Je rumine, en marchant, quelque endroit du
Mais non: Tu te fouviens qu'au Village on t'a dit, Que ton Maître eft nommé, pour coucher par écrit Les faits d'un Roi plus grand en sagesse, en vaillan
Que Charlemagne aidé des douze Pairs de France,. Tu crois qu'il y travaille, & qu'au long de ce mur Peut-être en ce moment il prend Mons & Namur.. Que penferois-tu donc, fi l'on t'alloit aprendre, Que ce grand Chroniqueur des geftes d'Alexandre; Aujourd'hui méditant un projet tout nouveau S'agite, fe déméne, & s'ufe le cerveau, Pour te faire à toi-même en rimes infenfées Un bizarre portrait de fes folles pensées ? Mon Maître, dirois-tu, paffe pour un Docteur, Et parle quelquefois mieux qu'un Prédicateur. Sous ces arbres pourtant, de fi vaines fornettes Il n'iroit point troubler la paix de ces Fauvettes S'il lui falloit toujours, comme moi, s'exercer, Labourer, couper, tondre, aplanir, paliffer, Et dans l'eau de ces puits fans relâche tirée, De ce fable étancher la foif démesurée.
ANTOINE, de nous deux tu crois donc, je le voi, Que le plus occupé dans ce Jardin, c'eft toi. O! que tu changerois d'avis, & de langage Si deux jours feulement libre du Jardinage, Tout à coup devenu Poëte & bel Esprit, Tu t'allois engager à polir un Ecrit,
Qui dit, fans s'avilir, les plus petites chofes, Fit, des plus fecs Chardons, des Oeillets & des Rofes:
Et fçût même au difcours de la Rufticité
Donner de l'élégance & de la dignité ;
Un Ouvrage, en un mot, qui, juste en tous fe termes,
Sçût plaire à Dagueffeau*, fçût fatisfaire Termes; Sçût, dis-je, contenter, en paroiffant au jour, Ce qu'ont d'Efprits plus fins & la Ville & la Cour Bien-tôt de ce travail revenu fec & pâle,
Et le teint plus jauni que de vingt ans de hâle : Tu dirois, reprenant ta pelle & ton râteau, J'aime mieux mettre encor cent arpens au niveau Que d'aller follement, égaré dans les nuës, Me laffer à chercher des vifions cornuës,
Et pour lier des mots fi mal s'entr'accordans, Prendre dans ce Jardin la Lune avec les dens. Aproche donc, & vien ; qu'un Pareffeux t'aprenne ANTOINE, ce que c'eft que fatigue, & que peine. L'Homme ici- bas toujours inquiet, & géné, Eft, dans le repos même, au travail condamné.. La fatigue l'y fuit. C'est en vain qu'aux Poëtes Les neuf trompeufes Sœurs, dans leurs douces retraites,
Promettent du repos fous leurs ombrages frais : Dans ces tranquiles Bois pour Eux plantez exprés, La Cadence auffi-tôt, la Rime, la Céfure, La riche Expreffion, la nombreuse Mesure, Sorcières, dont l'amour fçait d'abord les charmer De fatigues fans fin viennent les confumer. Sans ceffe pourfuivant ces fugitives Fées,. On voit fous les Lauriers haleter les Orphées. Leur Esprit toutefois fe plaît dans fon tourment. Et fe fait de fa peine un noble amusement: Mais je ne trouve point de fatigue fi rude, Que l'ennuyeux loifir d'un Mortel fans étude
Qui jamais ne fortant de fa ftupidité, Soûtient, dans les langueurs de fon oifiveté, D'une lâche Indolence efclave volontaire, Le pénible fardeau de n'avoir rien à faire. Vainement offufqué de fes penfers épais, Loin du trouble & du bruit il croit trouver la paix. Dans le calme odieux de fa fombre pareffe, Tous les honteux Plaisirs, Enfans de la Molleffe, Ufurpant fur fon Ame un abfolu pouvoir, De monstrueux defirs le viennent émouvoir, Irritent de fes Sens la fureur endormie, Et le font le joüet de leur triste infamie. Puis fur leurs pas foudain arrivent les Remords: Et bien tôt avec Eux tous les Fléaux du corps, La Pierre, la Colique, & les Goutes cruelles, Guenaud Raiffant, Brayer, *prefqu'auffi triftes qu'Elles,
Chez l'indigne Mortel courent tous s'affembler, De travaux douloureux le viennent accabler; Sur le duvet d'un Lit, théatre de fes gênes, Lui font fcier des Rocs, lui font fendre des Chênes, Et le mettent au point d'envier ton emploi. Reconnois donc, ANTOINE, & conclus avec moi, Que la Pauvreté mâle, active & vigilante, Eft, parmi les travaux, moins laffe, & plus con-
Que la Richeffe oifive au fein des Voluptez. Je te vai fur cela prouver deux véritez. L'une, que le travail aux Hommes néceffaire, Fait leur félicité, plûtôt que leur misére: Et l'autre, qu'il n'eft point de Coupable en repos. C'eft ce qu'il faut içi montrer en peu de mots.
Sui-moi donc. Mais je voi, fur ce début de prône, Que ta bouche déja s'ouvre large d'une aune; Et que les yeux fermez tu baiffes le menton. Ma foi, le plus fùr eft de finir ce fermon. Auffi-bien j'aperçoi ces Melons qui t'attendent, Et ces Fleurs, qui là bas entre elles fe demandent, S'il eft Fête au Village; & pour quel Saint nouveau. On les laiffe aujourd'hui fi long-tems manquer d'eau.
A Monfieur l'Abbé RENAUDOT.
Ofte Abbé, tu dis vrai, l'Homme au crime attaché,
En vain, fans aimer Dieu, croit fortir du péché.
Toutefois, n'en déplaife aux tranfports frénétiques. * L»- Du fougueux Moine auteur des troubles Germani
Des tourmens de l'Enfer la falutaire Peur N'eft pas toujours l'effet d'une noire vapeur, Qui de remords fans fruit'agitant le Coupable, Aux yeux de Dieu le rende encor plus haïffable. Cette utile frayeur, propre à nous pénétrer, Vient fouvent de la Grace en nous prête d'entrer, Qui veut dans notre cœur fe rendre la plus forte Et, pour fe faire ouvrir, déja frape à la porte.
Si le pécheur, pouffé de ce faint mouvement,
Reconnoiffant fon crime, afpire au Sacrement, Souvent Dieu tout-à-coup d'un vrai zèle l'enflame. Le Saint Efprit revient habiter dans fon ame, Y convertit enfin les ténébres en jour, (1) Et la crainte fervile en filial Amour. C'est ainsi que fouvent la Sageffe fuprême, Pour chaffer le Démon, fe fert du Démon même.
Mais lorsqu'en fa malice un pécheur obftiné, Des horreurs de l'Enfer vainement étonné, Loin d'aimer, humble Fils, fon véritable Pere, Craint & regarde Dieu comme un Tyran sévére; Au bien qu'il nous promet ne trouve aucun apas, Et fouhaite en fon cœur, que ce Dieu ne foit pas. En vain la Peur fur lui remportant la victoire, Aux piez d'un Prêtre il court décharger fa mémoire. Vil efclave toûjours fous le joug du péché, Au Démon qu'il redoute il demeure attaché, L'amour effentiel à notre pénitence Doit être l'heureux fruit de notre repentance. Non, quoique l'ignorance enfeigne fur ce point, Dieu ne fait jamais grace à qui ne l'aime point. A le chercher la Peur nous difpofe & nous aide: Mais il ne vient jamais, que l'Amour ne fuccéde. Ceffez de m'opofer vos difcours impofteurs, Confeffeurs infenfez, ignorans S éducteurs, Qui pleins des vains propos, que l'Erreur vous de- bite,
Vous figurez qu'en vous, un pouvoir fans limite Juftifie à coup sûr tout Pécheur alarmé,
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