Dans les tems bienheureux du monde en fon en
Chacun mettoit fa gloire en fa feule innocence; Chacun vivoit content, & fous d'égales lois, Le mérite y faifoit la Nobleffe & les Rois; Et fans chercher l'apui d'une naiffance illuftre, Un Héros de foi-même empruntoit tout fon luftre. Mais enfin, par le tems le mérite avili
Vit l'Honneur en roture, & le Vice ennobli; Et l'Orgueil d'un faux titre apuyant fa foibleffe, Maîtrifa les humains fous le nom de Nobleffe. De là vinrent en foule & Marquis & Barons : Chacun pour fes vertus n'offrit plus que des noms," Auffi-tôt maint efprit fécond en rêveries, Inventa le Blazón avec les Armoiries, De fes termes obfcurs fit un langage à part, Compofa tous ces mots de Cimier & d'Ecart De Pal, de Contrepal, de Lambel & de Face, Et tout ce que Segoing dans fon Mercure entaffe. Une vaine folie enyvrant la raison,
L'honneur trifte & honteux ne fut plus de faifon Alors, pour foûtenir fon rang & fa naiffance. Il falut étaler le luxe & la dépense; Il falut habiter un fuperbe Palais, Faire par les couleurs diftinguer fes Valets: Et traînant en tous lieux de pompeux équipages Le Duc & le Marquis fe reconnut aux Pages.
Bien-tôt, pour fubfifter, la Nobleffe fans bien, Trouva l'art d'emprunter & de ne rendre rien Et bravant des Sergens la timide cohorte, Laiffa le Créancier fe morfondre à fa porte. Mais pour comble, à la fin le Marquis en prifon Sous le faix des procès vit tomber fa Maison.
Alors, le noble Altier preffé de l'indigence; Humblement, du Faquin rechercha l'alliance Avec lui trafiquant d'un nom fi précieux, Par un lâche contract vendit tous fes Ayeux. Et corrigeant ainfi la fortune ennemie, Rétablit fon honneur à force d'infamie.
Car fi l'éclat de l'or ne relève le fang:
En vain on fait briller la fplendeur de fon rang. L'amour de vos Ayeux paffe en vous pour manie, Et chacun pour parent vous fuït & vous renie. Mais quand un homme eft riche, il vaut toûjours fon prix :
Et l'eût on vû porter la mandille à Paris ? N'eût-il de fon vrai nom ni titre ni mémoire ?.. D'Hozier lui trouvera cent Ayeux dans l'Hiftoire..
Toi donc, qui de mérite & d'honneurs revêtu Des écueils de la Cour as fauvé ta vertu, Dangeau, qui dans le rang où notre Roi t'apelle, Le vois toûjours orné d'une gloire nouvelle, Et plus brillant par foi, que par l'éclat des Lis, Dédaigner tous ces Rois dans la Pourpre amollis Fuir d'un honteux loifir la douceur importune : A fes fages conseils affervir la Fortune;
Et de tout fon bonheur ne devant rien qu'à soi Montrer à l'Univers, ce que c'est qu'être Roi. Si tu veux te couvrir d'un éclat légitime, Va par mille beaux faits mériter son estime; Sers un fi noble Maître; & fais voir qu'aujourd'huk Ton Prince a des Sujets qui font dignes de lui.
SATIRE V I.
Ui frape l'air, bon Dieu ! de ces lugu. bres cris?
Eft-ce donc pour veiller qu'on fe couche à Paris? Et quel facheux Démon durant les nuits entiéres, Raffemble ici les Chats de toutes les goutiéres ? J'ai beau fauter du lit plein de trouble & d'effroi, Je pense qu'avec eux tout l'enfer est chez moi, L'un miaule en grondant, comme un Tygre en fu
L'autre roule fa voix comme un Enfant qui crie. Ce n'eft pas tout encor. Les Souris & les Rats Semblent, pour m'éveiller, s'entendre avec les
Plus importuns pour moi, durant la nuit obfcure, Que jamais, en plein jour, ne fut l'Abbé de Pure.
Tout confpire à la fois à troubler mon repos : Et je me plains ici du moindre de mes maux. Car à peine les Coqs, commençant leur ramage, Auront de cris aigus frapé le Voifinage; Qu'un affreux Serrurier, que le Ciel en courroux A fait, pour mes péchez, trop voifin de chez nous, Avec un fer maudit, qu'à grand bruit il aprête, De cent coups de marteau me va fendre la tête. J'entens déja par tout les charettes courir, Les Maffons travailler, les boutiques s'ouvrir : Tandis que dans les airs mille cloches émûës, D'un funébre concert font retentir les nuës;
(1) Voiez la Satire III. de Juvenal, depuis le vers 233. Plurimus hic æger moritur vigilando &c.
Et fe mêlant au bruit de la grêle & des vents, Pour honorer les morts, font mourir les vivans. Encor, je benirois la bonté fouveraine,
Si le Ciel à ces maux avoit borné ma peine : Mais fi feul en mon lit, je peste avec raison; C'est encor pis vingt fois en quittant la maison. (2) En quelque endroit que j'aille, il faut fendre la preffe
D'un peuple d'importuns qui fourmillent fans ceffe. L'un me heurte d'un ais, dont je fuis tout froiffe: Je vois d'un autre coup mon chapeau renversé. Là d'un enterrement la funèbre ordonnance D'un pas lugubre & lent vers l'Eglife s'avance: Et plus loin des Laquais, l'un l'autre s'agaçans, Font aboyer les chiens, & jurer les Paffans. Des Paveurs en ce lieu me bouchent le paffage. Là je trouve une croix de funefte présage: Et des Couvreurs grimpez au toît d'une maison, En font pleuvoir l'ardoise, & la tuile à foifon. (3) La fur une charette une poutre branlante Vient menaçant de loin la foule qu'elle augmente: Six chevaux attelez à ce fardeau pefant, Ont peine à l'émouvoir fur le pavé gliffant; D'un caroffe en tournant, il accroche une rouë; Et du choc le renverfe en un grand tas de bouë,
nobis properantibus obstar: Unda prior, magno populus premit agmine lumbos Qui fequitur, ferit hic cubito, ferit affere duro Alter,at hic tignum capiti incutit, ille metretam. 3) Ibid. vf. 254.
modò longa corufcat,
Sarraco veniente abies, atque altera pinum
Plauftra vehunt, nutant altæ, populòque minantu
Quand un autre à l'inftant s'efforçant de paffer, Dans le même embarras se vient embarrasser : Vingt caroffes bien-tôt arrivant à la file,
Y font en moins de rien fuivis de plus de mile: Et pour furcroît de maux, un fort malencontreux Conduit en cet endroit un grand troupeau de Bœufs.
Chacun prétend paffer, l'un mugit, l'autre jure : Des Mulets en fonnant augmentent le murmure: Auffi-tôt cent Chevaux dans la foule apelez, De l'embarras qui croît ferment les défilez ; Et par tout des paffans enchaînant les brigades, Au milieu de la paix, font voir les barricades.. On n'entend que des cris pouffez confufément., Dieu, pour s'y faire oüir, tonneroit vainement : Moi donc, qui dois fouvent en certain lieu me rendre ኑ
Le jour déja baiffant, & qui fuis las d'attendre, Ne fçachant plus tantôt à quel Saint me voüer, Je me mets au hazard de me faire roüer, Je faute vingt ruiffeaux, j'efquive, je me pouffe.. Guenaud fur fon cheval en paffant m'éclabouffe, Et n'ofant plus paroître en l'état où je fuis, Sans fonger où je vais, je me fauve où je puis. Tandis que dans un coin en grondant je m'effuïe Souvent pour m'achever, il furvient une pluie. On diroit que le Ciel qui fe fond tout en eau Veüille inonder ces lieux d'un déluge nouveau. Pour traverser la ruë, au milieu de l'orage, Un ais fur deux pavez forme un étroit passage : Le plus hardi Laquais n'y marche qu'en tremblant Il faut pourtant paffer fur ce pont chancelant, Et les nombreux torrens qui tombent des gou tiéres.
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