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LES FLEURS.

O! COMME chaque fleur, en ce riant dédale,
Prodigue aux sens charmés sa grâce végétale!
Noble fils du Soleil, le lis majestueux

Vers l'astre paternel dont il brave les feux
Élève avec orgueil sa tête souveraine;

Il est le Roi des fleurs dont la rose est la Reine.
L'obscure violette, amante des gazons,

Aux pleurs de leur rosée entremêlant ses dons,
Semble vouloir cacher, sous leurs voiles propices,
D'un pudique parfum les discrètes délices;
Pur emblème d'un cœur qui répand en secret
Sur le malheur timide un modeste bienfait !
Le narcisse, plus loin, isolé sur la rive,
S'incline réfléchi dans l'onde fugitive;
Cette onde, cette fleur s'embellit à mes yeux,
Par le doux souvenir du ruisseau fabuleux : 2
Tant les illusions des poétiques songes

Nous font encore aimer leurs antiques mensonges!

Vois l'hyacinthe ouvrir sa corolle d'azur,

Le riche œillet, ami d'un air tranquille et pur,

Varier ses couleurs d'une teinte inégale,

Le muguet arrondir l'argent de son pétale,
Et l'épais chèvre-feuille errer en longs festons.
La rose te sourit à travers ses boutons :
Heureux, en la voyant, du baiser qu'il espère,
Le berger la promit au sein de sa bergère !
Fleur chère à tous les cœurs! elle pare à la fois
Et le chaume du pauvre et le marbre des Rois;
Elle orne tous les ans la beauté la plus sage; b
Le prix de l'innocence en est aussi l'image.

BOISJOLIN. La Botanique.

LE SACRIFICE DES PETITS ENFANTS.

MIRTIL ET CHLOÉ.

LE tendre enfant Mirtil, au lever de l'aurore,a
Vit la plus jeune de ses sœurs

Tristement occupée à rassembler des fleurs.
En les réunissant, Chloé mêlait ses pleurs
Aux larmes du matin qui les baignaient encore.
Elle laissa couler deux ruisseaux de ses yeux,
Sitôt qu'elle aperçut son frère.

CHLOÉ.

Hélas! Mirtil, bientôt nous n'aurons plus de père! Que notre sort est douloureux !

MIRTIL.

Ah! s'il allait mourir, ce père qui nous aime!
Ma sœur, il est si vertneux !

Il a tant d'amour pour les dieux !

CHLOÉ.

Oui, Mirtil, et les dieux devraient l'aimer de même.

MIRTIL.

O ma sœur, comme ici tout me paraît changer!
Comme touts les objets semblent dans la tristesse !
En vain mon agneau me caresse ;
Depuis cinq jours je le délaisse,

Et c'est une autre main qui lui donne à manger.
Vainement mon ramier s'approche de ma bouche:
De mes plus belles fleurs je n'ai point de souci ; ©
Enfin, ce que j'aimais n'a plus rien qui me touche ;
Mon père, si tu meurs, je veux mourir aussi.

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CHLOÉ.

Hélas! Il t'en souvient, mon frère !

Cinq jours bien longs se sont passés Depuis que sur son sein nous tenant embrassés

Il se mit à pleurer....

MIRTIL.

Oui, Chloé. Ce bon père !

Comme il devint pâle et tremblant !

"Mes enfants," disait-il, "je suis bien chancelant :
Laissez-moi... Je succombe au mal qui me tourmente."
Il se traîna jusqu'à son lit.
Depuis ce temps il s'ffaiblit,

Et touts les jours son mal augmente.

CHLOÉ.

Écoute quel est mon dessein :

Si tu me vois de grand matin à

Occupée à cette guirlande,

C'est qu'au dieu des bergers j'en veux faire une offrande. Notre mère nous dit toujours

Que les dieux sont cléments, qu'ils prêtent leur secours Aux simples vœux de l'innocence ;

Moi, je veux du dieu Pan implorer la clémence ;

Et vois-tu cet oiseau, mon unique trésor ?
Eh bien ! je veux au dieu le présenter encor.

MIRTIL,

O ma sœur! attends-moi, je n'ai qu'un pas à faire : * De mes fruits les plus beaux j'ai rempli mon panier; Je vais l'aller chercher; et, pour sauver mon père, Je veux y joindre mon ramier.

Ces mots finis, il court, va saisir sa richesse,
Et sous un poids si doux il revole à l'instant :
Il souriait en le portant,

Tour-à-tour agité d'espoir et de tristesse.

Les voilà tous deux en chemin f

Pour arriver aux pieds de la statue.
Elle se présentait sur un côteau voisin

Que des pins ombrageaient de leur cime touffue.
Là, s'étant prosternés devant le dieu des champs,
Ils élèvent vers lui leurs timides accents.

CHLOÉ.

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Daigne, ô dieu bergers, agréer mon offrande,
Et laisse-toi toucher aux pleurs que je répands!
Tu vois, je n'ai qu'une guirlande;

A tes genoux je la suspends :

J'en ornerais ton front, si j'étais assez grande.
O dieu, rends notre père à ses pauvres enfants!

MIRTIL.

toi!

Conserve ce bon père, ô dieu! Sois-nous propice :
Voilà mes plus beaux fruits, que j'ai cueillis pour
Si mon plus beau chevreau n'était plus fort que moi,
J'en aurais fait le sacrifice.

Quand je serai plus grand, j'en immolerai deux,
Si tu vois en pitié deux enfants malheureux,

CHLOÉ.

Nous partageons les maux que notre père endure. Quel don peut te fléchir ?.. Tiens, voilà mon oiseau ! C'est pourtant tout mon bien, ô Pan, je te le jure. Vois, il vient dans ma main chercher sa nourriture, Et je veux que ma main lui serve de tombeau.i

MIRTIL.

O Pan! que faut-il pour te plaire ? Regarde mon ramier, je le vais appeler. Veux-tu sa vie? Elle m'est chère :

Mais, pour que tu sauves mon père,

Je vais.... oui, dieu puissant, je vais te l'immoler.

Et leurs petites mains tremblantes
Saisissaient des oiseaux les ailes frémissantes.
Déjà, glacés de crainte, ils détournaient les yeux,
Pour commencer leurs sacrifices.

Mais une voix s'élève: “Enfants trop généreux !
Arrètez! L'innocence intéresse les dieux.
Gardez-vous d'immoler ce qui fait vos délices!
Je rends votre père à vos vœux.”

Leur père fut sauvé. Ce jour même avec eux
Il alla du dieu Pan bénir la bienfaisance.
Il passa de longs jours au sein de l'abondance,
Et vit naître les fils de ses petits-neveux.

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