepris,

Injurieux ami, de soulager ta peine,
Avecque son mépris.

Mais elle étoit du monde où les plus belles choses

Ont le pire destin;

Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
L'espace d'un matin.

La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles :
On a beau la prier,Þ

La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles,
Et nous laisse crier.

Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,
Est sujet à ses lois;

Et la garde qui veille aux barrières du Louvre,

N'en défend point nos Rois.

MALHERBE.

LE GRILLON.

UN pauvre petit grillon
Caché dans l'herbe fleurie,
Regardait un papillon

Voltigeant dans la prairie.

L'insecte ailé brillait des plus vives couleurs ; L'azur, le pourpre et l'or éclataient sur ses ailes : Jeune, beau, petit-maître, il court de fleurs en fleurs Prenant et quittant les plus belles.

"Ah!" disait le grillon, " que son sort et le mien Sont différens! Dame nature

Pour lui fit tout, et pour moi rien.

Je n'ai point de talent, encor moins de figure;
Nul ne prend garde à moi, l'on m'ignore ici-bas:
Autant vaudrait n'exister pas."

Comme il parlait, dans la prairie
Arrive une troupe d'enfans :
Aussitôt les voilà courans

Après ce papillon dont ils ont tous envie.

Chapeaux, mouchoirs, bonnets, servent à l'attraper.
L'insecte vainement cherche à leur échapper;
Il devient bientôt leur conquête.

L'un le saisit par l'aile, un autre par le corps;
Un troisième survient, et le prend par la tête :
Il ne fallait pas tant d'efforts

Pour déchirer la pauvre bête.

"Oh! oh!" dit le grillon, "je ne suis plus fâché; Il en coûte trop cher pour briller dans le monde. Combien je vais aimer ma retraite profonde !

Pour vivre heureux vivons caché."

FLORIAN.

AUX NYMPHES DE VAUX, OU L'INCONSTANCE DE LA FORTUNE.

LES Destins sont contents, Oronte est malheureux.
Vous l'avez vu naguère au bord de vos fontaines,
Qui, sans craindre du sort les faveurs incertaines,
Plein d'éclat, plein de gloire, adoré des mortels,
Recevoit des honneurs qu'on ne doit qu'aux autels.
Hélas! qu'il est déchu de ce bonheur suprême!
Que vous le trouveriez différent de lui-même !
Pour lui les plus beaux jours sont de secondes nuits;
Les soucis dévorants, les regrets, les ennuis,

Hôtes infortunés de sa triste demeure,

En des gouffres de maux le plongent à toute heure.
Voilà le précipice où l'ont enfin jeté

Les attraits enchanteurs de la prospérité.

Dans les palais des Rois cette plainte est commune;
On n'y connoît que trop les jeux de la Fortune,
Ses trompeuses faveurs, ses appas inconstants;
Mais on ne les connoît que quand il n'est plus temps.a
Lorsque sur cette mer on vogue à pleines voiles,
Qu'on croit avoir pour soi le vent et les étoiles,
Il est bien malaisé de régler ses désirs;

Le plus sage s'endort sur la foi des zéphyrs.
Jamais un favori ne borne sa carrière; b
Il ne regarde pas ce qu'il laisse en arrière ; ©
Et tout ce vain amour des grandeurs et du bruit
Ne le sauroit quitter après l'avoir détruit.a

Tant d'exemples fameux que l'histoire raconte Ne suffisoient-ils pas sans la perte d'Oronte ?

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