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Mais laiffons-le plûtôt en proye à fon caprice
Sa folie auffi-bien lui tient lieu de fuplice.
Il eft d'autres erreurs, dont l'aimable poison
D'un charme bien plus doux enyvre la raison.
L'efprit dans ce Nectar heureusement s'oublie,
Chapelain veut rimer, & c'eft là sa folie:

Mais bien que fes durs vers d'épithètes enflez
Soient des moindres grimauds chez Ménage fiflez:
Lui-même il s'aplaudit, & d'un efprit tranquile,
Prend le pas au Parnaffe au-dessus de Virgile.
Que feroit-il, hélas ! fi quelque audacieux
Alloit pour fon malheur lui défiller les yeux ;
Lui faïfant voir ses vers & fans force, & fans graces,
Montez fur deux grands mots, comme fur deux
échaffes.

Ses termes fans raison l'un de l'autre écartez,
Et fes froids ornemens à la ligne plantez ?
(2) Qu'il maudiroit le jour, où fon ame infensée
Perdit l'heureuse erreur qui charmoit fa pensée!

Jadis certain Bigot, d'ailleurs homme fenfé,
D'un mal affez bizarre eut le cerveau bleffé :
S'imaginant fans ceffe, en fa douce manie,
Des Efprits bien heureux entendre l'harmonie
Enfin un Médecin fort expert en fon art
Le guérit par adreffe, ou plûtôt par hazard:
Mais voulant de fes foins exiger le falaire,
Moi ? vous payer ? lui dit le Bigot en colére,
Vous, dont l'art infernal, par des fecrets maudits,
En me tirant d'erreur m'ôte du Paradis.

(2) Horace Ep. Lib. II. Eps II. 138.

Pol me occidiftis? amici,
Non fervaftis, ait, cui fit extorta voluptas,
Et demptus per vim mentis gratiffimus error.

Japrouve fon courroux. Car puifqu'il faut le

dire,

Souvent de tous nos maux la Raison est le pire, C'est elle qui farouche, au milieu des plaifirs, D'un remords importun vient brider nos defirs. La fâcheufe a pour nous des rigueurs fans pareilles: C'est un Pédant qu'on a fans ceffe à fes oreilles, Qui toûjours nous gourmande, & loin de nous toucher,

Souvent, comme Joli, perd fon tems à prêcher. En vain certains Rêveurs nous l'habillent en Reine, Veulent fur tous nos fens la rendre fouveraine, Et s'en formant en terre une divinité,

Pensent aller par elle à la félicité.

C'est elle, difent-ils, qui nous montre à bien vivre. Ces difcours, il est vrai, font fort beaux dans un

livre,

Je les eftime fort: mais je trouve en effet,
Que le plus fou fouvent eft le plus fatisfait.

SATIRE V.

A Monfieur le Marquis DE DANGEAU,

(1) LA Nobleffe, Dangeau, n'est pas une chi

mére ;

Quand fous l'étroite loi d'une vertu sévére,
Un homme iffu d'un fang fécond en demi-Dieux,
Suit comme toi, la trace où marchoient fes Ayeux.
Mais je ne puis fouffrir qu'un Fat, dont la molleffe
N'a rien pour s'apuyer qu'une veine nobleffe,
Se pare
infolemment du mérite d'autrui,
(1) Juvenal a traité la même matiére, dans fa VII
Satire.

Et me vante un honneur qui ne vient pas de Tuf.
Je veux que la valeur de fes Ayeux antiques,
Ait fourni de matière aux plus vieilles Chroniques
Et que l'un des Capets pour honorer leur nom,
Ait de trois fleurs de Lis doré leur écuffon.
Que fert ce vain amas d'une inutile gloire ?
Si de tant de Héros célébres dans l'Hiftoire,
Il ne peut rien offrir aux yeux de l'Univers,
Que de vieux parchemins, qu'ont épargnez les vers:
Si tout forti qu'il eft d'une fource divine,
Son cœur dément en lui fa fuperbe origine :
Et n'ayant rien de grand qu'une fotte fierté,
S'endort dans une lâche & molle oifiveté ?

Cependant, à le voir avec tant d'arrogance
Vanter le faux éclat de fa haute naiffance;
On diroit que le Ciel eft foumis à fa loi,,
Et que Dieu l'a paîtri d'autre limon que moi.
Enyvré de lui-même, il croit dans fa folie,
Qu'il faut que devant lui d'abord tout s'humilie.
Aujourd'hui toutefois fans trop le ménager,
Sur ce ton un peu haut je vais l'interroger. [me,
(2) Dites-moi, grand Héros, efprit rare & fubli

(2) Fuvenal Sat. VIII. 56.

Dic mihi, Teucrorum proles, animalia muta
Quis generofa puter, nifi fortia? nempe, volucrem
Sic laudamus Equum, facili cui plurima palma
Fervet & exultat rauco victoria circo.

Nobilis hic quocumque venit de gramine, cujus
Clara fuga ante alios, & primus in æquore pulvis.
Sed venale pecus Corythæ posteritás, &
Mirpini, fi rara jugo victoria fedit.

Nil ibi majorum refpectus, gratia nulla
Umbrarum, Dominos pretiis mutare jubentur
Exiguis, tritó que trahunt epirhedia collo,
Segni pedes dignique molam verfare Nepotis.

Entre tant d'animaux, qui font ceux qu'on eftime?
On fait cas d'un Courfier, qui fier & plein de cœur
Fait paroître en courant sa boüillante vigueur,
Qui jamais ne fe laffe, & qui dans la carriére
S'eft couvert mille fois d'une noble pouffiére :
Mais la postérité d'Alfane & de Bayard,
Quand ce n'est qu'une roffe, eft vendue au hazard,
Sans refpect des Ayeux dont elle est descenduë;
Et va porter la malle, ou tirer la charuë:

Pourquoi donc voulez-vous, que par un fot abus,'
Chacun respecte en vous un honneur qui n'eft plus?
On ne m'ébloüit point d'une aparence vaine.
La vertu, d'un cœur noble eft la marque certaine.
Si vous êtes forti de ces Héros fameux,
Montrez-nous cette ardeur qu'on vit briller en eux,
Ce zèle pour l'honneur, cette horreur pour le vice.
Refpectez-vous les loix? Fuïez-vous l'injuftice?
Sçavez-vous fur un mur repouffer des affauts,
Et dormir en plein champ le harnois fur le dos?
Je vous connois pour Noble à ces illuftres marques;
(3) Alors foyez iffu des plus fameux Monarques;
Venez de mille Ayeux; & fi ce n'est assez,
Feüilletez à loifir tous les fiécles paffez.
Voyez de quel Guerrier il vous plaît de defcendre;
Choififfez de Céfar, d'Achille, ou d'Alexandre:
En vain un faux Cenfeur voudroit vous démentir,
Et fi vous n'en fortez, vous en devez fortir.
Mais fuffiez-vous iffu d'Hercule en droite ligne

(3) Ibid. vf. 131.

Tunc licet à Pico numeres genus, altáque fi te
Nomina delectant, omnem Titanida pugnam
Inter majores, ipfumque Promethea ponas.
De quocumque voles proavum tibi fumito libro.

Si vous ne faites voir qu'une baffeffe indigne;
Ce long amas d'Ayeux, que vous diffamez tous
Sont autant de témoins, qui parlent contre vous,
Et tout ce grand éclat de leur gloire ternie,
Ne fert plus que de jour à votre ignominie.
En vain tout fier d'un fang, que vous deshono-

rez,

Vous dormez à l'abri de ces Noms révérez.

En vain vous vous couvrez des vertus de vos Peres;
Ce ne font à mes yeux, que de vaines chimères:
Je ne voi rien en vous, qu'un lâche, un impofteur
Un traître, un fcélérat, un perfide, un menteur
Un fou, dont les accès vont jufqu'à la furie,
Et d'un tronc fort illuftre une branche pourrie. ;
Je m'emporte peut-être : & ma Mufe en fureur
Verfe dans fes difcours trop de fiel & d'aigreur:
Il faut avec les grands un peu de retenuë.
Hé bien, je m'adoucis. Votre race eft connuë.
Depuis quand ? Répondez. Depuis mille ans en-
tiers.

Et vous pouvez fournir deux fois feize quartiers.> C'est beaucoup. Mais enfin, les preuves en font claires,

Tous les livres font pleins de titres de vos Peres
Leurs noms font échapez du naufrage des tems:
Mais qui m'affurera, qu'en ce long cercle d'ans
A leurs fameux Epoux vos Ayeules fidelles,.
Aux douceurs des Galants furent toûjours rebelles?
Et comment fçavez-vous, fi quelque audacieux
N'a point interrompu le cours de vos Ayeux ;
Et fi leur fang tout pur ainfi que leur noblesse,
Eft paffé jufqu'à vous de Lucréce en Lucréce?

Que maudit foit le jour, où cette vanité
Vint ici de nos mœurs foüiller la pureté !

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