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soit de force, prirent le même parti; le reste de l'armée eut le temps de sortir du défilé.

Cependant ce prince se disposoit à la plus hardie des entreprises. "Ce n'est point ici," dit-il à ses compagnons, “que nous devons combattre; il faut marcher à la tente de Xerxès, l'immoler ou périr au milieu de son camp." Ses soldats ne répondirent que par un cri de joie. Il leur fait prendre un repas frugal, en ajoutant: "Nous en prendrons bientôt un autre chez Pluton." Toutes ses paroles laissoient une impression profonde dans les esprits. Près d'attaquer l'ennemi, il est ému sur le sort de deux Spartiates qui lui étoient unis par le sang et par l'amitié; il donne au premier une lettre, au second une commission secrète pour les magistrats de Lacédémone. "Nous ne sommes pas ici," disent-ils, pour porter des ordres, mais pour combattre;" et, sans attendre sa réponse, ils vont se placer dans les rangs qu'on leur avoit assignés.

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Au milieu de la nuit, les Grecs, Léonidas à leur tête, sortent du défilé, avancent à pas redoublés dans la plaine, renversant les postes avancés, et pénètrent dans la tente de Xerxès, qui avoit déjà pris la fuite; ils entrent dans les tentes voisines, se répandent dans le camp, et se rassasient de carnage. La terreur qu'ils inspirent se reproduit à chaque instant, avec des circonstances plus effrayantes. Des bruits sourds, des cris affreux annoncent que les troupes d'Hydarnès sont détruites, que toute l'armée le sera bientôt par les forces réunies de la Grèce. Les plus courageux des Perses ne pouvant entendre la voix de leurs généraux, ne sachant où porter leurs pas, où diriger leurs coups, se jetoient au hasard dans la mêlée, et périssoient par les mains les uns des autres, lorsque les premiers rayons du soleil offrirent à leurs yeux le petit nombre des vainqueurs. Ils se forment aussitôt, et attaquent les Grecs de toutes parts. Léonidas tombe sous une grêle de traits. L'honneur d'enlever son corps engage un combat terrible entre ses compagnons et les troupes les plus aguerries de l'armée persane. Deux frères de Xerxès, quantité de Perses, plusieurs Spartiates y perdirent la vie. A la fin, les

Grecs, quoique épuisés et affoiblis par leurs pertes, enlèvent leur général, repoussent quatre fois l'ennemi dans leur retraite; et, après avoir gagné le défilé, franchissent le retranchement, et vont se placer sur la petite colline qui est auprès d'Anthéla: ils s'y défendirent encore quelques moments, et contre les troupes qui les suivoient, et contre celles qu'Hydarnès amenoit de l'autre côté du détroit.

Ombres généreuses, votre mémoire subsistera plus longtemps que l'Empire des Perses, auxquels vous avez résisté, et, jusqu'à la fin des siècles, votre exemple produira dans les cœurs qui chérissent leur patrie, le recueillement ou l'enthousiasme de l'admiration.

Avant que l'action fût terminée, quelques Thébains, à ce qu'on prétend, se rendirent aux Perses. Les Thespiens partagèrent les exploits et la destinée des Spartiates, et cependant la gloire des Spartiates a presque éclipsé celle des Thespiens. Parmi les causes qui ont influé sur l'opinion publique, on doit observer que la résolution de périr aux Thermopyles fut dans les premiers un projet conçu, arrêté et suivi avec autant de sang-froid que de constance; au lieu que dans les seconds, ce ne fut qu'une saillie de bravoure et de vertu, excitée par l'exemple. Les Thespiens ne s'élevèrent au-dessus des autres hommes, que parce que les Spartiates s'étoient élevés au-dessus d'eux-mêmes.

Lacédémone s'enorgueillit de la perte de ses guerriers : tout ce qui la concerne inspire de l'intérêt. Pendant qu'ils étoient aux Thermopyles, un Trachinien, voulant leur donner une haute idée de l'armée de Xerxès, leur disoit que le nombre de leurs traits suffiroit pour obscurcir le soleil. "Tant mieux," répondit le Spartiate Diénécès, "nous combattrons à l'ombre." Un autre, envoyé par Léonidas à Lacédémone étoit retenu au bourg d'Alpénus par une fluxion sur les yeux, on vint lui dire que le détachement d'Hydarnès étoit descendu de la montagne, et pénétroit dans le défilé. Il prend aussitôt ses armes, ordonne à son esclave

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de le conduire à l'ennemi, l'attaque au hasard, et reçoit la mort qu'il en attendoit.

Deux autres, également absents par ordre du général, furent soupçonnés, à leur retour, de n'avoir pas fait tous leurs efforts pour se trouver au combat. Ce doute les couvrit d'infamie l'un s'arracha la vie; l'autre n'eut d'autre ressource que de la perdre quelque temps après à la bataille de Platée.

Le dévouement de Léonidas et des ses compagnons produisit plus d'effet que la victoire la plus brillante. Il apprit aux Grecs le secret de leurs forces, aux Perses celui de leur foiblesse. Xerxès, effrayé d'avoir une si grande quantité d'hommes et si peu de soldats, ne le fut pas moins d'apprendre que la Grèce renfermoit dans son sein une multitude de défenseurs aussi intrépides que les Thespiens, et huit mille Spartiates semblables à ceux qui venoient de périr. D'un autre côté, l'étonnement dont ces derniers remplirent les Grecs, se changea bientôt en un désir violent de les imiter. L'ambition de la gloire, l'amour de la patrie, toutes les vertus furent portées au plus haut degré, et les âmes à une élévation jusqu'alors inconnue. C'est là le temps des grandes choses, et ce n'est pas celui qu'il faut choisir pour donner des fers à des peuples libres.

BARTHÉLEMY. Voyage d'Anacharsis.

LE PANIER DE FRAISES.

SUR la belle avenue de Paris à Bagnolet est une agréable habitation, nommée l'Ermitage, dont la grille donne sura le grand chemin. C'était au milieu du mois de mai, époque où ce joli pays produit les premières fraises qui paraissent dans la capitale.

Laure, fille d'un banquier de Paris, qui habitait cet ermitage, était un soir seule, assise derrière la grille, et s'amusait à

compter les petites économies qu'elle avait faites sur l'argent qu'on lui donnait chaque mois pour ses menus plaisirs.

Au moment où elle formait mille et mille projets pour employer un louis qu'elle avait amassé depuis plusieurs mois, elle entend jeter un cri dans l'avenue, regarde et aperçoit une jeune fille, nu-jambes et sans chaussures, dont le pied venait de glisser, et qui en tombant avait répandu sur la route plusieurs paniers de fraises qu'elle portait sur sa tête. Des pleurs coulaient en abondance sur les joues de Babet (c'était le nom de la jeune fille). Elle s'écriait avec l'accent du désespoir: "Que je suis malheureuse! entrée c'matin au service de Jean-Pierre, la première fois que j'vais cueillir dans ses jardins, il faut que j'aie le malheur de répandre le produit de son travail et de ses soins. J'suis hors d'état d'lui en rembourser le prix: il va me chasser d'chez lui; peut-être m'faire passer dans l'village pour une malhonnête fille . . . . Ma pauvre mère, qui n'avez qu'moi pour soutien, ô ma pauvre mère qu'allez-vous d'venir ??? a

En achevant ces mots, Babet ramassait à la hâte le peu de fraises échappées au désastre, et dont à peine elle put former un panier, tout le reste se trouvant écrasé dans sa chute, et confondu dans la poussière.

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Ces touchantes paroles: Ma pauvre mère qu'allez-vous devenir? pénétrèrent jusqu'au fond du cœur de Laure. “Jeune fille," lui dit-elle en l'appelant du doigt, « a combien pouvaient monter les paniers de fraises que vous regrettez si fort?" “Hélas! ma belle d'moiselle, de six il ne m'en reste qu'un : cinq, à quatre francs pièce, vu que c'est dans la primeur, ça fait....." Elle comptait sur ses doigts... ." Vingt francs!" s'écria Laure." Tant qu'ça !" reprit Babet. "C'est pus que je n'gagne en deux mois. Comment f'rai-je ? O ma pauvre mère ! qu'allez-vous d'venir?"

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"Eh bien," dit Laure, ouvrant doucement la grille, “confiezvous à moi, jeune fille, et je me fais forti de réparer l'accident qui vient de vous arriver. Donnez-moi ce seul panier qui vous reste, et prenez ce louis: c'est justement le prix des six que vous

aviez. Vous direz à votre maître que vous avez vendu le tout aux habitans de l'Ermitage: par ce moyen, vous ne lui ferez éprouver aucune perte, vous serez toujours l'appui de votre mère, et moi je n'aurai jamais fait un meilleur usage de mes petites économies."

Babet, émue, surprise, remit à Laure son dernier panier de fraises, baisa plusieurs fois ses bienfaisantes mains, ainsi que le louis que la sauvait de tant de malheurs, et regagna le village. De son côté, Laure, heureuse et fière d'avoir aussi utilement employé son argent, emporta dans sa chambre le panier qui lui était devenu si cher, se proposant bien de manger les fraises qui lui appartenaient à si juste titre, et surtout d'augmenter le prix d'une aussi bonne action en la tenant secrète pour tout le monde.

Mais le père de Laure avait vu à travers la jalousie de son cabinet tout ce qui s'était passé. Suivant sa fille des yeux, it l'avait aperçue emportant furtivement le panier de fraises, qu'il alla prendre dans la chambre de Laure dès qu'elle en fut descendue, et la rejoignit bientôt au salon où elle brodait auprès de sa mère. Il leur annonça que la plupart de ses amis devaient se réunir le lendemain à dîner chez lui; que parmi ces amis il se trouvait un petit nombre de personnes de distinction; et que, étant flatté de les posséder, il désirait que le repas fût aussi splendide que la société serait brillante.

Après une assez longue conversation, dans laquelle le père de Laure ne put s'empêcher de prodiguer à sa fille les plus tendres caresses, celle-ci remonta dans sa chambre pour revoir son cher panier, et manger quelques fraises, qui lui semblaient les meilleures qu'elle eût croquées' de sa vie. Mais combien elle fut surprise de ne plus trouver ce précieux dépôt! Elle cherche, s'inquiète, fait des questions indirectes à tous les gens de la maison: personne ne savait ce qu'elle voulait dire; son père seul jouissait de son aimable embarras.

Le lendemain se réunirent de nombreux convives. Le dessert le plus somptueux leur fut offert. Il était composé de tout ce que le luxe peut inventer : des sucreries les plus rares,

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