Page images
PDF
EPUB

que ces deux Ouvrages furent en état de paroltre en 1674. avec les quatre premiéres Epitres.

L'Art Poëtique paffe communément pour le chefdauvre de notre Auteur. Trois chofes principalement le rendent confidérable: la difficulté de l'entreprise, la beauté des vers, & l'utilité de l'Ouvrage.

On peut même lui donner une autre lotange, que fa modeftie lui faifoit rejetter: c'eft qu'il y a plus d'ordre dans fa Poëtique que dans celle d'Horace, & qu'il eft entré bien plus avant que cet Ancien, dans le détail des régles de la Poëfie.

Ses Ennemis l'accuférent pourtant de n'avoir fait que traduire la Poëtique d'Horace; mais il se contenta. de leur répondre, qu'il les remercioit de cette accufation: Car puifque dans mon Ouvrage, dit-il, qui est d'onze cens Vers, il n'y en a pas plus de cinquante ou de foixante imitez d'Horace, ils ne peuvent pas faire un plus bel éloge du refte qu'en le fupofant traduit de ce grand Poěte; & je m'étonne après cela qu'ils ofent combattre les régles que j'y debite.

Dans le premier Chant de ce Poëme, l'Auteur donne des régles générales pour la Poefie: mais ces régles n'apartiennent point fi proprement à cet Art, qu'elles ne puiffent auffi être pratiquées utilement dans les autres genres d'écrire. Une courte digreffion renferme l'Hif toire de la Poëfie Françoise, depuis VILLON jusqu'à MALHERBE.

Dans le fecond Chant, & dans le troifiéme, il don→ ne le caractére des divers genres de Poëfies en particulier.

Enfin, le quatrième Chant contient la fuite des in fructions néceffaires à tous les Poëtes.

[ocr errors]

L'ART POETIQUE

CHANT PREMIER.

'EST en vain qu'au Parnaffe un téméraire Auteur

Penfe de l'Art des Vers atteindre la hau

teur.

S'il ne fent point du Ciel l'influence fecrette,
(1) Sifon Aftre en naiffant ne l'a formé Poëte,
Dans fon génie étroit il est toûjours captif.
Pour lui Phébus eft fourd, & Pégafe eft rétif.

O vous donc qui brûlant d'une ardeur périlleuse,
Courez du bel Efprit la carriére épineuse,
N'allez pas fur des Vers fans fruit vous confumer,
Ni prendre pour Génie un amour de rimer.
Craignez d'un vain plaifir les trompeufes ainorces,
Et confultez long-tems votre esprit & vos forces,
La nature fertile en Efprits excellens,
Sçait entre les Auteurs partager les talens.
L'un peut tracer en vers une amoureuse flamme:

(1) Horace dans l'Art Poëtique, v% 383.

Tu nihil invitâ dices faciesve Minervâ.

Auteur

L'autre, d'un trait plaifant aiguifer l'Epigramme.
Malherbe d'un Héros peut vanter les Exploits;
Racan chanter Philis, les Bergers, & les Bois.
Mais fouvent un Efprit qui fe flatte, & qui s'aime,
Méconnoit fon Génie, & s'ignore foi-même.

* Saint Ainfi,* Tel autrefois, qu'on vit avec Faret Amand Charbonner de fes vers les murs d'un cabaret, du Morfe S'en va mal à propos, d'une voix infolente, fauvé. Chanter du Peuple Hébreu la fuite triomphante; Et pourfuivant Moïfe au travers des deferts, Court avec Pharaon fe noïer dans les mers.

Quelque fujet qu'on traite, ou plaifant, ou fublime,
Que toûjours le Bon Sens s'accorde avec la Rime.
L'un l'autre vainement ils femblent se haïr;
La Rime eft une efclave, & ne doit qu'obéïr.
Lors qu'à la bien chercher d'abord on s'évertuë,
L'efprit à la trouver aifément s'habituě.
Au joug de la raifon fans peine elle fléchit ;
Et loin de la gêner, la fert & l'enrichit.
Mais lorfqu'on la néglige, elle devient rebelle;
Et pour la ratraper, le Sens court après elle.
Aimez donc la Raifon. Que toûjours vos Ecrits
Empruntent d'elle feule & leur luftre & leur prix.
La plupart emportez d'une fougue infenfée, [fée.
Toûjours loin du droit fens vont chercher leur pen-
Ils croiroient s'abaiffer dans leurs Vers monftrueux,
S'ils penfoient ce qu'un autre a pu penfer comme

eux.

Evitons ces excès. Laiffons à l'Italie

De tous ces faux brillans l'éclatante folie.
Tout doit tendre au Bon Sens: mais pour y parvenir,
Le chemin eft gliffant & pénible à tenir.

Pour peu qu'on s'en écarte, auffi-tôt on fe noïe

La Raifon, pour marcher, n'a fouvent qu'une voïe,
Un Auteur quelquefois trop plein de fon objet,
Jamais fans l'épuiser n'abandonne un sujet.
S'il rencontre un Palais, il m'en dépeint la face,
Il me proméne après de terraffe en terraffe;
Ici s'offre un perron; là régne un corridor;
Là ce balcon s'enferme en un baluftre d'or;
Il compte des plafons, les ronds & les ovales,
Ce ne font que Feftons, ce ne font qu' Aftragales.
Je faute vingt feuillets pour en trouver la fin;
Et je me fauve à peine au travers du Jardin.
Fuyez de ces Auteurs l'abondance stérile;
Et ne vous chargez point d'un détail inutile.
Tout ce qu'on dit de trop eft fade & rebutant:
L'efprit raffafié le rejette à l'instant.

*

Qui ne fçait fe borner, ne fçut jamais écrire. [pire.
(2) Souvent la peur d'un mal nous conduit dans un
Un vers étoit trop foible, & vous le rendez dur.
(3) J'évite d'être long, & je deviens obfcur. [nuë.
L'un n'eft point trop fardé; mais fa Mufe eft trop
L'autre a peur de ramper, il fe perd dans la nuë.
Voulez-vous du Public mériter les amours?

* Vers de Scuderi

Sans ceffe en écrivant variez vos difcours.
Un ftile trop égal & toûjours uniforme,

[me.

En vain brille à nos yeux; il faut qu'il nous endor

(2) Ibid. uf. 31.

In vitium ducit culpæ fuga, fi caret arte.

(3) Ibid. vf. 25.

Brevis effe laboro,

Obfcurus fio; fe&tantem lævia, nervi

Deficiunt animique ; profeflus grandia, turget,
Serpit humi tutus nimiùm, timidufque procellæ.

On lit peu ces Auteurs nez pour nous ennuyer,
Qui toûjours fur un ton femblent pfalmodier.
Heureux,qui dans fes Vers fçait,d'une voix legere
Paffer du grave au doux, du plaifant au févére!
Son Livre aimé du Ciel & chéri des Lecteurs,
Est souvent chez Barbin entouré d'acheteurs,
Quoique vous écriviez, évitez la baffeffe..
Le ftile le moins noble a pourtant sa noblesse.
Au mépris du Bon Sens, le Burlesque effronté
Trompa les yeux d'abord, plut par fa nouveauté.
On ne vid plus en Vers que pointes triviales.
Le Parnaffe parla le langage des Hales.
La licence à rimer, alors n'eut plus de frein.
Apollon travefti devint un Tabarin.

Cette contagion infecta les Provinces,

*

Du Clerc & du Bourgeois paffa jufques aux Princes
Le plus mauvais plaifant eut fes aprobateurs,
Et jufqu'à Daffoucit, tout trouva des Lecteurs.
Mais de ce ftile enfin la Cour de fabusée,
Dédaigna de ces Vers l'extravagance aifée;
Diftingua le naïf, duplat & du bouffon;
Et laiffa la Province admirer le Typhon. S
Que ce ftile jamais ne foüille votre Ouvrage.
Imitons de Marot l'élégant badinage;

Et laiffons le Burlesque aux Plaifans du Pont-neuf.

*C'est le nom d'un vendeur d'Orviétan, qui amusoit le Peuple par des farces remplies de méchantes plaifanteries.

Méchant Poëte qui a traduit en vers burlesques les Métamorphofes d'Ovidde. Cette traduction n'est qu'un ramas des expreffions les plus baffes & les plus groffiéres qu'on puiffe imaginer.

Poëme burlefque dont Scarron eft l'Auteur, qui eft intitule la Gigantomashie: Typhon en est un des principaux perfonnages.

« PreviousContinue »