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paraiffait prefque un mérite qu'il fallait encourager. Cette fageffe avec laquelle Newton s'était contenté de donner une loi générale qu'il avait découverte fans chercher la caufe première de cette loi, que ni l'étude des phénomènes, ni le calcul ne pouvaient lui révéler: cette fageffe ramenait, disait-on, dans la phyfique les qualités occultes des anciens, comme s'il n'était pas plus philofophique d'ignorer la caufe d'un fait, que de créer, pour l'expliquer, des tourbillons, des courans et des fluides.

Les pièces de Mme du Châtelet et de M. de Voltaire font les feules où l'on trouve des recherches de phyfique et des faits précis et bien difcutés. Les juges des prix, en leur accordant cet éloge, déclarèrent qu'ils ne pouvaient approuver l'idée qu'on y donnait de la nature du feu; déclaration qu'ils auraient dû faire avec encore plus de raison pour deux au moins des ouvrages couronnés. L'académie, à la demande des deux auteurs, fit imprimer ces pièces dans le recueil des prix, à la fuite de celles qui avaient partagé fes fuffrages.

On doit remarquer fur-tout, dans l'ouvrage de Mme du Châtelet, l'idée que la lumière et la chaleur ont pour cause un même élément, lumineux lorfqu'il fe meut

en ligne droite, échauffant quand fes particules ont un mouvement irrégulier: il échauffe fans éclairer, lorsqu'un trop petit nombre de ses rayons part de chaque pointe en ligne droite pour donner la fenfation de la lumière ; il luit fans échauffer, lorsque les rayons en ligne droite, en affez grand nombre pour donner la fenfation de lumière, ne font pas affez nombreux pour produire celle de chaleur; c'eft ainfi que l'air produit du fon ou du vent, fuivant la nature du mouvement qui lui eft imprimé.

On trouve auffi dans la même pièce l'opinion que les rayons différemment colorés ne donnent pas un égal degré de chaleur; Mme du Châtelet annonce ce phénomène M. l'abbé Rochon a prouvé depuis par des expériences fuivies.

que

Mme du Châtelet admettait enfin l'existence d'un feu central; opinion fufceptible d'être prouvée par des obfervations et des expériences, mais que dans ces derniers temps un affez grand nombre de phyficiens ont mieux aimé admettre qu'examiner, parce qu'il eft très-commode, quand on fait un fyftême, d'avoir une fi grande masse de chaleur à fa difpofition.

La pièce de M. de Voltaire eft la feule qui contienne quelques expériences nouvelles ;

il y règne cette philofophie modeste, qui craint d'affirmer quelque chofe au-delà de ce qu'apprennent les fens et le calcul; les erreurs font celles de la physique du temps où elle a été écrite ; et s'il nous était permis d'avoir une opinion, nous oferions dire que fi l'on met à part la formule de la vîtesse du fon, qui fait le principal mérite de la differtation de M. Euler, l'ouvrage de M. de Voltaire devait l'emporter fur fes concurrens; et que le plus grand défaut de fa pièce fut de n'avoir pas affez refpecté le cartéfianisme et la méthode d'expliquer qui était alors encore à la mode parmi fes juges.

La differtation fur les forces vives fut préfentée à l'académie des fciences en 1742: cette compagnie en fit l'éloge dans son hiftoire; elle n'était pas alors dans l'usage de faire imprimer les ouvrages qui lui étaient préfentés par d'autres que par fes membres.

M. de Voltaire y foutient l'opinion générale des Français et des Anglais contre celle des favans de l'Allemagne et du Nord. On commençait à fe douter alors que cette mesure des forces, qui partageait tous les favans de l'Europe, était non une question de géométrie ou de mécanique, mais une Phyfique, &c. Tome I.

B

dispute de métaphyfique, et prefque une difpute de mots.

M. d'Alembert eft le premier qui l'ait dit hautement : des philofophes l'avaient foupçonné ; mais pour fe faire écouter des combatrans, il fallait un philofophe qui fût en même temps un grand géomètre.

Mme du Châtelet était en France à la tête des leibnitziens; l'amitié n'empêcha point M. de Voltaire de combattre publiquement fon opinion; et cette oppofition n'altéra point leur amitié.

L'ouvrage qui fuit eft un extrait ou plutôt une critique des Inftitutions phyfiques de cette femme célèbre ; c'eft un modèle de la manière dont on doit combattre les ouvrages de ceux que l'on eftime; les opinions y font attaquées fans ménagement; mais l'auteur qui les foutient y eft refpecté. Il ferait difficile que l'amour propre le plus délicat fût bleffé d'une pareille critique.

L'extrait de la pièce fur le feu eft plus un éloge qu'une critique. Les opinions de Mme du Châtelet s'eloignaient moins de celles de M. de Voltaire.

Ladiffertation fur les changemens arrivés dans le globe parut fans nom d'auteur, et l'on ignora long-temps qu'elle fût de M. de

Voltaire. M. de Buffon ne le favait pas lorfqu'il en parla dans le premier volume de l'Hiftoire naturelle avec peu de ménagement. M. de Voltaire, que les injures des naturalistes ne ramenèrent point, persista dans fon opinion. Au refte, il ne faut pas croire que les vérités d'hiftoire naturelle que M. de Voltaire a combattues dans cet ouvrage, fuffent auffi bien prouvées dans le temps où il s'occupait de ces objets, qu'elles l'ont été de nos jours.

On donnait gravement les coquilles foffiles pour des preuves des médailles du déluge de Noé; ceux qui étaient moins théologiens les fefaient fervir de base à des fyftêmes dénués de probabilité, contredits par les faits, ou contraires aux lois de la mécanique. Depuis et avant Thalès, on a expliqué de mille façons différentes la formation d'un univers dont on connaît à peine une petite partie.

Bacon, Newton, Galilée, Boyle, qui nous ont guéris de la fureur des fyftêmes en phyfique, ne l'ont point diminuée en hiftoire naturelle. Les hommes renonceront difficilement au plaifir de créer un monde. Il fuffit d'avoir de l'imagination et une connaiffance vague des phénomènes que l'on veut expliquer; on eft difpenfé de ces

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