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Tu vie

#54

To

EPITRE V

A U ROY

RAND Rot,ceffe de vaincre,ou je cef

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Gru fçais bien que mon ftile eft né pour la Satire;

Tu

Mais mon efprit contraint de la defavoüer,

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Sous ton regne étonnant ne veut plus que loüer.
Tantôt dans les ardeurs de ce zèle incommode,
Je fonge à mefurer les fyllabes d'une Ode:
Tantôt d'une Enéïde Auteur ambitieux,
Je m'en forme deja le plan audacieux.
Ainfi toûjours flatté d'une douce manie
Je fens de jour en jour dépérir mon génie,
Et mes vers en ce ftile, ennuyeux, fans
apas
Deshonorent ma plume; & ne t'honorent pas.
Encor, fi ta valeur à tout vaincre obstinée,
Nous laiffoit pour le moins refpirer une année
Peut-être mon efprit prompt à reffufciter,
Du tems qu'il a perdu fçauroit fe r'aquiter.
Sur ces nombreux défauts, merveilleux à décrire
Le fiécle m'offre encor plus d'un bon mot à dire.
Mais à peine Dinan & Limbourg font forcez,
Qu'il faut chanter Bouchain & Condé terrassez.
Ton courage affamé de péril & de gloire,
Court d'exploits en exploits, de victoire en victoire,
Souvent ce qu'un feul jour te voit exécuter,
Nous laiffe pour un an d'actions à conter.
Que fi quelquefois las de forcer des murailles,
Le foin de tes fujets te rappelle à Versailles,

De Phes m'embarraffer de mille autres vertus,
Dvoyant de plus près je t'admire encor plus.

Dans les nobles douceurs d'un féjour plein de char

mes,

Tu n'es pas moins Héros qu'au milieu des allarmes.
De ton throne agrandi portant feul tout le faix,
Tu cultives les arts, tu répans les bienfaits,

Tu fçais récompenfer jufqu'aux Mufes critiques.
Ah! croi moi, c'en eft trop. Nous autres Satiriques,
Propres à relever les fottifes du tems,

Nous fommes un peu nés pour

être mécontens.
Notre Muse souvent pareffeufe & stérile,
A befoin, pour marcher, de colere & de bile.
Notre ftile languit dans un remercîment:

Mais, GRAND ROI, nous fçavons nous plaindre

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élegamment.

O! que fi je vivois fous les regnes finistres,

De ces Rois nés valets de leurs propres Miniftres,
Et qui jamais en main ne prenant le timon,

Aux exploits de leurs tems ne prêtoient que leur

nom:

Que, fans les fatiguer d'une louange vaine,
Aifément les bons mots couleroient de ma veine:
Mais toûjours fous ton régne il faut fe récrier.
Toûjours, les yeux au Ciel, il faut remercier.
Sans ceffe à t'admirer ma critique forcée,
N'a plus, en écrivant, de maligne pensée,
Et mes chagrins fans fiel & prefque évanouis,
Font grace à tout le fiécle en faveur de Louis.

• LEn tous lieux cependant la Pharfale* approuvée,
Pharfale Sans crainte de mes vers va la tête levée.
de Bre-

banf. La licence par tout régne dans les écrits.

Déja le mauvais Sens reprenant fes efprits,

Songe à nous redonner des Poëmes Epiques,
S'empare des difcours même Académiques.
Perrina de fes vers obtenu le pardon:

Et la Scène Françoise eft en proye à Pradon.
Et moi, fur ce fujet, loin d'exercer ma plume,
J'amaffe de tes faits le pénible volume,
Et ma Mufe occupée à cet unique emploi
Ne regarde, n'entend, ne connoît plus que toi.
Tule fçais bien pourtant, cette ardeur empreffée,
N'est point en moi l'effet d'une ame intéressée.
Avant que tes bienfaits couruffent me chercher,
Mon zèle impatient ne se pouvoit cacher.
Je n'admirois que toi. Le plaifir de le dire,
Vint m'aprendre à louer au sein de la Satire.
Et depuis que tes dons font venus m'acabler,
Loin de fentir mes vers avec eux redoubler,
Quelquefois, le dirai-je, un remords légitime,
Au fort de mon ardeur vient refroidir ma rime.
Il me femble, GRAND ROI, dans mes nouveaux
écrits,

Que mon encens payé n'eft plus du même prix.
J'ai peur que l'Univers, qui fçait ma récompense
N'impute mes transports à ma reconnoiffance,
Et que par tes prefens mon vers décrédité,
N'ait moins de poids pour toi dans la postérité.
Toutefois je fçai vaincre un remords qui te bleffe,
Si tout ce qui reçoit des fruits de ta largeffe,
A peindre tes exploits ne doit point s'engager,
Qui d'un fi jufte foin fe pourra donc charger?
Ah! plûtôt de nos fons redoublons l'harmonie,
Le zèle à mon efprit tiendra lieu de génie.
Horace, tant de fois dans mes vers imité,
De vapeurs en fon tems, comme moi, tourmenté,

• Séna

main.

t Fa

meux

Muficien

Pour amortir le feu de fa rate indocile,

Dans l'encre quelquefois fçût égayer fa bile. sexr Ro- Mais de la même main qui peignit Tullius,* Qui d'affronts immortels couvrit Tigellius, t Il fçût fléchir Glycére, il fçût vanter Auguste, Et marquer fur la lyre une cadence juste. eftimé de Suivons les pas fameux d'un fi noble Ecrivain. Son tems, tems A ces mots quelquefois prenant la lyre en main, chérí Au recit qué pour toi je fuis prêt d'entreprendre, crois voir les Rochers accourir pour m'enten

le plus

&fort

Augufe.

Je

dre,

Et déja mon vers coule à flots précipitez:
Quand j'entends le Lecteur qui me crie, Arrêtez,
Horace eut cent talens, mais la Nature avare,
Ne vous a rien donné qu'un peu d'humeur bizare.
Vous paffez en audace & Perfe & Juvénal:
Mais fur le ton flateur Pinchêne eft votre égal.

A ce difcours, GRAND ROI, que pourrois-je répon

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Je me fens fur ce point trop facile à confondre,
Et fans trop relever des reproches fi vrais,

Je m'arrête à l'inftant, j'admire, & je me tais.

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A Monfeigneur le Marquis DE SEIGNE LAY,
Secrétaire d'Etat.

Dangereux ennemi de tout mauvais Flateur,

SEIGNELAY,c'eft en vain qu'un ridicule Auteur,
Prêt à porter ton nom de l'Ebre jufqu'au Gange,
Croit te prendre aux filets d'une fotte loüange.
Auffi-tôt ton efprit prompt à fe révolter,
S'échape, & rompt le piége où l'on veut l'arrêter,
Il n'en eft pas ainfi de ces Efprits frivoles,
Que tout Flateur endort au fon de fes paroles,
Qui dans un vain fonnet placez au rang des Dieux,
Se plaisent à fouler l'Olympe radieux,

Et fiers du haut étage où la Serre les loge,
Avalent fans dégoût le plus groffier éloge.
Tu ne te repais point d'encens à fi bas prix.

(1) Non que tu fois pourtant de ces rudes efprits,
Qui regimbent toujours, quelque main qui les flate,
Tu fouffres la loüange adroite & délicate,
Dont la trop forte odeur n'ébranle point les fens.
Mais un Auteur novice à répandre l'encens,
Souvent à fon Héros, dans un bizare 'ouvrage,
Dopne de l'encenfoir au travers du vifage:
Va louer † Monterey d'Oudenard forcé,
On vante aux Electeurs Turenne repouffé.
Tout éloge impofteur bleffe une ame fincére.
Si pour faire fa cour à ton illuftre Pere,

(1) Horace Liv. II. Sat. 1. 20.

Cui malè fi palpere, recalcitrat undique cutus.

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