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Horace à cette aigreur mêla fon enjoûment.
On ne fut plus ni fat ni fot impunément:
Et malheur à tout nom, qui propre à la cenfure,
Put entrer dans un Vers, fans rompre la mesure.

Perfe en fes Vers obfcurs, mais ferrez & preffans,
Affecta d'enfermer moins de mots que de fens.
Juvénal, élevé dans les cris de l'Ecole,
Pouffa jufqu'à l'excès fa mordante hyperbole.
Ses Ouvrages, tout pleins d'affreufes véritez,
Etincellent pourtant de fublimes beautez:
* Soit que fur un Ecrit arrivé de Caprée,
Il brife de Séjan la Statuë adorée ;

Soit qu'il faffe au Confeil courir les Sénateurs,
D'un Tiran foupçonneux, pâles adulateurs:
Ou que pouffant à bout la luxure Latine,
*Aux Portefaix de Rome il vende Meffaline.
Ses Ecrits pleins de feu par tout brillent aux yeux.
De ces Maîtres fçavans, disciple ingénieux,
Regnier feul parmi nous formé fur leurs modelles,
Dans fon vieux ftile encore a des graces nouvelles.
Heureux! fi fes difcours, crains du chafte Lecteur,
Ne fe fentoient des lieux où fréquentoit l'Auteur;
Et fi, du fon hardi de fes rimes Cyniques,
Il n'allarmoit souvent les oreilles pudiques.

Le Latin, dans les mots, brave l'Honnêteté.
Mais le Lecteur François veut être respecté.
Du moindre fens impur la liberté l'outrage,
Si la pudeur des mots n'en adoucit l'image.
Je veux dans la Satire un efprit de candeur,
Et fuis un effronté qui prêche la pudeur.
D'un trait de ce Poëme, en bons mots fi fertile,
Le François né malin forma le Vaudeville,

Agréable Indifcret, qui, conduit par le chant,

* Sati

re 10.

+ Satire

* Satire 6.

Paffe de bouche en bouche & s'accroît en marchant)
La liberté Françoise en fes Vers fe déploie.
Cet enfant de plaifir veut naître dans la joie.
Toutefois n'allez pas, goguenard dangereux,
Faire Dieu le sujet d'un badinage affreux.
A la fin tous ces jeux, que l'Athéîfme éléve,
Conduisent triftement le Plaisant à la Gréve.
Il faut, même en chansons, du bon fens & de l'art.
Mais pourtant on a vû le vin & le hazard
Infpirer quelquefois une Mufe groffiére,
Et fournir, fans génie, un couplet à Liniére.
Mais pour un vain bonheur qui vous a fait rimer
Gardez qu'un fot orguëil ne vous vienne enfumer.
Souvent l'Auteur altier de quelque chanfonnette,
Au même instant prend droit de fe croire Poëte.
Il ne dormira plus qu'il n'ait fait un Sonnet.
Il met tous les matins fix Impromptus au net.
Encore eft-ce un miracle, en fes vagues furies,
Si bien-tôt imprimant fes fottes rêveries,

Il ne fe fait graver au devant du Recueil,
* Fa-
Couronné de lauriers par la main de Nanteüil.

meux

Graveur.

TO:TO TOTO:TOTO TO:TO

CHANT

I I I.

Ln'eft point de Serpent, ni de Monftre odieux, Qui par l'Art imité ne puiffe plaire aux yeux. D'un pinceau délicat, l'artifice agréable, Du plus affreux objet fait un objet aimable. Ainfi, pour nous charmer, la Tragédie en pleurs, D'Oedipe tout fanglant fit parler les douleurs; D'Orefte parricide exprima les alarmes ;

Et pour nous divertir, nous arracha des larmes. Vous donc, qui d'un beau feu pour le Théatre

épris,

Venez en Vers pompeux y difputer le prix,
Voulez-vous fur la Scène étaler des Ouvrages,
Où tout Paris en foule aporte fes fuffrages,
Et qui toujours plus beaux, plus ils font regardez,
Soient au bout de vingt ans encor redemandez?
Que dans tous vos difcours la Paffion émuë,
Aille chercher le cœur, l'échauffe, & le remuë.
Si d'un beau mouvement l'agréable fureur,
Souvent ne nous remplit d'une douce Terreur;
Ou n'excite en notre ame une Pitié charmante,
En vain vous étalez une Scène fçavante.
Vos froids raifonnemens ne feront qu'attiédir
Un Spectateur, toûjours pareffeux d'aplaudir,
Et qui des vains efforts de votre Rhétorique,
Juftement fatigué, s'endort, ou vous critique.
Le fecret eft d'abord de plaire & de toucher.
Inventez des refforts qui puiffent m'attacher.
Que dès les prémiers Vers l'Action préparée,

Sans peine, du Sujet aplaniffe l'entrée. Je me ris d'un Acteur, qui lent à s'exprimer, De ce qu'il veut, d'abord ne fçait pas m'informer; Et qui, débrouillant mal une pénible intrigue, D'un divertiffement me fait une fatigue. J'aimerois mieux encor qu'il déclinât fon nom, Et dit, je fuis Orefte, ou bien Agamennon: Que d'aller, par un tas de confufes merveilles, Sans rien dire à l'efprit, étourdir les oreilles. Le fujet n'eft jamais affez tôt expliqué. Que le Lieu de la fcéne y foit fixe & marqué. Un Rimeur fans péril, delà les Pyrénées, Sur la fcéne en un jour renferme des années. Là fouvent le Héros d'un fpectacle groffier, Enfant au premier acte, eft Barbon au dernier. Mais nous, que la Raifon à fes régles engage, Nous voulons qu'avec art l'Action fe ménage: Qu'en un Lieu, qu'en un Jour, un feul Fait accompli Tienne jufqu'à la fin le Théatre rempli.

Jamais au Spectateur n'offrez rien d'incroïable. Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable. Une merveille abfurde eft pour moi fans apas. L'efprit n'eft point émû de ce qu'il ne croit pas. Ce qu'on ne doit point voir, qu'un recit nous l'ex

pose.

Les yeux en le voyant faifiroient mieux la chose:
Mais il eft des objets, que l'Art judicieux
Doit offrir à l'oreille, & reculer des yeux.

[ne,

Que le trouble toûjours croiffant de fcéne en fcéA fon comble arrivé, fe débrouille fans peine. L'efprit ne fe fent point plus vivement frapé, Que lorfqu'en un fujet d'intrigue envelopé, D'un fecret tout à coup la vérité connuë,

Change

Change tout, donne à tout une face imprévûë.
(1)La Tragédie, informe & groffiére en naiffant
N'étoit qu'un fimple Chœur, où chacun en danfant,
Et du Dieu des raifins entonnant les loüanges,
S'efforçoit d'attirer de fertiles vendanges.
Là le vin & la joye éveillant lès efprits,
Du plus habile Chantre un bouc étoit le prix.
Thefpis fut le premier, qui barboüillé de lie,
Promena par les bourgs cette heureuse folie;
Et d'Acteurs mal ornez chargeant un tombereau,
Amufa les Paffans d'un fpectacle nouveau.
Efchyle dans le chœur jetta les personnages;
D'un mafque plus honnête habilla les vifages;
Sur les ais d'un théatre en public exhauffé,
Fit paroître l'Acteur d'un brodequin chauffé.
Sophocle enfin donnant l'effort à fon génie,
Accrut encor la pompe, augmenta l'harmonie,
Interreffa le Choeur dans toute l'Action,

Des Vers trop raboteux polit l'expreffion;
Lui donna chez les Grecs cette hauteur divine,
Où jamais n'atteignit la foibleffe Latine.

Chez nos dévots Ayeux, le Théatre abhorré
Fut long-tems dans la France un plaifir ignoré.
De Pelerins, dit-on, une Troupe groffiére

(1) Horace, Art Pcëtique, vf. 275. Ignotum Tragicæ genus inveniffe Camœnæ Dicitur, & plauftris vexiffe poëmata Thespis: Quæ canerent, ageréntque perun&ti fæcibus ora. Ibid. vf. 220.

Carmine qui Tragico vilem certavit ob hircum. vers 278.

Poft hunc perfonæ pallæque repertor honestæ

fchy.us, & modicis inftravit pulpita tignis, Et docuit nfagnúmque loqui, aitique cothurno.

K

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