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Chaque Age a fes plaifirs, fon efprit, & fes inceurs. Un jeune Homme, toûjours boüillant dans fes caprices,

Eft prompt à recevoir l'impreffion des vices,
Eft vain dans fes difcours, volage en fes defirs,
Rétifà la cenfure, & fou dans les plaifirs.

L'Age viril plus mûr infpire un air plus fage,
Se pouffe auprès des Grands, s'intrigue, fe ménage;
Contre les coups du Sort fonge à fe maintenir;
Et loin dans le prefent regarde l'avenir.

La Vieilleffe chagrine inceffamment amaffe: Garde, non pas pour foi les trefors qu'elle entaffe; Marche en tous fes deffeins d'un pas lent & glacé; Toujours plaint le prefent, & vante le paffé; Inhabile aux plaisirs, dont la Jeuneffe abuse, Blâme en eux les douceurs, que l'âge lui refuse. Ne faites point parler vos Acteurs au hazard,

(8) Verf. 161. Imberbis juvenis

Cereus in vitium fle&ti, monitoribus afper,
Utilium tardus provifor, prodigus æris,

Sublimis, cupidufque, & amata relinquere pernix
Converfis ftudiis, ætas, animufque virilis,
Quærit opes & amicitias, infervit honori;
Commififfe cavet, quod mox mutare laboret.
Multa fenem circumveniunt incommoda, vel quod
Querit & inventis, miser abftinet, ac timet uti;
Vel quod res omnes timidè, gelidéque ministrat
Dilator, fpe longus, iners, avidufque futuri,
Difficilis, querulus laudator temporis acti
Se puero, cenfor caftigatorque minorum, &c.
ne fortè feniles
Mandentur juveni partes, pueroque viĝiles,

Un Vieillard en jeune Homme, un jeune Homme

en Vieillard.

Etudiez la Cour, & connoiffez la Ville.
L'une & l'autre est toujours en modèles fertile.
C'est par là que Moliére illuftrant fes Ecrits,
Peut-être de fon Art eut remporté le prix :
Si, moins ami du Peuple, en fes doctes peintures,
Il n'eût point fait fouvent grimacer fes figures,
Quitté, pour le bouffon, l'agréable & le fin,
Et fans honte à Térence allié Tabarin.
Dans ce fac ridicule où* Scapin s'envelope,
Je ne reconnois plus l'Auteur du Mifanthrope.

* Comé

die de

Le Comique, ennemi des foupirs & des pleurs, Moliére
N'admet point en fes Vers de tragiques douleurs:
Mais fon emploi n'eft pas d'aller dans une place,
De mots fales & bas charmer la populace.

Il faut que fes Acteurs badinent noblement :
Que fon nœud bien formé se dénouë aisément :
Que l'Action, marchant où la raifon la guide,
Ne fe perde jamais dans une Scène vuide;
Que fon ftile humble & doux fe releve à propos :
Que fes difcours par tout fertiles en bons mots,
Soient pleins de paffions finement maniées;
Et les fcènes toujours l'une à l'autre liées.
Aux dépens du bon fens gardez de plaifanter.
Jamais de la Nature il ne faut s'écarter.
Contemplez de quel air un Pere dans Térence
Vient d'un fils amoureux gourmander l'imprudence;
De quel air cet Amant écoute fes leçons,

Et court chez fa Maîtreffe oublier ces chansons.
Ce n'est pas un portrait, une image semblable;
C'est un Amant, un fils, un Pere véritable.
J'aime fur le théatre un agréable Auteur,

Qui, fans fe diffamer aux yeux du Spectateur, Plaît par la raifon feule, & jamais ne la choque. Mais pour un faux Plaifant, à groffiére équivoque, Qui pour me divertir, n'a que la faleté;

Qu'il s'en aille, s'il veut, fur deux tréteaux monté, Amufant le Pont-neuf de fes fornettes fades

Aux Laquais affemblez joüer fes Mafcarades.

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Ans Florence jadis vivoit un Médecin,

DSçavant babeat, vt voit un Médeciafaffine

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Lui feul y fit long-tems la publique mifére.
Là le Fils orphelin lui redemande un Pere,
Ici le Frere pleure un Frere empoisonné.
L'un meurt vuide de fang, l'autre plein de féné..>
Le rhume à fon afpect fe change en pleurélie;
Et par lui la migraine eft bien-tôt phrénéfie.
Il quitte enfin la Ville, en tous lieux détesté.
De tous fes Amis morts un feul Ami resté
Le méne en fa maison de superbe structure.
C'étoit un riche Abbé, fou de l'Architecture.
Le Médecin d'abord femble né dans cet Art.
Déja de bâtimens parle comme Mansard.
D'un falon, qu'on éléve, il condamne la face.
Au veftibule obfcur il marque une autre place:
Aprouve l'escalier tourné d'autre façon.
Son ami le conçoit, & mande fon maçon.
Le maçon vient, écoute, aprouve, & fe corrige.
Enfin, pour abréger un fi plaifant prodige,
Notre Affallin renonce à fon Art inhumain,

Et deformais la régle & l'équierre à la main,
Laiffant de Galien la Science fufpecte,

De méchant Médecin devient bon Architecte.
Son exemple eft pour nous un précepte excellent
Soyez plûtôt Maçon, fi c'eft votre talent,
« Ouvrier estimé dans un Art néceffaire,.
Qu'Ecrivain du commun, & Poëte vulgaire.
Il est dans tout autre Art des degrez différens.
On peut avec honneur remplir les feconds rangs..
Mais dans l'Art dangereux de rimer & d'écrire,;
Il n'eft point de degrez du médiocre au pire.
Qui dit froid Ecrivain, dit déteftable Auteur,
* Boyer eft à Pinchéne égal pour le Lecteur.
On ne lit guéres plus Rampalle & Ménardiére,
Que Magnon, Du Souhait, Corbin & la Morliére.
Un Fou du moins fait rire, & peut nous égayer:
Mais un froid Ecrivain ne fait rien qu'ennuyer.
J'aime mieux Bergerac & fa burlefque audace,
Que ces Vers où Motin fe morfond & nous glace.
Ne vous enyvrez point des éloges flateurs,
Qu'un amas quelquefois de vains Admirateurs
Vous donne en ces Réduits, promts à crier, Mer-
veille!

Tel Ecrit recité fe foutient à l'oreille,
Qui dans l'impreffion, au grand jour fe montrant,
Ne foutient pas des yeux le regard pénétrant.
On fçait de cent Auteurs l'avanture tragique :
Et Gombaut tant loüé garde encor la boutique.
Ecoutez tout le monde, affidu confultant.
Un Fat quelquefois ouvre un avis important.
Quelques Vers toutefois qu'Apollon vous infpire,
En tous lieux auffi-tôt ne courez pas les lire.
Gardez-vous d'imiter ce Rimeur furieux,

*Auteur médiocre

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Cyrano Bergeras

Auteur du Voyage de la Lune.

Qui de fes vains Ecrits lecteur harmonieux,
Aborde en recitant quiconque le saluë;

Et pourfuit de fes Vers les paffans dans la ruë.
Il n'eft Temple fi faint, des Anges respecté,

Qui foit contre fa Mufe un lieu de fureté.

Je vous l'ai déja dit, aimez qu'on vous cenfure,
Et fouple à la Raison, corrigez fans murmure.
Mais ne vous rendez pas dès qu'un fot vous reprend
Souvent de fon orgueil un fubtil ignorant,
Par d'injuftes dégoûts combat toute une Piéce ;
Blâme des plus beaux Vers la noble hardieffe.
On a beau réfuter ses vains raisonnemens:
Son efprit fe complaît dans fes faux jugemens;
Et fa foible raifon, de clarté dépourvûë,
Pense que rien n'échape à sa débile vûë.

Ses confeils font à craindre; & fi vous les croyeż,
Penfant fuir un écueil, fouvent vous vous noyez.
Faites choix d'un Cenfeur folide & falutaire,
Que la Raifon conduife, & le Sçavoir éclaire,
Et dont le crayon fûr, d'abord aille chercher
L'endroit, que l'on fent foible, & qu'on fe veut
cacher.

Lui seul éclaircira vos doutes ridicules:

De votre esprit tremblant lévera les scrupules. C'est lui qui vous dira, par quel transport heureux, Quelquefois dans fa courfe un Esprit vigoureux Trop refferré par l'Art, soit des régles prescrites, Et de l'Art même aprend à franchir leurs limites. P. Cor- Mais ce parfait Cenfeur fe trouve rarement. neille fi Tel excelle à rimer qui juge fottement.

célébre

par fes Tel s'eft fait par fes Vers diftinguer dans la Ville, excellen- Qui jamais de Lucain n'a diftingué Virgile, Auteurs, prêtez l'oreille à mes inftructions.

tes Tra

gédies.

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