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Ces idées font grandes et vaftes; on ne peut qu'admirer le génie qui en a conçu l'ordre et l'enfemble; mais il faut avouer qu'elles font dénuées de preuves, que nous ne connaiffons rien dans la nature, finon la fuite des faits qu'elle nous préfente, et ces faits font en trop petit nombre pour que nous puiffions deviner le fyftême géneral de l'univers. Du moment où nous fortons de nos idées abftraites et des vérités de définition, pour examiner le tableau que préfente la fucceffion de nos idées, ce qui eft pour nous l'univers, nous pouvons y trouver avec plus ou moins de probabilité un ordre conftant dans chaque partie, mais nous ne pouvons en faifir l'ensemble; et jamais, quelques progrès que nous faffions, nous ne le connaîtrons tout entier.

Leibnitz fut encore un publiciste profond, un favant jurifconfulte, un érudit du premier ordre. Il embraffa tout dans les fciences hiftoriques, politiques, comme dans la métaphyfique et dans les fciences naturelles; par-tout il porte le même efprit, s'attachant à chercher des vérités générales, foumettant à un ordre fystématique les objets les plus dépendans de l'opinion, et qui femblent s'y refuser le plus.

Mallebranche ne fut qu'un difciple de

Defcartes, fupérieur à fon maître lorsqu'il explique les erreurs des fens et de l'imagi- nation, modèle plus parfait d'un style noble, fimple, animé par le feul amour de la vérité, fans d'autres ornemens que la grandeur ou la fineffe des idées. Ce ftyle, la feule éloquence qui convienne aux fciences, à des ouvrages faits pour éclairer les hommes, et non pour amufer la multitude, était celui de Bacon, de Descartes, de Leibnitz. Mais Mallebranche, écrivant dans fa langue naturelle, et lorfque la langue et le goût étaient perfectionnés, peut feul, parmi les écrivains du fiècle dernier, être regardé comme un modèle; c'eft-là aujourd'hui prefque tout fon mérite; et la France plus éclairée ne le place plus à côté de Descartes, de Leibnitz et de Newton.

Après ces grands hommes, on admirait Kepler, qui découvrit les lois du mouvement des planètes: Galilée, qui calcula les lois de la chute des corps et celles de leur mouvement dans la parabole, perfectionna les lunettes, découvrit les fatellites de Jupiter et les phafes de Vénus, établit le veritable fyftême des corps celeftes fur des fondemens inébranlables, et fut perfécuté par des théologiens ignorans, et par les jéfuites, qui ne lui pardonnaient pas d'être

un meilleur aftronome que les profeffeurs du Grand JESUS: Huighens enfin, à qui l'on doit la théorie des forces centrales, qui conduifit à la méthode de calculer le mouvement dans les courbes, la découverte des centres d'ofcillation, la théorie de l'art de mefurer le temps, la découverte de l'anneau de Saturne, et celle des lois du choc des corps. Il fut l'homme de fon fiècle qui, par la force et le genre de fon génie, approcha le plus près de Newton dont il a été le précurseur.

M. de Voltaire rend ici juftice à tous ces hommes illuftres; il refpecte le génie de Defcartes et de Leibnitz, le bien que Defcartes a fait aux hommes, le fervice qu'il a rendu en délivrant l'efprit humain du joug de l'autorité, comme Newton et Locke le guérirent de la manie des fyftêmes; mais il se permit d'attaquer Defcartes et Leibnitz, et il y avait du courage dans un temps où la France était cartéfienne, où les idées de Leibnitz régnaient en Allemagne et dans le Nord.

On doit regarder cet ouvrage comme un expofé des principales découvertes de Newton, très-clair et très-fuffifant pour ceux qui ne veulent pas fuivre des démonftrations et des détails d'expériences.

Lorfqu'il parut, il était utile aux favans

même; il n'exiftait encore nulle part un tableau auffi précis de ces découvertes importantes; la plupart des phyficiens les combattaient fans les connaître. M. de Voltaire a contribué, peut-être plus que perfonne, à la chute du cartéfianisme dans les écoles, en rendant populaires les vérités nouvelles qui avaient détruit les erreurs de Defcartes: et quand l'auteur d'Alzire daignait faire un livre élémentaire de phyfique, il avait droit à la reconnaissance de fon pays qu'il éclairait, à celle des favans qui ne devaient voir dans cet ouvrage qu'un hommage rendu aux fciences et à leur utilité par le premier homme de la littérature.

La réponse à quelques objections faites contre l'ouvrage précédent, prouve combien alors la philofophie de Newton était peu connue, et par conféquent combien l'entreprise de M. de Voltaire était utile. Nous remarquerons que, dans la vieilleffe de M. de Voltaire et après fa mort, on a répété les mêmes objections, tant il eft vrai qu'il n'avait plus alors pour ennemis que des hommes bien au-deffous de leur fiècle.

La differtation fur la nature et la propagation du feu, concourut pour le prix de l'académie des fciences, en 1740.

Trois pièces furent couronnées; l'une

était de M. Léonard Euler, célèbre dès-lors comme l'un des plus grands géomètres de l'Europe. Il établit que le feu eft un fluide très-élaftique contenu dans les corps. Le mouvement ou l'action de ce fluide rompt les obftacles qui dans les corps s'opposent à fon explosion, et ils brûlent: fi ce mouvement ne fait qu'agiter les parties de ces corps, fans développer le feu qu'ils contiennent, ces corps s'échauffent, mais ils ne brûlent pas.

M. Euler joignit à fa pièce la formule de la vîteffe du fon que Newton avait cherchée en vain; et cette addition étrangère, mais fort fupérieure à l'ouvrage même, paraît avoir décidé les juges du prix.

Les deux autres pièces, l'une du jésuite Lozerande de Fiefc, et l'autre de M. le comte de Créqui-Canaples, font d'un genre différent; l'une explique tout par les petits tourbillons de Mallebranche, l'autre par deux courans contraires d'un fluide éthéré : l'honneur que reçurent ces deux pièces prouve combien la véritable phyfique, celle qui s'occupe des faits et non des hypothèses, celle qui cherche des vérités et non des fyftêmes, était alors peu connue, même dans l'académie des fciences. Un refte de cartéfianifme, qu'on trouvait dans un ouvrage,

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