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Et fur le Couple pâle, & déja demi mort,
Fait tomber à deux mains l'effroyable tonnerre.
Les Guerriers de ce coup vont mesurer la terre,
Et du bois & des clous meurtris & déchirez,
Long-tems, loin du Perron, roulent fur les degrez.
Aufpectacle étonnant de leur chute imprévuë,
Le Prélat pouffe un cri qui pénétre la nuë.
Il maudit dans fon cœur le Démon des combats,
Et de l'horreur du coup il recule fix pas.
Mais bien-tôt, rapellant fon antique proüeffe,
Il tire du manteau fa dextre vengereffe;
Il part, & de fes doigts, faintement allongez,
Benit tous les Paffans, en deux files rangez.
Il fait que l'Ennemi, que ce coup va furprendre
Deformais fur fes pieds ne l'oferoit attendre,
Et déja voit pour lui tout le peuple en couroux,
Crier aux Combattans: Profanes, à genoux.
Le Chantre, qui de loin voit aprocher l'orage,
Dans fon cœur éperdu cherche en vain du courage:
Sa fierté l'abandonne, il tremble, il céde, il fuit.
Le long des facrez murs fa brigade le fuit.
Tout s'écarte à l'instant: mais aucun n'en réchape.
Par tout le doigt vainqueur les fuit & les ratrape.
Evrard feul, en un coin prudemment retiré,

Se croyoit à couvert de l'infulte facré :
Mais le Prélat vers lui fait une marche adroite,
Il l'observe de l'œil, & tirant vers la droite,

Tout d'un coup tourne à gauche, & d'un bras fortuné,

Benit fubitement le Guerrier confterné.

Le Chanoine, furpris de la foudre mortelle,
Se dreffe, & léve en vain une tête rebelle:
Sur fes genoux tremblans il tombe à cet afpect, I

Et donne à la frayeur ce qu'il doit au refpect.
Dans le Temple auffi-tôt le Prélat plein de gloire,
Va goûter les doux fruits de fa fainte victoire:
Et de leur vain projet les Chanoines punis,
S'en retournent chez eux éperdus & bénis.

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TANDIS que tout confpire à la guerre facrée,
La piété fincére, aux *Alpes retirée,

Du fond de fon defert entend les triftes cris
De fes Sujets cachez dans les murs de Paris.,
Elle quitte à l'inftant fa retraite divine.
La Foi d'un pas certain devant elle chemine;
L'Espérance au front gai l'apuïe & la conduit:
Et la bourfe à la main, la Charité la fuit.
Vers Paris elle vole, & d'une audace fainte,
Vient aux pieds de Thémis proférer cette plainte.
Vierge, effroi des méchans, apui de mes Autels,
Qui, la balance en main, régle tous les Mortels
Ne viendrai-je jamais en tes bras falutaire,
Que pouffer des foûpirs, & pleurer mes miséres?
Ce n'est donc pas affez, qu'au mépris de tes Loix,
L'Hypocrifie ait pris & mon nom & ma voix;
Que fous ce nom facré par tout les mains avares
Cherchent à me ravir Croffes, Mitres, Tiares?
Faudra-t'il voir encor cent Monftres furieux
Ravager mes Etats ufurpez à tes yeux?

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Dans les tems orageux de mon naiffant Empire,
Au fortir du Baptême on couroit au martyre.
Chacun plein de mon nom ne refpiroit que moż

* La

grande

Chartreufe eft dans les Alpes

Le Fidèle, attentif aux régles de fa Loi,
Fuyant des vanitez la dangéreufe amorce,
Aux honneurs apellé, n'y montoit que par force.
Ces cœurs, que les Bourreaux ne faifoient point
frémir,

A l'offre d'une mitre étoient prêts à gémir :
Et fans peur des travaux, fur mes traces divines,
Couroient chercher le Ciel au travers des épines.
Mais depuis que l'Eglife eut aux yeux des mortels,
De fon fang en tous lieux cimenté ses Autels,
Le calme dangereux fuccédant aux orages,
Une lâche tiédeur s'empara des courages :
De leur zèle brûlant l'ardeur se ralentit :
Sous le joug des péchez leur foi s'apefantit ;
Le Moine fecoüa le cilice & la haire :
Le Chanoine indolent aprit à ne rien faire :
Le Prélat par la brigue aux honneurs parvenu,
Ne fçut plus qu'abufer d'un ample revenu ;
Et pour toutes vertus fit aù dos d'un caroffe,
A côté d'une mitre armorier fa croffe.
L'Ambition par tout chaffa l'Humilité;
Dans la craffe du froc logea la Vanité.
Alors de tous les cœurs l'union fut détruite.
Dans mes Cloîtres facrez la Discorde introduite,
Y bâtit de mon bien fes plus fûrs Arsénaux,
Traina tous mes sujets au pié des Tribunaux.
En vain à fes fureurs j'opofai mes prières,
L'infolence à mes yeux marcha fous mes Banniéres.
Pour comble de mifére, un tas de faux Docteurs
Vint flatter les péchez de difcours impofteurs ;
Infectant les Efprits d'exécrables maximes,
Voulut faire à Dieu même aprouver tous les crimes,
Une fervile Peur tint lieu de Charité;;

Le befoin d'aimer Dieu paffa pour nouveauté;
Et chacun à mes piés confervant fa malice,
N'aporta de vertu que l'aveu de fon vice.

Pour éviter l'affront de ces noirs attentats,
J'allai chercher le calme au fejour des frimats;
Sur ces monts entourez d'une éternelle glace,
Où jamais au Printems les Hyvers n'ont fait place.
Mais jufques dans la nuit de mes facrez Deserts
Le bruit de mes malheurs fait retentir les airs...
Aujourd'hui même encore, une voix trop fidelle
M'a d'un trifte de faftre aporté la nouvelle.

J'aprens que dans ce Temple, où le plus faint des
Rois *

Confacra tout le fruit de fes pieux exploits,

Et fignala pour moi fa pompeufe largeffe;
L'implacable Discorde, & l'infame Moleffe,

* Saint

Louis,

Fonda

teur de

la Sainte

Foulant aux piez les loix, l'honneur & le devoir, Chapelled

Ufurpent en mon nom le fouverain pouvoir.

Souffriras-tu, ma Sœur, une action fi noire ?
Quoi! ce temple, à ta porte élevé pour ma gloire,
Où jadis des Humains j'attirois tous les vœux,
Sera de leurs combats le théatre honteux ?
Non, non, il faut enfin que ma vengeance éclate >
Affez & trop long-tems l'impunité les flatte.
Prens ton glaive, & fondant fur ces Audacieux
Vien aux yeux des Mortels juftifier les Cieux.

Ainfi parle à fa Sœur cette Vierge enflamée ;
La Grace eft dans fes yeux d'un feu púr allumée.
Thémis fans différer lui promet fon fecours,
La flatte, la raffure, & lui tient ce difcours.

Chére & divine Soeur, dont les mains fecourables
Ont tant de fois féché les pleurs des Miférables,
Pourquoi toi-même, en proïe à tes vives douleurs

Cherches-tu fans raifon à groffir tes malheurs?
En vain de tes Sujets l'ardeur eft ralentie:
D'un ciment éternel ton Eglife eft bâtie;
Et jamais de l'Enfer les noirs frémissemens
N'en fçauroient ébranler les fermes fondeinens.
Au milieu des combats, des troubles, des querelles,
Ton nom encor chéri vit au fein des Fidelles.
Croi-moi, dans ce Lieu même, où l'on veut t'o-
primer,

Le trouble, qui t'étonne, eft facile à calmer:
Et pour y rapeller la Paix tant defirée,

Je vais t'ouvrir, nia Sœur, une route affûrée.
Prête-moi donc l'oreille, & retien tes foûpirs.
Vers ce Temple fameux, fi cher à tes defirs,
Où le Ciel fut pour toi fi prodigue en miracles;
Non loin de ce Palais où je rends mes oracles,
Eft un vaste féjour des Mortels révéré,

Et de Cliens foumis à toute heure entouré.

Là, fous le faix pompeux de ma pourpre honorable Veille au foin de ma gloire un Homme incompara¬ ble;

Arifte, dont le Ciel & Louïs ont fait choix,
Pour régler ma balance, & dispenser mes Loix.
Par lui dans le Barreau fur mon Trône affermie
Je vois heurler en vain la Chicane ennemie.
Par lui la Vérité ne craint plus l'Impofteur,
Et l'Orphelin n'est plus devoré du Tuteur.
Mais pourquoi vainement t'en retracer l'image?
T'u le connois affez, Arifte eft ton ouvrage.
C'eft Toi qui le formas dès fes plus jeunes ans :
Son mérite fans tache est un de tes prefens.
Tes divines leçons, avec le lait fuccées,
Allumérent l'ardeur de fes nobles pensées.

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