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Groffiffant les ruiffeaux, en ont fait des riviéres. J'y paffe en trébuchant, mais malgré l'embarras La frayeur de la nuit précipite mes pas.

Car fi-tôt que du foir les ombres pacifiques
D'un double cadenas font fermer les boutiques,
Que retiré chez lui, le paifible Marchand
Va revoir fes billets, & compter fon argent;
Que dans le Marché-Neuf tout eft calme & tran
quille :

Les voleurs à l'inftant s'emparent de la Ville.
Le Bois le plus funefte & le moins fréquenté,
Eft au prix de Paris, un lieu de fûreté.
Malheur donc à celui qu'une affaire imprévûë
Engage un peu trop tard au détour d'une ruë.
Bien-tôt quatre Bandits lui ferrant les côtez,
Labourfe: il faut fe rendre : ou bien non, résistez:
Afin que votre mort, de tragique mémoire,
Des maffacres fameux aille groffir l'Histoire.
Pour moi qu'une ombre étonne, accablé de fom
meil,

Tous les jours je me couche avecque le Soleil.
Mais en ma chambre à peine ai-je éteint la lumiére
Qu'il ne m'eft plus permis de fermer la paupiére.
Des Filoux effrontez d'un coup de pistolet,
Ebranlent ma fenêtre, & percent mon volet.
J'entens crier par tout, au meurtre, on m'affaffine,
Ou, le feu vient de prendre à la maison voifine.
Tremblant & demi-mort je me léve à ce bruit ;
Et fouvent fans pourpoint, je cours toute la nuit.
Car le feu, dont la flâme en ondes fe déploye,
Fait de notre quartier une feconde Troye ;
Où maint Grec affamé, maint avide Argien,
Au travers des charbons, va piller le Troyen,

Enfin, fous mille crocs la maifon abîmée,.
Entraîne auffi le feu qui fe perd en fumée.
Je me retire donc encor pâle d'effroi :

Mais le jour est venu quand je rentre chez moi,
Je fais pour repofer un effort inutile:

(4) Ce n'eft qu'à prix d'argent, qu'on dort en cette

Ville :

Il faudroit dans l'enclos d'un vaste logement,
Avoir loin de la ruë un autre apartement.

Paris eft pour un Riche un païs de Cocagne:
Sans fortir de la Ville, il trouve la campagne :
Il peut dans fon jardin tout peuplé d'arbres verds,
Receler le printems au milieu des hyvers,
Et foulant le parfum de fes plantes fleuries
Aller entretenir fes douces rêveries.

Mais moi, grace au Deftin, qui n'ai ni feu, nilieu, Je me loge où je puis, & comme il plaît à Dieu.

(4) Ibid. vf. 234.

Nam quæ meritoria fomnum
Admittunt, magnis opibus dormitur in urbe.

SATIRE VII.

Ufe, changeons de ftile & quittons la Satire:
C'eft un méchant métier que celui de mé-
dire.

A l'Auteur qui l'embraffe il eft toûjours fatal.
Le mal qu'on dit d'autrui, ne produit que du mal
Maint Poëte aveuglé d'une telle manie,
En courant à l'honneur trouve l'ignominie
Et tel mot, pour avoir réjoui le lecteur,

A coûté bien fouvent des larmes à l'Auteur.

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Un éloge ennuyeux, un froid Panégyrique,
Peut pourrir à fon aife au fond d'une boutique;
Ne craint point du public les jugemens divers
Et n'a pour ennemis que la poudre & les vers.
Mais un Auteur malin, qui rit, & qui fait rire,
Qu'on blâme en le lifant, & pourtant qu'on veut
lire,

Dans fes plaifans accès qui fé croit tout permis
De fes propres rieurs fe fait des ennemis.
Un difcours trop fincére aifément nous outrage
Chacun dans ce miroir penfe voir fon vifage;
Et tel, en vous lifant, admire chaque trait,
Qui dans le fond de l'ame, & vous craint & vous hait.
Mufe, c'est donc en vain que la main vous demange.
S'il faut rimer ici, rimons quelque loüange,
Et cherchons un Héros parmi cet Univers
Digne de notre encens, & digne de nos vers.
Mais à ce grand effort en vain je vous anime :
Je ne puis, pour loüer, rencontrer une rime.
Dès que j'y veux rêver, ma veine est aux abois:
J'ai beau froter mon front, j'ai beau mordre mes
doigts,

Je ne puis arracher du creux de ma cervelle,
Que des vers plus forcez que ceux de la pucelle:
Je pense être à la gêne, & pour un tel deffein
La plume & le papier résistent à ma main.
Mais quand il faut railler, j'ai ce que je fouhaite.-
Alors certes alors, je me connois Poëte.
Phébus, dès que je parle, eft prêt à m'exaucer.
Mes mots viennent fans peine, & courent fe pla

cer.

Faut-il peindre un fripon fameux dans cette Ville?
Ma main, fans que j'y rêve, écrira Raumaville,

Faut-il d'un Sot parfait montrer l'original ?
Ma plume au bout du vers d'abord trouve Sofal.
Je fens que mon efprit travaille de génie.
Faut-il d'un froid Rimeur dépeindre la manie!
Mes vers comme un torrent, coulent fur le papier.
Je rencontre à la fois Perrin, & Pelletier.
Bonnecorfe, Pradon, Colletet, Titreville,
Et pour un que je veux, j'en trouve plus de mille.
Auffi-tôt je triomphe, & ma Mufe en fecret,
S'eftime & s'aplaudit du beau coup qu'elle a fait.
C'est en vain qu'au milieu de ma fureur extrême
Je me fais quelquefois des leçons à moi-même.
En vain je veux au moins faire grace à quelqu'un,
Ma plume auroit regret d'en épargner aucun;
Et fi-tôt qu'une fois la verve me domine,
Tout ce qui s'offre à moi passe par l'étamine.
Le mérite pourtant m'eft toûjours précieux :
Mais tout Fat me déplaît & me blesse les yeux.
Je le pourfuis par tout, comme un chien fait fa
proïe,

Et ne le fens jamais, qu'auffi-tôt je n'aboïe;
Enfin fans perdre tems en de fi vains propos,
Je fçai coudre une rime au bout de quelques mots;
Souvent j'habille en vers une maligne Profe:
C'est par là que je vaux, fi je vaux quelque chofe.
(1) Ainfi, foit que bien-tôt, par une dure loi
La Mort d'un vol affreux vienne fondre fur moi;
Soit que le Ciel me garde un cours long & trans
quille,

(1) Horace Lib. II. S. I. vf. 97.

Seu me tranquilla fenectus

Expectat, feu mors atris circumvolat alis.

Dives, inops, Romæ, feu fors ita jufferit, exful.
Quis quis erit vitæ fcribam, color.

A Rome ou dans Paris, aux champs ou dans la Ville Dût ma Muse par là choquer tout l'Univers " Riche, gueux, triste ou gai, je veux faire des vers. Pauvre efprit, dira-t'on, que je plains ta folie, Modére ces boüillons de ta mélancolie,

(2) Et garde qu'un de ceux que tu penfes blå mer',
N'éteigne dans ton fang cette ardeur de rimer.
(3) Hé quoi? lors qu'autrefois Horace après
Lucile,

Exhaloit en bons mots les vapeurs de fa bile,
Et vangeant la vertu par des traits éclatans,
Alloit ôter le mafque aux vices de fon tems:
Ou bien quand Juvénal, de fa mordante plume,
Faifant couler des flots de fiel & d'amertume
Gourmandoit en courroux tout le peuple Latin,
L'un ou l'autre fit-il une tragique fin?

Et que craindre, après tout, d'une fureur fi vaine;
Perfonne ne connoît ni mon nom, ni ma veine:
On ne voit point mes vers, à l'envi de Montreuil,
Groffir impunément les feüillets d'un Recueil.
A peine quelquefois je me force à les lire,
Pour plaire à quelque Ami que charme la Satire
Qui me flatte peut-être, & d'un air impofteur,.

(2) Horace, Sat. I, Lib. II. vf. 60.

ô puer, ut fis

Vitalis metuo; & majorum nequis amicus.

Frigore te feriat.

(3) Ibid. vf. 62.

Quid cùm eft Lucilius aufus

Primus in hunc operis componere carmina mor em
Detrahere & pellem, nitidus quâ quifque per ora
Cederet, introrfum turpis, num Lælius? aut qui
Duxit ab opprefla meritum Carthagine nomen
Ingenio offenfi, &c.

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