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donc le bonheur de ne lui être pas defagréable. Il m'as pella à tous fes plaifirs & à tous fes divertissemens c'est-à-dire, à fes lectures & à fes promenades. Il me favorija même quelquefois de fa plus étroite confidence, & me fit voir à fond fon ame entiére. Et que n'y vis-je point! Quel trefor surprenant de probité & de justice! quel fonds inépuisable de piété & de zèle! Bien que fa vertu jettât un fort grand éclat au debors, c'étoit toute autre chofe au dedans; & on voyoit bien qu'il avoit foin d'en tempérer les rayons, pour ne pas bleffer les yeux d'un fiécle auffi corrompu que le nôtre. Je fus fincérement épris de tant de qualitez admirables; & s'il eut beaucoup de bonne volonté pour moi, j'eus aussi pour lui une trés-forte attache. Les foins, que je lui rendis, ne furent mêlez d'aucune raifon d'intérêt mercenaire; & je fongeai bien plus à profiter de fa converfation que de fon crédit. Il mourut dans le tems que cette amitié étoit en fon plus baut point, & le fouvenir de fa perte m'afflige encore tous les jours. Pourquoi faut-il que des Hommes fi dignes de vivre foient fi-tôt enlevez du monde, tandis que des miferables & des gens de rien arrivent à une extrême vieillesse? Je ne m'étendrai pas davantage fur un fu jet fi trifte: car je fens que fi je continuois à en par

ber, je ne pourrois m'empêcher de moüiller peut-être de larmes la Préface d'un Ouvrage de pure plaisanterie.

L

ARGUMENT.

E Treforier remplit la premiére Dignité du

Chapitre, dont il eft ici parlé, & il officie avec toutes les marques de l'Epifcopat. Le Chantre remplit la feconde Dignité. Il y avoit autrefois dans le Chœur, devant la place du Chantre, un énorme Pupitre ou Lutrin, qui le couvroit prefque tout entier. Il le fit ôter. Le Treforier voulut le faire remettre. De là, arriva une difpute, qui fait le fujet de ce Poëme.

LE LUTRIN POEME HER OI-COMIQUE.

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CHANT PREMIER.

E chante les combats, & ce Prélat ter

rible,

Qui par fes longs travaux, & fa force in

vincible

Dans une illuftre Eglife exerçant fon grand cœur,
Fit placer à la fin un Lutrin dans le Chœur.

C'eft en vain que le Chantre abufant d'un faux titre,
Deux fois l'en fit ôter par les mains du Chapitre:
Ce Prélat fur le banc de fon Rival altier,
Deux fois, le reportant, l'en couvrit tout entier.
Muse, redi- moi donc, quelle ardeur de ven-
geance,

De ces Hommes facrez rompit l'intelligence,
Et troubla fi long-tems deux célébres Rivaux.
(1)Tant de fiel entre-t'il dans l'ame des Dévots?
Et toi, fameux Héros, dont la fage entremife
(1) Virgile, Æneide, Liv. 1.

Tanta pe animis cœleftibus iræ.

De ce Schifme naiffant débarraffa l'Eglife;
Vien d'un regard heureux animer mon projet,
Et garde-toi de rire en ce grave fujet.

Parmi les doux plaifirs d'une paix fraternelle,
Paris voyoit fleurir fon antique Chapelle.
Ses Chanoines vermeils, & brillans de fanté,
S'engraiffoient d'une longue & fainte oifiveté.
Sans fortir de leurs lits plus doux que leurs her-
mines,

Ces pieux fainéans faifoient chanter Matines;
Veilloient à bien dîner, & laiffoient en leur lieu
A des Chantres gagez le foin de loüer Dieu.
Quand la Difcorde, encor toute noire de crimes,
Sortant des Cordeliers pour aller aux Minimes,
Avec cet air hideux qui fait frémir la Paix,
S'arrêta près d'un arbre au pié de fon Palais.
Là, d'un œil attentif, contemplant fon Empire,
A l'afpect du Tumulte, Elle même s'admire.
Elle y voit par le coche & d'Evreux & du Mans,
Accourir à grands flots fes fidelles Normans.
Elle y voit aborder le Marquis, la Comteffe,
Le Bourgeois, le Manant, le Clergé, la Nobleffe;
Et par tout des Plaideurs les efcadrons épars,
Faire autour de Thémis flotter fes étendars.
Mais une Eglife feule à fes yeux immobile,
Garde au fein du tumulte une affiette tranquile.
Elle feule la brave; elle feule aux procès
De fes paifibles murs veut défendre l'accès.
La Difcorde, à l'aspect d'un calme qui l'offense,
Fait fiffler les ferpens, s'excite à la vengeance.
Sa bouche se remplit d'un poison odieux,
Et de longs traits de feu lui fortent par les yeux.

Quoi! dit-elle, d'un ton qui fit trembler les vitres,
J'aurai pû jufqu'ici bròüiller tous les Chapitres,
Divifer Cordeliers, Carmes & Célestins!
J'aurai fait foûtenir un Siége aux Auguftins!

Et cette Eglife feule, à mes ordres rebelle,
Nourrira dans fon fein une paix éternelle!
Suis-je donc la Difcorde? & parmi les Mortels,
Qui voudra deformais encenfer mes Autels?

A ces mots, d'un bonnet couvrant fa tête énorme:
Elle prend d'un vieux Chantre & la taille & la forme,
Elle peint de bourgeons fon vifage guerrier,
Et s'en va de ce pas trouver le Treforier.

Dans le réduit obfcur d'une alcove enfoncée, S'éléve un lit de plume à grands frais amassée. Quatre rideaux pompeux, par un double contour, En défendent l'entrée à la clarté du jour. Là, parmi les douceurs d'un tranquile filence, Régne fur le duvet une heureufe indolence. C'est-là que le Prélat muni d'un déjeûner, Dormant d'un leger fomme, attendoit le dîner, La Jeuneffe en fa fleur brille fur fon visage, Son menton fur fon fein defcend à double étage : Et fon corps ramaffé dans fa courte groffeur, Fait gémir les couffins fous fa molle épaiffeur.

La Déeffe en entrant, qui voit la nape mise, Admire un fi bel'ordre & reconnoît l'Eglife; Et marchant à grands pas vers le lieu du repos, 7 Au Prélat fommeillant, elle adreffe ces mots:

Tudors? Prélat, tu dors? & là-haut à ta place. Le Chantre aux yeux du Chœur étale fon audace, Chante les Oremus, fait des Proceffions,

Et répand à grands flots les bénédictions.
Tudors?attends-tu donc,que fans bulle & fans titre

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