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tères, le discours, et sur-tout le badinage, conservoit une franchise qui ne fuyoit pas le mot propre autant que depuis on l'a évité. Le succès d'une plaisanterie dépendoit moins du choix des termes. Quand Molière mettoit sur la scène certains mots, aujourd'hui exclus de la langue polie, il ne sacrifioit pas tant qu'on l'a cru au goût du parterre; il y en avoit plus d'un pour les loges. Qu'on pense aux succès de Scarron, qu'on lise même l'ingénieux Voiture, et l'on jugera de ce qu'on appeloit alors délicatesse et bon ton. Que de saillies admirées, que de mots même de Madame de Cornuel, si bien accueillis du grand monde, seroient trouvés malséans dans la bouche d'une femme comme elle ! La plupart des chansons de Coulanges ne seroient plus d'une gaîté assez fine. Les premiers personnages du tems, soit en dignité, soit en élégance, se permettoient des badinages qui nous paroîtroient de mauvais goût.

Entre autres exemples, je citerai le mot C.... Pourquoi s'étonneroit-on de le rencontrer sous la plume amicale et confiante de Madame de Sévigné, quand on le voit employé comme un mot ordinaire dans les Mémoires du Cardinal de Retz, destinés à la postérité, et sur-tout lorsqu'on lit ce qui se passa au cercle même du Roi, à l'occasion de Madame Loiseau. C'était une Bourgeoise riche et connue par ses réparties originales. Le Roi la voyant fort près de sa société dit à la Duchesse de.... de lui faire quelque question. Cette Dame demande à la Loiseau quel oiseau est le plus sujet à être C... ? Celle-ci répond : C'est un Duc, Madame (1). Il faut avouer que cette facétie réussiroit mal de nos jours dans des coteries beaucoup moins imposantes (2), et que Madame de Sévigné badine plus finement et plus décemment,

(1) Ménagiana, tome II. Madame Cornnel disoit d'un mari qui accnsoit sa femme d'adultère : « Il ne prend pas garde que le parlement ne croit pas » plus aux c.... qu'aux sorciers >>.

(2) Encore une anecdote non moins étrange, quoique du tems le plus brillant de la Cour de Louis XIV, de 1685. C'est Madame de Coligny qui la mande à son père. « M. de Roquelaure raccommodant sa perruque devant un » miroir, dans la chambre de Madame la Dauphine, le Duc de la Ferté lui fit » les cornes par derrière. Roquelaure s'en étant aperçu, vint à la Duchesse » d'Arpajon, Dame d'honneur, et lui dit que M. de la Ferté avoit eu l'inso»lence de montrer tout ce qu'il portoit dans la chambre de la Princesse et > devant ses Filles (d'honneur). La Duchesse fort en colère alla savoir des TOME I.

S'il est un tort de sa plume qu'on ne puisse nier, c'est un peu de médisance. Et pourquoi le nieroit-on? Elle nous confie elle-même que son Confesseur lui refusoit l'absolution à cause de sa haine pour certain Evêque. Elle s'applique gaîment le mot de Montaigne sur la Cour: Vengeons-nous à en médire. Il est encore vrai qu'elle n'auroit pu, comme Fontenelle, se vanter à la fin de sa vie de n'avoir jamais jeté le plus petit ridicule sur la plus petite vertu. De très-bonnes personnes, le serviable d'Hacqueville, par exemple, M. de la Garde, même le bon oncle Coulanges, avec sa régularité minutieuse, sont raillés par elle sans trop de scrupule. Mais quoi qu'y a-t-il de commun entre Fontenelle et Sévigné? On sait bien qu'il étoit tout raison; elle au contraire fut presque toute instinct. Si ce n'est là un éloge, c'est au moins une excuse. Après tout, le monde qui aime tant la médisance ne donne que trop de raisons de médire. Voilà comment je la justifierois sur cet article, et je me garderois bien de supposer, comme l'a fait un critique trop raffiné, que cette mère aveugle ne se permettoit certaines malices que pour flatter la malignité de sa fille. Et pourquoi l'absoudre d'une partie du péché? A voir le plaisir qu'elle y prend, je trouve peu d'apparence qu'elle voulût en rien céder à autrui.

Mais si Madame de Sévigné profite quelquefois des occasions de rire aux dépens du prochain, du moins elle ne les cherche pas; sur-tout à l'égard de ses amis, elle s'interdit ce genre de gaîté. Son imagination si prompte, sa plume si précipitée, ne l'entraîne jamais. Leur propre malice même n'éveille pas la sienne; elle ne les abandonne jamais les uns aux autres. Elle fait taire les turlupinades de Coulanges contre Madame de Marbœuf. Elle soutient contre son fils Madame de la Fayette. Sa fille même n'a pas le privilége de faire chanceler sa bienveillance contre qui que ce soit qu'elle ait trouvé selon son cœur. Aussi pendant cinquante aus ne la voit-on pas perdre un seul ami, si ce n'est par la mort; preuve bien rare d'un cœur aussi

>> filles comment cela s'étoit passé; elles lui dirent la chose; et puis de rire ». Le Supplément aux Œuvres de Bussy, livre peu commun, où je trouve ce trait, en offre un autre du même tems, mais si vilain, quoique public et da fait de trois grandes Dames, que je n'oserois le transcrire. Les Curieux le chercheront à la page 199 du premier volume.

solide que délicat et sensible. Ses Lettres n'ont rien d'un esprit caustique ce n'est pas non plus le caractère des bons mots qu'on cite d'elle, et dont il faut rapporter ici quelques-uns.

:

La Comtesse Colonne et la Duchesse de Mazarin, fuyaut toutes deux leurs maris, passèrent en Provence et vinrent à Grignan, portant avec elles leurs diamans, mais si négligées, que le soir Madame de Sévigné.crut devoir leur faire présent d'une douzaine de chemises, en leur disant : Vous êtes comme des héroïnes de roman ; force pierreries, point de linge.

Elle étoit à l'église, on chantoit le credo: Ah! que cela est faux, s'écria-t-elle ; et puis se reprenant, je parle de la voix et non de ce qu'elle chante.

Ménage disant qu'il étoit enrhumé, Madame de Sévigné répondit : « Je la suis aussi. » L'honnête grammairien se mit à lui prouver qu'il falloit dire je le suis. « Comme il vous plaira, >> reprit-elle; maís, pour moi, je croirois avoir de la barbe, si » je parlois ainsi. » Aussi dans ses Lettres manque-t-elle quelquefois à cette règle.

Quelqu'un lui exageroit les belles qualités et l'esprit de Pélisson. Elle dit : « Pour moi, je ne vois que sa laideur : qu'on >> me le dédouble donc. >>>

TELLE étoit la personne à qui nous devons ce livre, qui s'est fait sans qu'on y pensat ni elle ni d'autres, qui n'est devenu un livre, que par une sorte de bonne fortune de la langue et de la nation française.

On a trouvé des rapports entre Madame de Sévigné et Montaigne; et, en effet, on pourroit lui appliquer ce que j'ai lu, inscrit par une femme, sur la première page des Essais. « L'au>>teur qui sait le moins ce qu'il va dire, et qui sait le mieux » ce qu'il dit. >>

On l'a comparée à Cicéron, dont les Lettres sont les meilleures que l'antiquité nous ait laissées, et qui de plus aimoit passionnément sa fille. On auroit pu la comparer aussi à une Dame Romaine, qui s'étoit rendue célèbre par le style de ses lettres autant que par sa chasteté et par son amour maternel, Cornélie, mère des Gracques (1). Enfin, on trouve aussi quelques points de ressemblance entre La Fontaine et Sévigné. Mais (1) Cicéron cité par Middleton.

ces parallèles la louent mieux qu'il ne la représentent. Ce qu'ils prouvent, c'est que chacun se plaît à voir en elle la physionomie de l'auteur qu'il préfère.

Il est bon de remarquer encore, à l'honneur de ses contemporains, qu'encore qu'ils fussent loin de penser qu'elle dût devenir un auteur, ils ont pourtant apprécié son talent.

On lisoit ses Lettres au milieu des cercles les plus renommés pour le bon goût. Madame de Coulanges les prêtoit à ces trois sœurs, qui ont rendu célèbre l'esprit des Mortemars. L'Abbé Têtu en faisoit sa cour à l'Abbesse de Fontevrauld. Il s'en est perdu beaucoup dans cette circulation. Bussy-Rabutin en enrichissoit les Mémoires qu'il faisoit lire au Roi, pour regagner ses bonnes grâces; et la modestie de Madame de Sévigné en étoit toute alarmée. Madame de Maisons, distinguée alors par son esprit, et à qui, vers l'année 1690, Bussy avoit communiqué les Lettres de sa Cousine, veut absolument les copier. Quand Bouhours publia ses Entretiens, Corbinelli écrivit à Bussy: Pourquoi donc aller chercher tant de passages de Balzac et » de Voiture? il eût mieux trouvé dans vos Lettres et dans >> celles de votre Cousine, s'il vouloit des exemples de la jus»tesse, de la délicatesse et de la noble simplicité des pensées. »

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Aussi, dès qu'on eut imprimé quelques-unes de ces Lettres, auteurs et gens du monde, tous furent d'accord à les regarder comme des modèles précieux. Du tems de la vogue de Balzac, chacun avoit voulu faire de belles Lettres. On tâchoit de les faire jolies, quand Voiture fut à la mode. Mais depuis qu'on lit celles de Sévigné, on n'essaie pas de contrefaire son style; on écrit une Lettre comme on peut, et c'est ainsi qu'il faut l'écrire.

SUITE DE LA NOTICE.

Madame DE GRIGNAN.

UN jour que le célèbre Mignard peignoit sa fille : « Que faites» vous? (lui dit un ami) - Moi! rien; l'amour-propre fait » tout, et je le laisse faire ». Tels sont peut-être les portraits flatteurs que Madame de Sévigné nous a laissés de sa fille chérie. Elle nous l'avoueroit elle-même. Mais de ce qu'il entre un peu d'amour-propre dans son amour maternel, croiroit-elle pour cela l'en aimer moins? Non, sans doute ; et sur-tout elle trouveroit fort étrange qu'on s'en prévalût pour nier le mérite et les charmes peu communs de Madame de Grignan, aussi dans leur tems personne n'en eut-il la pensée. Ce n'est que de nos jours qu'on s'est cru mieux informé. On a dit, on a écrit que la mère et la fille ne s'aimoient pas d'une franche amitié. On a sur-tout dénigré Madame de Griguan; on lui prête toutes sortes de défauts; on ne l'aime point: on la hait presque.

Ce n'est pas peu, sans doute, pour bien goûter les Lettres de Madame de Sévigné, de savoir si l'objet de sa tendresse passionnée en étoit digne et y répondoit. Sur quoi donc se fondent ces préventions? il y a peu de faits; et ce peu ne permet point de telles conjectures.

C'est toujours un grand tort d'être très-vanté et peu connu : c'est celui de Madame de Grignan, et il est moins en elle qu'en nous-mêmes, trop prompts à nous cabrer contre l'admiration qui nous est commandée. Nous disons, comme le paysan d'Athènes, je suis las de l'entendre louer. Ce qu'elle craignoit de l'amitié enthousiaste de sa mère qu'elle ne lui valût des ennemis et des ridicules, elle l'éprouve de la postérité, plus injuste même que ses contemporains, car ceux-ci la connurent du moins; au lieu qu'on peut impunément s'inscrire en faux contre son mérite, aujourd'hui qu'on n'a presque rien d'elle-même qui la montre telle qu'elle fut. Il reste pourtant des points constans à son avantage; je me plais à les réunir.

Ses portraits donnent l'idée d'une beauté remarquable et sur-tout intéressante; et l'empressement de ses amis, pour en

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