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que des difficultés à furmonter ; et dans tous les autres fyftêmes, on a des abfurdités à dévorer.

La philosophie nous montre bien qu'il y a un Dieu; mais elle eft impuiffante à nous apprendre ce qu'il eft, ce qu'il fait, comment et pourquoi il le fait; s'il eft dans le temps, s'il eft dans l'efpace, s'il a commandé une fois, ou s'il agit toujours, et s'il eft dans la matière, s'il n'y eft pas, &c. &c. Il faudrait être lui-même pour le favoir.

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DE L'ESPACE ET DE LA DURÉE, COMME PROPRIÉTÉS DE DIEU.

Sentiment de Leibnitz. Sentiment et raifons de Newton. Matière infinie impoffible. Epicure devait admettre un Dieu créateur et gouverneur. Propriétés de l'espace pur et de la durée.

NEWTON

EWTON regarde l'efpace et la durée comme deux êtres dont l'exiftence fuit néceffairement de DIEU même ; car l'Etre infini eft en tout lieu, donc tout lieu exifte: l'Etre éternel dure de toute éternité; donc une éternelle durée eft réelle.

Il était échappé à Newton de dire à la fin de fes questions d'optique: Ces phénomènes de la nature ne font-ils pas voir qu'il y a un Etre incorporel, vivant, intelligent, préfent par-tout, qui dans l'efpace infini, comme dans fon fenforium, voit, difcerne et comprend tout de la manière la plus intime et la plus parfaite?

Le célèbre philofophe Leibnitz, qui avait auparavant reconnu avec Newton la réalité de l'espace pur et de la durée, mais qui depuis long-temps n'était plus d'aucun avis de Newton, et qui s'était mis en Allemagne à la tête d'une école oppofée, attaqua ces expreffions du philofophe anglais, dans une lettre qu'il écrivit, en 1715, à la feue reine d'Angleterre, époufe de George II. Cette princeffe, digne d'être en commerce avec Leibnitz et Newton, engagea une dispute réglée par lettres entre les deux parties. Mais Newton, ennemi de toute difpute et avare de fon temps, laiffa le docteur Clarke, fon difciple en phyfique, et pour le moins fon égal en métaphyfique, entrer pour lui dans la lice. La difpute roula fur prefque toutes les idées métaphyfiques de Newton; et c'est peutêtre le plus beau monument que nous ayons des combats littéraires.

Clarke commença par justifier la compa raison prise du fenforium, dont Newton s'était

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fervi; il établit que nul être ne peut agir connaître, voir où il n'eft pas; or DIEU agiffant, voyant par-tout, agit et voit dans tous les points de l'efpace, qui en ce fens feul peut être confidéré comme fon fenforium, attendu l'impoffibilité où l'on eft en toute langue de s'exprimer quand on ose parler de DIEU. Leibnitz foutient que l'efpace n'eft rien, finon la relation que nous concevons entre les êtres coexiftans; rien, finon l'ordre des corps, leur arrangement, leurs distances, &c. Clarke, après Newton, foutient que fi l'efpace n'eft pas réel, il s'enfuit une abfurdité; car fi DIEU avait mis la terre, la lune et le foleil à la place où font les étoiles fixes, pourvu que la terre, la lune et le foleil fuffent entre eux dans le même ordre où ils font, il fuivrait de-là que la terre, la lune et le foleil feraient dans le même lieu où ils font aujourd'hui; ce qui eft une contradiction dans les termes.

Il faut, felon Newton, penfer de la durée comme de l'efpace, que c'eft une chose trèsréelle; car fi la durée n'était qu'un ordre de fucceffion entre les créatures, il s'enfuivrait que ce qui fe fefait aujourd'hui, et ce qui fe fit il y a des milliers d'années, ferait réellement fait dans le même inftant; ce qui eft encore contradictoire. Enfin l'espace et la

durée font des quantités ; c'eft donc quelque chofe de très-pofitif.

Il eft bon de faire attention à cet ancien argument, auquel on n'a jamais répondu : Qu'un homme aux bornes de l'univers étende fon bras, ce bras doit être dans l'efpace pur; car il n'eft pas dans le rien : et fi l'on répond qu'il eft encore dans la matière, le monde en ce cas eft donc réellement infini; le monde eft donc DIEU en ce fens.

L'espace pur, le vide exifte donc auffibien que la matière, et il exifte même néceffairement; au lieu que la matière, felon Clarke, n'exifte que par la libre volonté du créateur.

Mais, dit-on, vous admettez un efpace immense, infini; pourquoi n'en ferez-vous pas autant de la matière, comme tant d'anciens philofophes ? Clarke répond: L'espace exifte néceffairement, parce que DIEU exifte néceffairement; il eft immense; il eft comme la durée un mode, une propriété infinie d'un être néceffaire infini. La matière n'eft rien de tout cela, elle n'exifte point néceffairement; et fi cette fubftance était infinie, elle ferait ou une propriété effentielle de DIEU, OU DIEU même; or elle n'eft ni l'un ni l'autre; elle n'eft donc pas infinie, et ne faurait l'être.

On peut répondre à Clarke: La matière

exifte néceffairement fans être pour cela infinie, fans être DIEU; elle exifte, parce qu'elle exifte; elle eft éternelle, parce qu'elle exifte aujourd'hui. Il n'appartient pas à un philofophe d'admettre ce qu'il ne peut concevoir. Or vous ne pouvez concevoir la matière ni créée ni anéantie: elle peut très-bien être éternelle par fa nature; et DIE U peut très-bien, par sa nature, avoir le pouvoir immense de la modifier, et non pas celui de la tirer du néant : car tirer l'être du néant eft une contradiction; mais il n'y a point de contradiction à croire la matière néceffaire et éternelle, et DIEU néceffaire et éternel. Si l'espace exifte par néceffité, la matière exifte de même par néceffité. Vous devriez donc admettre trois êtres ; l'efpace dont l'existence ferait réelle, quand même il n'y aurait ni matière ni DIEU; la matière qui, ne pouvant avoir été formée de rien, eft nécessairement dans l'espace; et DIEU, fans lequel la matière ne pourrait être organisée et animée.

Newton lui-même, à la fin de fon Optique, a semblé prévenir ces difficultés. Il foutient que l'efpace eft une suite nécessaire de l'exiftence de DIEU. DIEU n'eft, à proprement parler, ni dans l'efpace, ni dans un lieu ; mais DIEU étant néceffairement par-tout, conftitue par cela feul l'espace immense et le lieu. De

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