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EPITRE VI

A Monfieur DE LAMOIGNON, Avocat
Général.

Ui, LAMOIGNON, je fuis les chagrins de la ville,
Et contre eux la Campagne eft mon unique

azile.

*Hautle proche la Roche

gneurie aparte

nante

mon Ne

ven l'il

Du lieux qui m'y retient veux tu voir le tableau?
C'est un petit Village, ou plûtôt un Hameau.
Bâti fur le penchant d'un long rang de collines,
D'où l'œil s'égare au loin dans les plaines voisines. Guion ·
La Seine au pié des monts que fon flot vient laver, petite Sei
Voit du fein de ses eaux vingt Isles s'élever,
Qui partageant fon cours en diverses maniéres,
D'une riviére feule, y forment vingt riviéres.
Tous fes bords font couverts de faules non plantez,
Et de noyers fouvent du paffant infultez.
Le Village au deffus forme un Amphithéatre.
L'Habitant ne connoit ni la chaux ni le Plâtre,
Et dans le roc qui céde & fe coupe aifément,
Chacun fçait de fa main creuser son logement.
La maifon du Seigneur feule un peu plus ornée,
Se prefente au dehors de murs environnée.
Le Soleil en naiffant la regarde d'abord:

Et le mont la défénd des outrages du Nord.
(1) C'est là, cher LAMOIGNON, que mon efprit
tranquile,

Met à profit les jours que la Parque me file.

(1) Il y a quelques idées semblables dans la Șatire VI, dis Livre II. des Satires d'Horace.

luftre My Dongoise

meux

Trai

aar.

Fa

Ici dans un vallon bornant tous mes defirs, .
Jachete à peu de frais de folides plaifirs.
Tantôt un livre en main errant dans les préries,
J'occupe ma raifon d'utiles rêveries.

Tantôt cherchant la fin d'un vers que je conftrui,
Je trouve au coin d'un bois le mot qui m'avoit fu
Quelquefois aux appas d'un hameçon perfide,
J'amorce en badinant le poiffon trop avide;
Ou d'un plomb qui fuit l'œil, & part avec l'éclair,
Je vais faire la guerre aux habitans de l'air.
Une table au retour propre & non magnifique,
Nous prefente un repas agréable & ruftique.
Là fans s'affujettir aux dogmes du Brouffain,
Tout ce qu'on boit eft bon, tout ce qu'on mange eft
fain.

La maifon le fournit, la Fermiére l'ordonne,
Et mieux que Bergerat * l'appétit l'affaisonne.
O fortuné fejour! ô champs aimez des Cieux!
Que pour jamais foulant vos prés délicieux,
Ne puis je ici fixer ma course vagabonde,
Et connu de vous feuls, oublier tout le monde ?
Mais à peine du fein de vos vallons chéris,
Arraché malgré moi, je rentre dans Paris,
Qu'en tous lieux les chagrins m'atendent au paffage.
Un Coufin abufant d'un facheux parentage,
Veut qu'encor tout poudreux, & fans me débotter
Chez vingt Juges pour lui j'aille folliciter.
Il faut voir de ce pas les plus confidérables.
L'un demeure au Marais & l'autre aux incurables.
Je reçois vingt avis qui me glacent d'effroi.
(2) Hier, dit-on; de vous on parla chez le Roi,

(2) Horace, Lib. II. Sat. I. vf. 81.

Si mala condiderit in quem quis carmina, jus eft à

Et d'attentat horrible on traita la Satire.

Et le Roi, que dit-il? le Roi fe prit à rire.
Contre vos derniers vers on eft fort en couroux :
Pradon a mis au jour un livre contre vous,
Et chez le chapelier du coin de notre place,
Autour d'un Caudebec j'en ai lû la préface.
L'autre jour fur un mot la Cour vous condamna.
Le bruit court qu'avant-hier on vous affaffina.
Un écrit fcandaleux fous votre nom fe donne.
D'un Pafquin qu'on a fait, au Louvre on vous
foupçonne.

Moi? Vous. On nous l'a dit dans le Palais Royal.
Douze ans font écoulez, depuis le jour fatal,
Qu'un Libraire imprimant les effais de ma plume,
Donna pour mon malheur un trop heureux volume.
Toûjours depuis ce tems en proye aux fots discours▸
Contre eux la vérité m'eft un foible fecours.
Vient-il de la Province une fatire fade,
D'un Plaifant du païs infipide boutade?
Pour la faire courir on dit qu'elle est de moi:
Et le fot Campagnard le croit de bonne foi.
J'ai beau prendre à témoin & la Cour & la Ville.
Non, à d'autres, dit-il, on connoît votre stile.
Combien de tems ces vers vous ont-ils bien coûté :
Ils ne font point de moi, Monfieur, en vérité.
Peut-on m'attribuer ces fottifes étranges ?
Ah! Monfieur, vos mépris vous fervent de loüanges.
Ainfi de cent chagrins dans Paris accablé,
Juge fi toûjours trifte, interrompu, troublé,

Judiciúmque. Efto, fi quis mala; fed bona fi quis
Judice, condiderit, laudatur Cæfare, fi quis
Opprobriis dignum latraverit, integer ipfe?
Solycatur rifu tabula, tu midus abibis.

LAMOIGNON, j'ai le tems de courtifer les Mufes. Le monde cependant fe rit de mes excufes, Croit que pour m'infpirer fur chaque événement, Appollon doit venir au premier mandement. Un bruit court que le Roi va tout réduire en poudre Et dans Valencienne est entré comme un foudre; Que Cambray des François l'épouventable écueil, A vû tomber enfin fes murs & fón orguëil: Que devant Saint-Omer Naffau par fa défaite, De* Philippe vainqueur rend la gloire complete. leans fre- Dieu fçait comme les vers chez vous s'en vont couve unique

Le Duc

d'Or

de Louis XIV.

ler,

Dit d'abord un Ami, qui veut me cageoler,

Et dans ce tems guerrier, & fécond en Achiles,
Croit que l'on fait les vers, comme on prend les
Villes.

Mais moi dont le génie eft mort en ce moment,
Je ne fçai que répondre à ce vain compliment;
Et justement confus de mon peu d'abondance,
Je me fais un chagrin du bonheur de la France.
Qu'heureux eft le Mortel, qui du monde ignoré,
Vit content de foi même en un coin retiré!
Que l'amour de ce rien qu'on nomme renommée,
N'a jamais enyvré d'une vaine fumée,

Qui de fa liberté forme tout fon plaifir,
Et ne rend qu'à lui feul conte de fon loifir!
Il n'a point à fouffrir d'affronts ni d'injuftices,
Et du peuple inconftant il brave les caprices.
Mais nous autres faifeurs de livres & d'écrits,
Sur les bords du Permeffe aux loüanges nourris,
Nous ne fçaurions brifer nos fers & nos entraves,
Du lecteur dédaigneux honorables efclaves.
Du rang où nôtre efprit une fois s'eft fait voir,

Sans un facheux éclat, nous ne fçaurions déchoir.
Le public enrichi du tribut de nos veilles,
Croit qu'on doit ajoûter merveilles fur merveilles,
Au comble parvenus il veut que nous croiffions:
Il veut en vieilliffant que nous rajeuniffions,
Gependant tout décroit, & moi-même à qui l'âge,
D'aucune ride encor n'a flétri le vifage,

Déja moins plein de feu, pour animer ma voix,
(3) J'ai befoin du filence & de l'ombre des bois.
Ma Mufe qui fe plait dans leurs routes perduës,
Ne fçauroit plus marcher fur le pavé des ruës.
Ce n'eft que dans ces bois propres à m'exciter,
Qu'Apollon quelquefois daigne encore m'écouter.
Ne demande donc plus, par quelle humeur fauvage,
Tout l'Eté loin de toi demeurant au village,
(4) J'y paffe obftinément les ardeurs du Lion,
Et montre pour Paris fi peu de paffion.

C'est à toi, LA MOIGNON, que le rang, la naiffance
Le mérite éclatant, & la haute éloquence,
Appellent dans Paris aux fublimes emplois,

Qu'il fied bien d'y veiller pour le maintien des Lois. Tu dois là tous tes foins au bien de ta Patrie,

(3) Juvenal. Satire VII. 53.

Sed vatem egregium, cui non fit publica vena
Qui nihil expofitum foleat deducere, nec qui
Communi feriat carmen triviale monetâ ;

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Hunc, qualem nequeo monftrare, & fentio tantum ,
Anxietate carens animus facit, omnis acerbi
Impatiens, cupidus Sylvarum, aptúfque bibendis

Fontibus Aonidum.

(4) Horace, Lib. 1. Ep. X. vf.15. en parlant de sa métairie,

ubi gratior aura

Leniat & rabiem Canis, & momenta Leonis,
Cùm femel accepit folem furibundus acutum ?

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