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Rit tout haut de l'ouvrage, & tout bas de l'Auteur.
Enfin, c'est mon plaisir, je me veux fatisfairè .
Je ne puis bien parler, & ne fçaurois me taire;
Et dès qu'un mot plaifant vient luire à mon efprit,
Je n'ai point de repos qu'il ne foit en écrit:
Je ne réfifte point au torrent qui m'entraîne.

Mais c'eft affez parlé. Prenons un peu d'haleine. Ma main, pour cette fois, commence à fe laffer. Finiffons. Mais demain, Mufe, à recommencer.

SATIRE VIII.

A Monfieur M***. Docteur de Sorbonne.

D

E tous les animaux qui s'élevent dans l'air,
Qui marchent sur la terre, ou nagent dans la

mer;

De Paris au Perou, du Japon jufqu'à Rome,
Le plus fot animal, à mon avis, c'est l'Homme.

Quoi? dira-t'on d'abord, un ver, une fourmi,
Un infecte rampant qui ne vit qu'à demi,
Un taureau qui rumine, une chévre qui broute,
Ont l'efprit mieux tourné que n'a l'Homme ? Oüi
fans doute.

4

Ce difcours te furprend, Docteur, je l'aperçoi.
L'homme de la Nature eft le chef & le Roi,
Bois, prez, champs, animaux, tout eft pour fon
usage,

Et lui feul a, dis-tu, la raison en partage?
Il eft vrai de tout tems la raifon fut fon lot.

Mais de là je conclus que l'homme est le plus fot.
Ces propos, diras-tu, font bons dans la Satire,

Pour égayer d'abord un Lecteur qui veut rire. Mais il faut les prouver. En forme. J'y confens. Répons-moi donc Docteur, & mets-toi fur les

bancs.

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Qu'est-ce que la fageffe? Une égalité d'ame, Que rien ne peut troubler, qu'aucun defir n'en flâme,

Qui marche en fes confeils à pas plus mefurez,
Qu'un Doyen au Palais ne monte les degrez.
Or, cette égalité, dont fe forme le Sage,
Qui jamais moins que l'Homme en a connu l'ufage?
La Fourmi tous les ans traverfant les guérets,
Groffit fes magafins des trefors de Cérès;
Et dès que l'Aquilon ramenant la froidure
Vient de fes noirs frimats attrifter la nature
Cet animal tapi dans fon obfcurité,

Joüit l'hyver des biens conquis durant l'été : Mais on ne la voit point, d'une humeur inconf tante,

Pareffeufe au printems, en hiver diligente,. Affronter en plein champ les fureurs de Janvier, Ou demeurer oifive au retour du Bélier.

(1), Mais l'Homme fans arrêt, dans fa courfe in fenfée,

Voltige inceffamment de penfée en pensée,
Son cœur toûjours flottant entre mille embarras
Ne fçait ni ce qu'il veut, ni ce qu'il ne veut pas.
Ce qu'un jour il abhorre, en l'autre il le fouhaite.
Moi ? j'irois époufer une femme coquette ?.
J'irois par ma conftance aux affronts endurci

(1) Horace, Epift. Lib. 1. Ep. I. 97.

Quod petiit fpernit, repetit quod nuper omifit. *Aftuat & vitæ difconvenit ordine toto, Diruit, ædificat, mutat quadrata rotundis.

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*

Me mettre au rang des Saints qu'a célébrez Buffi ?
Affez de Sots fans moi feront parler la Ville:
Difoit, le mois paffé, ce Marquis indocile,
Qui depuis quinze jours dans le piége arrêté,
Entre les bons Maris pour exemple cité,

Qui conque connoit

le Livre du Comte

de Buffi, intitulé

amou

reufesdes Gaules

entend ce

Cro t que Dieu, tout exprès, d'une côte nouvelle, Hiftoire
A tiré pour lui feul une femme fidèle.
Voilà l'Homme en effet. Il va du blanc au noir.
Il condamne au matin fes fentimens du foir.
Importun à tout autre, à foi-même incommode,
11 change à tous momens d'efprit comme de mode; Saints
Il tourne au moindre vent, il tombe au moindre

choc.
Au jourd'hui dans un cafque, & demain dans un

froc.

Cependant à le voir plein de vapeurs legéres,
Soi-même fe bercer de fes propres chimères,
Lui feul de la Nature eft la base & l'apui,
Et le dixième Ciel ne tourne que pour lui.
De tous les animaux, il eft, dit-il, le maître.
Qui pourroit le nier? poursuis-tu. Moi peut-être,
Mais fans examiner fi vers les antres fourds,
L'Ours a peur du Paffant, ou le Paffant de l'Ours:
Et fi, fur un édit dés Paftres de Nubie,
Les Lions de Barca vuideroient la Lybie.
Ce Maître prétendu qui leur donne des lois,
Ce Roi des animaux, combien a-t'il de Rois ?
L'ambition, l'amour, l'avarice, ou la haine
Tiennent comme un forçât fon esprit à la chaîne.
Le fommeil fur fes yeux commence à s'épancher.
(2) De bout, dit l'avarice, il eft tems de marcher.

(2) Perfe, Sat. V. f. 132.

Mane piger ftertis; furge, inquit Avaritia, eia

que c'est que ces

dont par le ici

Mr.Def

preaux,

Hé laiffez-moi. Debout. Un moment. Tu repl

ques ?

A peine le Soleil fait ouvrir les boutiques.
N'importe, leve-toi. Pourquoi faire, après tout
Pour courir l'Ocean de l'un à l'autre bout,
Chercher jufqu'au Japon la porcelaine & l'ambre,
Raporter de Goa le poivre & le gingembre.
Mais j'ai des biens en foule, & je puis m'en paffer.
On n'en peut trop avoir ; & pour en amaffer
Il ne faut épargner ni crime ni parjure :

Il faut fouffrir la faim, & coucher fur la dure
Eût-on plus de trefors que n'en perdit Galet,
N'avoir en fa maifon ni meubles ni valet:

Parmi les tas de blé vivre de feigle & d'orge,
De peur de perdre un liard, fouffrir qu'on vous
égorge.

Et pourquoi cette épargne enfin ? L'ignores-tu ?
Afin qu'un héritier bien nourri, bien vêtu,
Profitant d'un trefor en tes mains inutile,
De fon train quelque jour embarraffe la ville.
Que faire? Il faut partir, les matelots font prêts,
Ou fi pour l'entraîner, l'argent manque d'attraits
Bien-tôt, l'Ambition, & toute fon escorte,
Dans le fein du repos, vient le prendre à main forte,
L'envoye en furieux, au milieu des hazards,
Se faire eftropier fur les pas des Céfars,

Et cherchant fur la bréche une mort indiscrette,
De fa folle valeur embellir la Gazette.

Tout-beau, dira quelqu'un, raillez plus à propos;

Surge. Negas inftat: surge, inquit, non queo. Surge.
Quid agam? Rogitas ? Saperdam advehe Ponto,
Caftoreum, ftupas, ebenum, thus, lubrica Coa
Tolle recens primus piper è fitiente Camelo,
Verte aliquid, jura, &&*

Ce vice fut toûjours la vertu des Héros.

Quoi donc à votre avis, fut-ce un fou qu'Alexan..

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dre ?

Qui cet écervelé qui mit l'Afie en cendre ?
(3) Ce fougueux l'Angely qui de fang alteré,
Maître du monde entier, s'y trouvoit trop ferré?
L'enragé qu'il étoit, né Roi d'une Province
Qu'il pouvoit gouverner en bon & fage Prince,
S'en alla follement, & penfant être Dieu,
Courir comme un Bandit qui n'a ni feu ni lieu,
Et traînant avec foi les horreurs de la guerre,
De sa vaste folie emplir toute la terre.
Heureux! fi de fon tems, pour cent bonnes raifons,
La Macédoine eût eu des petites-Maifons,
Et qu'un fage Tuteur l'eût en cette demeure,
Par avis de Parens, enfermé de bonne heure.

Mais fans nous égarer dans ces digreffions;
Traiter, comme Sénaut, toutes les paffions;
Et les diftribuant par claffes & par titres ;
Dogmatizer en vers, & rimer par chapitres.
Laiffons-en difcourir la Chambre ou Goëffeteau
Et voïons l'Homme enfin par l'endroit le plus beau.
Lui feul vivant, dit-on, dans l'enceinte des villes
Fait voir d'honnêtes mœurs, des coûtumes civi.

les,

Je fait des Gouverneurs, des Magiftrats, des Rois, Obferve une police, obéït à des lois.

Il eft vrai. Mais pourtant, fans lois & fans police, Sans craindre Archers, Prévôt, ni fupôt de Juf

tice,

(3) Lucain, Lib. X. vf. 20.

Illic Pellæi proles vefana Philippi
elix prædo jacet,

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