Page images
PDF
EPUB

du jour, je viendrai avec ma serpette, et ritz, ratz,a je jetterai à bas toutes ces broussailles. Vous viendrez aussi avec moi, mon papa; vous porterez votre grand couteau de chasse, et l'expédition sera faite avant l'heure du déjeûner." "Nous songerons à ton projet," lui répondit M. d'Ogères. "En attendant, ne sois pas si injuste envers ces buissons, et rappelle-toi ce que nous faisons vers la St. Jean."b

Armand. Et quoi donc, mon papa?

M. d'Ogères. N'as-tu pas vu les bergers s'armer de grands ciseaux, et dérober aux brebis tremblantes, non pas des flocons légers de leur laine, mais toute leur toison?

Armand. Il est vrai, mon papa, parce qu'ils en ont besoin pour se faire des habits; mais les buissons qui les dépouillent par pure malice, et sans en avoir aucun besoin !

M. d'Ogères. Tu ignores à quoi ces dépouilles peuvent leur servir; mais supposons qu'elles leur soient inutiles, le seul besoin d'une chose est-il un droit pour se l'approprier?

Armand. Mon papa, je vous ai entendu dire que les brebis perdent naturellement leur toison vers ce temps de l'année ; ainsi il vaut bien mieux la prendre pour notre usage que de la laisser tomber inutilement.

M. d'Ogères. Ta réflexion est juste. La nature a donné à toutes les bêtes leur vêtement, et nous sommes obligés de leur emprunter le nôtre, si nous ne voulons pas aller tout nus, et rester exposés aux injures cruelles de l'hiver.

Armand. Mais le buisson n'a pas besoin de vêtemens. Ainsi, mon papa, il n'est plus question de reculer; il faut dès demain jeter à bas toutes ces épines. Vous viendrez avec moi, n'est-ce pas ?d

M. d'Ogères. Je ne demande pas mieux. Allons, à demain au matin, dès la pointe du jour.

Armand, qui se croyait d'abord un héros, de la seule idée de détruire de son petit bras cette légion de voleurs, eut de la peine à s'endormir, occupé, comme il l'était, de ses victoires du lendemain. A peine les chants joyeux des oiseaux perchés sur les arbres voisins de ses fenêtres eurent-ils an

noncé le retour de l'aurore, qu'il se hâta d'éveiller son père. M. d'Ogères, de son côté, peu occupé de la destruction des buissons, mais charmé de trouver l'occasion de montrer à son fils les beautés ravissantes du jour naissant, ne fut pas moins empressé à sauter de son lit. Ils s'habillèrent à la hâte, prirent leurs armes, et se mirent en chemin pour leur expédition. Armand allait le premier, d'un air de triomphe, et M. d'Ogères avait bien de la peine à suivre ses pas. En approchant des buissons, ils virent de tous les côtés de petits oiseaux qui allaient et venaient, en voltigeant sur leurs branches. 66 Doucement," dit M. d'Ogères à son fils; suspendons un moment notre vengeance, de peur de troubler ces innocentes créatures. Remontons à l'endroit de la colline où nous étions assis hier au soir, pour examiner ce que les oiseaux cherchent sur ces buissons d'un air si affairé." Ils remontèrent la colline, s'assirent, et regardèrent. Ils virent que les oiseaux emportaient dans leurs becs les flocons de laine que les buissons avaient accrochés la veille aux brebis. Il venait des troupes de fauvettes, de pinsons, de linottes et de rossignols, qui s'enrichissaient de ce butin.

[ocr errors]

"Que veut dire cela ?" s'écria Armand tout étonné.

Ils

"Cela veut dire," lui répondit son père, "que la Providence prend soin des moindres créatures, et leur fournit toutes sortes de moyens pour leur bonheur et leur conservation. Tu le vois, les pauvres oiseaux trouvent ici de quoi tapisser l'habitation qu'ils forment d'avance pour leurs petits. se préparent un lit bien doux pour leur jeune famille. Ainsi, cet honnête buisson, contre lequel tu t'emportais hier si légèrement, allie les habitans de l'air avec ceux de la terre. Il demande au riche son superflu, pour donner au pauvre ses besoins. Veux-tu venir à présent le détruire?” Que le ciel nous en préserve!" s'écria Armand. Tu as raison, mon fils," reprit M. d'Ogères: "qu'il fleurisse en paix, puisqu'il fait de ses conquêtes un usage si généreux !"

[ocr errors]

BERQUIN. L'Ami des Enfants.

LA CONVERSATION.

LE ton de la bonne conversation est coulant et naturel; il n'est ni pesant ni frivole; il est savant sans pédanterie, gai sans tumulte, poli sans affectation, galant sans fadeur, badin sans équivoqne. Ce ne sont ni des dissertations, ni des épigrammes; on y raisonne sans argumenter, on y plaisante sans jeux de mots, on y associe avec art l'esprit et la raison, les maximes et les saillies, l'ingénieuse raillerie et la morale austère. On y parle de tout pour que chacun ait quelque chose à dire; on n'approfondit pas les questions de peur d'ennuyer; on les propose comme en passant, on les traite avec rapidité, la précision mène à l'élégance; chacun dit son avis et l'appuie en peu de mots; nul n'attaque avec chaleur celui d'autrui; nul ne défend opiniâtrément le sien. On dispute pour s'éclairer, on s'arrête avec la dispute, chacun s'instruit, chacun s'amuse, tous s'en vont contents: et le sage même peut rapporter de ces instructions des sujets dignes d'être médités en silence. J. J. ROUSSEAU.

COMBAT DES THERMOPYLES.

PENDANT la nuit, Léonidas avoit été instruit du projet des Perses, par des transfuges échappés du camp de Xerxès; et le lendemain matin, il le futa de leurs succès par des sentinelles accourues du haut de la montagne. A cette terrible nouvelle, les chefs des Grecs s'assemblèrent. Comme les uns étoient d'avis de s'éloigner des Thermopyles, les autres d'y rester, Léonidas les conjura de se réserver pour des temps plus heureux, et déclara que, quant à lui et à ses compagnons, il ne leur étoit pas permis de quitter un poste que Sparte leur avoit confié. Les Thespiens protestèrent qu'ils n'abandonneroient point les Spartiates; les quatre cents Thébains, soit de gré,

b

soit de force, prirent le même parti; le reste de l'armée eut le temps de sortir du défilé.

Cependant ce prince se disposoit à la plus hardie des entreprises. "Ce n'est point ici," dit-il à ses compagnons, "que nous devons combattre; il faut marcher à la tente de Xerxès, l'immoler ou périr au milieu de son camp." Ses soldats ne répondirent que par un cri de joie. Il leur fait prendre un repas frugal, en ajoutant: "Nous en prendrons bientôt un autre chez Pluton." Toutes ses paroles laissoient une impression profonde dans les esprits. Près d'attaquer l'ennemi, il est ému sur le sort de deux Spartiates qui lui étoient unis par le sang et par l'amitié; il donne au premier une lettre, au second une commission secrète pour les magistrats de Lacédémone. Nous ne sommes pas ici," disent-ils, " pour porter des ordres, mais pour combattre;” et, sans attendre sa réponse, ils vont se placer dans les rangs qu'on leur avoit assignés.

[ocr errors]

Au milieu de la nuit, les Grecs, Léonidas à leur tête, sortent du défilé, avancent à pas redoublés dans la plaine, renversant les postes avancés, et pénètrent dans la tente de Xerxès, qui avoit déjà pris la fuite; ils entrent dans les tentes voisines, se répandent dans le camp, et se rassasient de carnage, La terreur qu'ils inspirent se reproduit à chaque instant, avec des circonstances plus effrayantes. Des bruits sourds, des cris affreux annoncent que les troupes d'Hydarnès sont détruites, que toute l'armée le sera bientôt par les forces réunies de la Grèce. Les plus courageux des Perses ne pouvant entendre la voix de leurs généraux, ne sachant où porter leurs pas, où diriger leurs coups, se jetoient au hasard dans la mêlée, et périssoient par les mains les uns des autres, lorsque les premiers rayons du soleil offrirent à leurs yeux le petit nombre des vainqueurs. Ils se forment aussitôt, et attaquent les Grecs de toutes parts. Léonidas tombe sous une grêle de traits. L'honneur d'enlever son corps engage un combat terrible entre ses compagnons et les troupes les plus aguerries de l'armée persane. Deux frères de Xerxès, quantité de Perses, plusieurs Spartiates y perdirent la vie. A la fin, les

a

LA CONVERSATION.

LE ton de la bonne conversation est coulant et naturel; il n'est ni pesant ni frivole; il est savant sans pédanterie, gai sans tumulte, poli sans affectation, galant sans fadeur, badin sans équivoqne. Ce ne sont ni des dissertations, ni des épigrammes; on y raisonne sans argumenter, on y plaisante sans jeux de mots, on y associe avec art l'esprit et la raison, les maximes et les saillies, l'ingénieuse raillerie et la morale austère. On y parle de tout pour que chacun ait quelque chose à dire; on n'approfondit pas les questions de peur d'ennuyer; on les propose comme en passant, on les traite avec rapidité, la précision mène à l'élégance; chacun dit son avis et l'appuie en peu de mots; nul n'attaque avec chaleur celui d'autrui; nul ne défend opiniâtrément le sien. On dispute pour s'éclairer, on s'arrête avec la dispute, chacun s'instruit, chacun s'amuse, tous s'en vont contents: et le sage même peut rapporter de ces instructions des sujets dignes d'être médités en silence. J. J. ROUSSEAU.

COMBAT DES THERMOPYLES.

PENDANT la nuit, Léonidas avoit été instruit du projet des Perses, par des transfuges échappés du camp de Xerxès; et le lendemain matin, il le futa de leurs succès par des sentinelles accourues du haut de la montagne. A cette terrible nouvelle, les chefs des Grecs s'assemblèrent. Comme les uns étoient d'avis de s'éloigner des Thermopyles, les autres d'y rester, Léonidas les conjura de se réserver pour des temps plus heureux, et déclara que, quant à lui et à ses compagnons, il ne leur étoit pas permis de quitter un poste que Sparte leur avoit confié. Les Thespiens protestèrent qu'ils n'abandonneroient point les Spartiates; les quatre cents Thébains, soit de gré,

« PreviousContinue »