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tes Grecs qu'il a imitez. Mais ce n'est pas à Vous, MONSIEUR, à qui il faut aprendre ces fortes de chofes. Il vaut mieux que je finiffe, en faifant, au commencement de ce Nouveau Siècle, des voeux au Ciel pour Vous & pour toute Votre Famille, fur laquelle je prie Dieu qu'il répande Jes plus précieufes faveurs. Je Suis avec un profond respect,

MONSIEUR,

Vôtre très-humble & très: obéïffant Serviteur,

HENRY SCHELTE

PREFACE.

OMME c'eft ici vrai-femblablement la derniére Edition de mes Ouvrages que je reverrai; & qu'il n'y a pas d'aparence, qu'âgé, comme je fuis, & accablé de beaucoup d'infirmités, ma courfe puiffe être encore fort longue, le Public trouvera bon que je prenne congé de lui dans les formes, & que je le remercie de la bonté qu'il a euë d'acheter tant de fois des ouvrages fi peu dignes de fon admiration. Je ne fçaurois attribuer un fi heureux fuccès, qu'au foin que j'ai pris de me conformer toujours à fes fentimens, & d'attraper, autant qu'il m'a été poffible, fon goût en toutes chofes. C'eft effectivement à quoi il me femble que les Ecrivains ne fçauroient trop s'étudier. Un ouvrage a beau être aprouvé d'un petit nombre de Connoiffeurs, s'il n'eft plein d'un certain agrément & d'un certain fel propre à piquer le goût géné

ral des Hommes, il ne paffera jamais pour un bon ouvrage, & il faudra à la fin que les Connoiffeurs eux-mêmes avoüent qu'ils fe font trompez en lui donnant leur approbation. Que fi on me demande ce que c'eft que cet agrément & ce fel, je répons drai, que c'eft un je ne fçai quoi qu'on peut beaucoup mieux fentir, que dire. A mon avis néanmoins, il confifte principalement à ne jamais prefenter au Lecteur, que des pensées vraïes & des expreffions juftes. L'Efprit de l'Homme eft naturelle ment plein d'un nombre infini d'idées con fufes du Vrai, que fouvent il n'entrevoit qu'à demi; & rien ne lui eft plus agréa ble, que lorfqu'on lui offre quelqu'une de ces idées bien éclaircie, & mife dans un beau jour. Qu'est-ce qu'une penfée neuve, brillante, extraordinaire ? Ce n'eft point, comme fe le perfuadent les Ignorans, une pensée que perfonne n'a jamais euë, ni dû avoir. C'est au contraire une pensée qui a dû venir à tout le monde, & que quelqu'un s'avife le premier d'exprimer. Un bon mot n'eft bon mot, qu'en ce qu'il dit une chofe que chacun penfoit, & qu'il la dit d'une maniére vive, fine & nouvelle. Confidérons, par exemple, cette repli que fi fameufe de Loüis Douziéme, à ceux de fes Miniftres qui lui confeilloient de faire punir plufieurs Perfonnes, qui fous

le régne précédent, & lorfqu'il n'étoit encore que Duc d'Orleans, avoient pris à tâ che de le deffervir. Un Roi de France, leur répondit-il, ne venge point les injures d'un Duc d'Orleans. D'où vient que ce mot frap. pe d'abord ? N'est-il pas aifé de voir que c'est parce qu'il prefente aux yeux une ve rité que tout le monde fent, & qu'il dit mieux que tous les plus beaux difcours de Morale; Qu'un grand Prince, lorsqu'il eft une fois fur le throne, ne doit plus agir par des mouvemens particuliers, ni avoir d'autre vuë que la gloire & le bien général de fon Etat? Veut on voir au contraire combien une pensée fauffe eft froide & puérile? je ne fçaurois raporter un exemple qui le faffe mieux fentir, que deux vers du Poë te Théophile dans fa Tragédie intitulée Pyrâme & Thysbé ; lorfque cette malheureufe Amante ayant ramaffé le poignard encore tout fanglant dont Pirâme s'étoit tué, Elle querelle ainfi ce poignard,

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Ah! voici le poignard qui du fang de fon

Maitre

S'eft fouillé lachement. Il en rougit le Traitre.

Toutes les glaces du Nord ensemble ne font pas, à mon fens, plus froids que cette penfée. Quelle extravagance, bon Dieu! de vouloir que la rougeur du fang,

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dont eft teint le poignard d'un Homme qui vient de s'en tuer lui-même, foit un effet de la honte qu'a ce poignard de l'avoir tué? voici encore une penfée qui n'eft pas moins fauffe, ni par confequent moins froide. Elle est de Benferade dans fes Métamorphofes en rondeaux, où parlant du Déluge envoyé par les Dieux pour châtier l'infolence de l'Homme, il s'exprime ainfi

Dieu lava bien la tête à fon Image. Peut-on à propos d'une auffi grande chofe que le Déluge, dire rien de plus petit, ni de plus ridicule que ce quolibet, dont la pensée eft d'autant plus fauffe en toutes maniéres, que le Dieu dont il s'agit à cet endroit, c'eft Jupiter, qui n'a jamais paf fé chez les Payens pour avoir fait l'Homme à fon image, l'Homme dans la Fable étant, comme tout le monde fçait, l'ouvrage de Prométhée.

Puis donc qu'une pensée n'eft belle qu'en ce qu'elle eft vraye, que l'effet infaillible du Vrai, quand il eft bien énoncé, c'eft de fraper les Hommes, il s'enfuit que ce qui ne frape point les Hommes n'eft ni beau, ni vrai, ou qu'il est mal énoncé: & que par conféquent un ouvrage qui n'eft point goûté du Public, eft un trèsméchant ouvrage. Le gros des Hommes peut bien, durant quelque tems, prendre

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