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* Vers

D'un mot pris en mes Vers n'empruntât le fecours.
Mais aujourd'hui, qu'enfin la Vieilleffe venuë,
Sous mes faux cheveux blonds déja toute chenuë,
A jetté fur ma tête, avec fes doigts pefans,
Onze luftres complets furchargez de trois ans,
Ceffez de préfumer dans vos folles pensées,
Mes Vers, de voir en foule à vos rimes glacées
Courir, l'argent en main, les Lecteurs empreffez.
Nos beaux jours font finis, nos honneurs font paf-
fez.

Dans peu vous allez voir vos froides rêveries
Exciter du Public les juftes moqueries;
Et leur Auteur, jadis à Régnier préferé,
A Pinchêne, à Liniére, à Perrin comparé.
Vous aurez beau crier : *O Vieillesse ennemie §
du Cid. N'a-t'il donc tant vécu que pour cette infamie ?
Vous n'entendrez par tout qu'injurieux brocards
Et fur vous & fur lui fondre de toutes parts.
1)Que veut-il, dira-t'on? Quelle fougue indifcrète
Raméne fur les rangs encor ce vain Athlète ?
Quels pitoyables Vers! Quel ftile languiffant!
Malheureux, laiffe en paix ton cheval vieilliffant,
De peur que tout-à-coup efflanqué, fans haleine,
Il ne laiffe, en tombant, fon Maître fur l'arêne.
Ainfi s'expliqueront nos Cenfeurs fourcilleux :
Et bien-tôt vous verrez mille Auteurs pointilleux
Piéce à piéce épluchant vos fons & vos paroles,
Interdire chez vous l'entrée aux Hyperboles ;
Traiter tout noble mot de terme hazardeux,

(1) Horace, Liv. I. Ep. I. 7.

Eft mihi purgatam crebrò qui perfonet aurem ;
Solve fenefcentem maturè fanus equum, ne

Peccet ad extremum ridendus & illia ducat

Et dans tous vos Difcours, comme monftres hideux,
Huer la Métaphore, & la Métonymie ;

(Grands mots que Pradon croit des termes de
Chimie )

Vous foutenir qu'un Lit ne peut être effronté,
Que nommer la Luxure eft une impureté.
En vain contre ce flot d'aversion publique
Vous tiendrez quelque tems ferme fur la Boutique,
Vous irez à la fin, honteufement exclus,
Trouver au Magazin Pyrame, & Régulus,
Ou couvrir chez Thierri, d'une feuille encor neuve, de Théa-
Les Méditations de Buzée & d'Hayneuve,

*

* Pieces

tre de Mr.Pra don.

+ Poëme

non ver

du.

Puis, en tristes lambeaux femez dans les Marchez,
Souffrir tous les affronts au Jonas † reprochez.
Mais quoi, de ces difcours bravant la vaine attaque, héroïque,
Déja comme les Vers de Cinna, d'Andromaque,
Vous croyez à grands pas chez la Postérité
Courir, marquez au coin de l'Immortalité :
Hé bien, contentez donc l'orgueil qui vous enyvre;
Montrez vous, j'y confens: mais, du moins, dans
mon Livre

Commencez par vous joindre à mes premiers Ecrits.
C'eft-là qu'à la faveur de vos Freres chéris,
Peut-être enfin foufferts, comme enfans de ma

plume,

Vous pourrez vous fauver, épars dans le Volume.
Que fi même un jour le Lecteur gracieux,
Amorcé par mon nom, fur vous tourne les yeux;
Pour m'en récompenfer, mes Vers, avec ufure,
De votre Auteur alors faites-lui la peinture:
Et, fur tout, prenez foin d'effacer bien les traits
Dont tant de Peintres faux ont flétri mes portraits.

Dépofez hardiment: qu'au fond cet Homme hor

rible,

Ce Cenfeur qu'ils ont peint fi noir & fi terrible,
Fut un Efprit doux, fimple, ami de l'Equité,
Qui cherchant dans fes Vers la feule Vérité,
Fit, fans être malin, fes plus grandes inalices,
Et qu'enfin fa candeur feule a fait tous les vices.
Dites, que harcelé par les plus vils Rimeurs,
Jamais, bleffant leurs Vers, il n'effleura leurs

mœurs:

Libre dans fes difcours, mais pourtant toujours fage;

Affez foible de corps, affez. doux de visage,
Ni petit, ni trop grand, très-peu voluptueux,
Ami de la vertu plûtôt que vertueux.

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Que fi quelqu'un, mes Vers, alors vous importune,
Pour fçavoir mes parens, ma vie & ma fortune,
Contez-lui, qu'allié d'affez hauts Magistrats,
Fils d'un Pere Greffier, né d'Aïeux Avocats,
Dès le berceau perdant une fort jeune Mere
Réduit, feize ans après, à pleurer mon vieux Pere,
J'allai d'un pas hardi, par moi même guidé,
Et de mon feul Génie en marchant secondé
Studieux, amateur & de Perfe, & d'Horace,
Affez près de Régnier m'affeoir fur le Parnaffe.
Que par un coup du Sort au grand jour amené,
Et des bords du Permeffe à la Cour entraîné,
Je fçûs, prenant l'effort par des routes nouvelles,
Elever affez haut mes Poëtiques aîles;

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Que ce Roi, dont le nom fait trembler tant de Rois, Voulut bien que ma main craïonnât ses exploits: Que plus d'un Grand m'aima jufques à la tendreffe,

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Que ma vie à Colbert infpiroit l'allégreffe :
Qu'aujourd'hui même encor de deux fens affoibli
Retiré de la Cour, & non mis en oubli,
Plus d'un Héros épris des fruits de mon étude
Vient quelquefois chez moi goûter la folitude.
Mais des heureux regards de mon Aftre étonnant
Marquez bien cet effet encor plus furprenant,
Qui dans mon fouvenir aura toujours fa place,
Que de tant d'Ecrivains de l'Ecole d'Ignace,
Etant, comme je fuis, ami fi déclaré,
Ce Docteur toutefois fi craint, fi révéré,
Qui contre Eux de fa plume épuisa l'énergie,
Arnauld, le grand Arnauld fit mon apologie. *
Sur mon tombeau futur, mes Vers, pour l'énoncer, afait une
Courez en lettres d'or de ce pas vous placer. Differta
Allez jufqu'où l'Aurore en naiffant voit l'Hydafpe, il me juf
Chercher, pour l'y graver, le plus précieux Jafpe. tifie con

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* Mri

Arnaud

tion ой

tre mes

Cenfeurs & c'est eft

Sur tout, à mes Rivaux fçachez bien l'étaler.
Mais je vous retiens trop. C'eft affez vous parler.
Déja, plein du beau feu qui pour vous le tranf. nier Ou

porte,

Barbin impatient chez moi frape à la porte.

Il vient pour vous chercher. C'est lui : j'entens fa

voix.

A Dieu, mes Vers, adieu pour la derniére fois.

vrage.

* Maugu.

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Aborieux Valet du plus commode Maître,
Qui, pour te rendre heureux ici-bas, pouvoit
naître ?

ANTOINE, Gouverneur de mon Jardin d'Auteuil,.
Qui diriges chez moi l'If & le Chevre feüil,
Et fur mes Espaliers, industrieux Génie,
Sçais fi bien exercer l'Art de la Quintinie;
(1) O! que de mon efprit trifte & mal ordonné
Ainfi que de ce champ par toi fi bien orné,
Ne puis-je faire ôter les ronces, les épines,
Et des défauts fans nombre arracher les racines!
Mais parle Raifonnons. Quand du matin au soir,
Chez moi pouffant la bêche, ou portant l'arrofoir
Tu fais d'un fable aride une terre fertile,
Et rends tout mon Jardin à tes loix fi docile :
Que dis-tu, de m'y voir rêveur, capricieux,
Tantôt baiffant le front, tantôt levant les yeux,
De paroles dans l'air par élans envolées,
Effrayer les Oiseaux perchez dans mes allées ?
Ne foupçonnes-tu point, qu'agité du Démon,
Ainfi que cet Coufin des quatre Fils Aimon
Dont tu lis quelquefois la merveilleuse histoire

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(1) Horace, Liv. I. Ep. XIV. vf. 4. parlè ainsi à son Me,

eayer.

Certemus, fpinas animone ego fortiùs, an tu
Evellas agro; & melior fit Horatius, an res.

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