POEM E | Sur les mauvais geftes de ceux qui parlent en C'ES Public; Et fur tout des Prédicateurs. 'EST en vain qu'un Docteur qui prêche l'Evangile, Mêle chrétiennement l'agréable & l'utile. S'il ne joint un beau geste à l'art de bien parler, Et dormant quelquefois fans interruption, Vous donc, qui pour prêcher, courez toute la terre, Voulez-vous qu'un grand peuple affiége votre chaire ? Voulez-vous enchérir les chaifes & les bancs, On doit parler de l'œil autant que de la bouche. Qui portant vers le Ciel leurs regards effroyables, Apoftrophent les Saints comme on chaffe les Diables; Et qui voulant prouver que le Seigneur est doux, Gåtent leurs argumens par des yeux en couroux. Sur tout, gardez vous bien, mémoires chancelantes, [tes. De montrer dans vos yeux deux prunelles roulanQuelle pitié, de voir l'Orateur entrepris, Relire dans la voûte un Sermon mal apris! Vos yeux vous rendent fots de plus d'une ma niére. Pourquoi, quand vous criez, fermez-vous la paupiére? Tel jadis l'Andabate, armé de fon poignard, Combattoit à l'aveugle, & vainquoit par hazard. Mais vous, qui blâmez tant la paupière coufuë, Ne m'ouvrez pas des yeux où rien ne fe remuë. Quel acteur êtes-vous? lorfque vous me parlez, Votre gofier s'enflamme, & vos yeux font gelés. C'est ainfi qu'autrefois on voyoit des Idoles, Sans animer leurs yeux, animer leurs paroles. Mais fi votre œil enfin s'obstine à fe glacer, Au cercle de Benoît (a) il faudra vous placer. Jadis un charlatan, docteur en Médecine, Devina (car chez eux vous fçavez qu'on devine) Que l'œil pouvoit avoir lui feul plus de cent maux. Mais moi qui de cet œil dois compter les défauts, Sans faire le devin, j'en trouve plus de mille. Tantôt je ris de voir une paupière agile Se mouvoir par article, & joindre à chaque inftant, Le jour avec la nuit dans un œil clignotant: (a) Ouvrier en Figures de cire. Tantôt d'un cours réglé la prunelle agitée, Ici, cet œil qui craint la trop grande lumiére, Mais voyons comment l'œil doit jetter fon re- Veut-il de la trifteffe exprimer les allarmes? Doit-il être en fureur? Que fes vives prunelles . [les. Qui n'eft point en repos fi le cœur n'est en paix. (b) Tête de Maure, qui remuë les yeux dans l'horloge du Marché-neuf. Mais que jamais le front n'ofe leur contredire. Il faut qu'à fa maniére il faffe ce qu'ils font. Ce qu'on voit peint dans l'œil, doit être écrit au front. Il ne faut donc jamais que le front se fillonne, Que votre bouche auffi s'ouvre & se ferme bien; Pour la moindre fyllabe ouvre toute la bouche, Et craignant que fa voix n'avorte entre fes dents, Lance de fes poulmons des mots toujours ton nans. L'autre, pour éviter ces maniéres outrées, Eft au haut de ma lifte écrit tout des premiers. Vous donc, de qui la bouche eft digne de cenfure, Croyez qu'il eft honteux d'en outrer la figure. Toutefois il eft vrai qu'un ton plein d'énergie Il ne fuffit donc pas à l'acteur qui fe forme, Que fon œil & fon front reçoivent la réforme: Sa bouche doit encor, en fe réglant sur eux, Joindre fon action à ce qu'ils font tous deux; Afin qu'après cela, tous trois d'intelligence Forment fur le vifage une triple alliance. Ne croyons pourtant pas un visage parfait, Sitôt que dans l'Acteur ce bel accord s'eft fait. Le moindre mouvement d'une tête volage Pourroit d'un Ange même enlaidir le visage. En effet quand vos yeux, remplis de majesté, Des célestes efprits répandroient la clarté : Quand Dieu fur votre front graveroit la figure De ce TAU glorieux dont parle l'Ecriture: Quand votre bouche enfin, faisant sortir sa voix, D'un ton de Précurfeur feroit trembler les Rois: (Ne prenez point ceci fur le pied d'hyperbole) Si l'on voyoit toujours, de parole en parole, Sur le pivot du cou votre tête tourner, |