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Mais dès qu'on veut tenter cette vafte carriére,
Pégafe s'effarouche & recule en arriére;
Mon Apollon s'étonne ; & Nimégue eft à toi,
Que ma Mufe eft encore au camp devant Orfoi.
Aujourd'hui toutefois mon zèle m'encourage;
Il faut au moins du Rhin tenter l'heureux paffage,
Un trop jufte devoir veut que nous l'effayons:
Mufes, pour le tracer, cherchez tous vos crayons.
Car puifqu'en cet exploit tout paroît incroyable,
Que la vérité pure y reffemble à la Fable,

* Mona

Rhin prend fa Source

De tous vos ornemens vous pouvez l'égayer,
Venez donc, & fur tout gardez bien d'ennuïer.
Vous fçavez des grands vers les difgraces tragiques,
Et fouvent on ennuye en termes magnifiques.
Au pied du mont Adulle* entre mille rofeaux,
Le Rhin tranquile, & fier du progrès de fes eaux, tage
Apuyé d'une main fur fon Urne penchante,
Dormoit au bruit flateur de fon onde naiffante.
Lors qu'un cri tout à coup fuivi de mille cris,
Vient d'un calme fi doux retirer fes efprits.
Il fe trouble, il regarde, & par tout fur fes rives
Il voit fuir à grands pas fes Naïades craintives,
Qui toutes accourant vers leur humide Roi,
Par un recit affreux redoublent fon effroi.
Il aprend qu'un Héros conduit par la victoire,
A de fes bords fameux flétri l'antique gloire.
Que Rhimberg & Wefel terraffez en deux jours,
D'un joug dėja prochain menacent tout fon cours,
Nous l'avons vu, dit l'un, affronter la tempête.
De cent foudres d'airain tournez contre fa tête.
Il marche vers Tholus, & tes flots en couroux,
Au prix de fa fureur font tranquiles & doux.
Ila de Jupiter la taille & le vifage;

Jules Et depuis ce Romain,* dont l'infolent paffage,
César.

Sur un pont en deux jours trompa tous tes efforts,
Jamais rien de fi grand n'a paru fur tes bords.

Le Rhin tremble & frémit à ces triftes nouvelles,
Le feu fort à travers fes humides prunelles.
C'est donc trop peu, dit-il, que l'Efcaut en deux mois
Ait apris à couler fous de nouvelles foix:
Et de mille remparts mon onde environnée,
De ces Fleuves fans nom fuivra la destinée ?
Ah! périffent mes eaux ! ou par d'illuftres coups,
Montrons qui doit céder des mortels ou de nous.
A ces mots effuyant fa barbe limoneufe,

Il prend d'un vieux Guerrier la figure poudreufe.
Son front cicatricé rend fon air furieux,
Et l'ardeur du combat étincelle en fes yeux,
En ce moment il part, & couvert d'une nuë,
Du fameux fort du Skink prend la route connuë.
Là contemplant fon cours, il voit de toutes parts
Ses pâles défenfeurs par la frayeur épars,
Il voit cent Bataillons, qui loin de se défendre,
Attendent fur des murs l'ennemi pour fe rendre.
Confus, il les aborde, & renforçant fa voix ;
Grands Arbitres, dit-il, des querelles des Rois,
Eft-ce ainfi que vôtre ame aux périls aguèrrie,
zly-Soutient fur ces remparts l'honneur & la patrie?
avoit fur Votre Ennemi fuperbe, en cet instant fameux,
peaux Du Rhin près de Tholus fend les flots écumeux.
des Hol- Du moins en vous montrant fur la rive oposée,

les dra

Aandois

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pro ho. N'oferiez-vous faifir une victoire aisée ?

nore & Allez, vils Combattans, inutiles Soldats,

patria.

Laiffez là ces moufquets trop pefans pour vos bras:
Et la faulx à la main, parmi vos marécages,
Allez couper vos joncs, & preffer vos laitages:

Ou

Du gardant les feuls bords qui vous peuvent couvrir
Avec moi, de ce pas, venez vaincre ou mourir.

Ce difcours d'un Guerrier, que la colére enflâme,
Reffufcite l'honneur déja mort en leur ame;
Et leurs cœurs s'allumant d'un reste de chaleur,
La honte fait en eux l'effet de la valeur.

Ms marchent droit au fleuve,ou Louis en perfonne,
Déja prêt à paffer, inftruit, difpofe, ordonne.

* Mona

Par fon ordre Grammont * le premier dans les flots, Comte de
S'avance fontenu des regards du Héros.

Son courfier écumant fous fon Maître intrépide,
Nage tout orgueilleux de la main qui le guide.
Revel le fuit de près: fous ce Chefredouté,
Marche des Cuiraffiers l'efcadron indompté:
Mais déja devant eux une chaleur guerriére,
Emporte loin du bord le boüillant Lefdiguiére, †
Vivonne, Nantoüillet, & Coaflin, & Salart;
Chacun d'eux au péril veut la premiére part.
Vandôme que foutient l'orgueil de fa naiffance,
Au même inftant dans l'onde impatient s'élance.
La Salle, Beringhen, Nogent, Dambre, Cavois,
Fendent les flots tremblans fous un fi noble poids.
LOUIS les animant du feu de fon courage,
Se plaint de fa grandeur qui l'attache au rivage.
Par fes foins cependant, trente legers vaiffeaux,
D'un tranchant aviron déja coupent les eaux.
Cent Guerriers s'y jettant fignalent leur audace.
Le Rhin les voit d'un œil qui porte la menace.
Il s'avance en couroux, Le plomb vole à l'instant,
Et pleut de toute parts fur l'efcadron flottant.
Du falpêtre en fureur l'air s'échauffe & s'allume;
Et des coups redoublez tout le rivage fume.
Déja du plomb mortel plus d'un brave eft atteint,

G

Guiche

+ Mon fieur le

Comte de
Sanx

Sous les fougueux Courfiers l'onde écume & fe

plaint.

De tant de coups affreux la tempête orageuse,
Tient un tems fur les eaux la fortune douteuse,
Mais Louis d'un regard sçait bien-tôt la fixer.
Le Destin à ses yeux n'oferoit balancer.
Bien-tôt avec Grammont courent Mars & Bellone,
Le Rhin à leur afpect d'épouvante friffonne.
Quand pour nouvelle allarme à fes efprits glacez,
Un bruit s'épand qu'Enguien & Condé font paffez:
Condé,dont le feul nom fait tomber les murailles,
Force les escadrons & gagne les batailles :
Enguien de fon hymen le feul & digne fruit,
Par lui dès fon enfance à la victoire inftruit.
L'ennemi renverfé fuit & gagne la plaine.
Le Dieu lui-même céde au torrent qui l'entraîne
Et feul defefperé, pleurant fes vains efforts,
Abandonne à Louis la victoire & fes bords.
Du fleuve ainfi dompté la déroute éclatante,
A Wurts jufqu'en fon camp va porter l'épouvante:
Wurts l'espoir du Païs, & l'apui de fes murs,
Wurts....ah quel nom, GRAND ROI ! quel Hector
que ce Wurts!

Sans ce terrible nom mal né pour les oreilles,
Que j'allois à tes yeux étaler de merveilles !
Bien-tôt on eut vû Skink dans mes vers emporté,
De fes fameux remparts démentir la fierté.
Bien-tôt.... mais Wurts s'opose à l'ardeur qui
m'anime,

Finiffons, il eft tems: auffi-bien, fi la rime,
Alloit mal à propos m'engager dans Arnheim,
Je ne fçai pour fortir de porte qu'Hildesheim.
Qque le Ciel foigneux de notre poësie,

GRAND ROI, ne nous fit-il plus voisins de l'Afie!
Bien-tôt victorieux de cent peuples altiers,
Tu nous aurois fourni des rimes à milliers.
Il n'est plaine en ces lieux fi féche & fistérile,
Qui ne foit en beaux mots par tout riche & fertile,
Là plus d'un Bourg fameux par fon antique nom,
Vient offrir à l'oreille un agréable fon.
Quel plaifir! de te fuivre aux rives du Scamandre
D'y trouver d'Ilion la poëtique cendre:

De juger, files Grecs qui briférent ses tours,
Firent plus en dix ans que Louis en dix jours.
Mais pourquoi fans raifon defefpérer ma veine?
Eft-il dans l'Univers de place fi lointaine,

Où ta valeur, GRAND ROI, ne te puiffe porter,
Et ne m'offre bien-tôt des exploits à chanter?
Non, non, ne faisons plus de plaintes inutiles; [les,
Puis qu'ainfi dans deux mois tu prens quarante Vil-
Affuré des bons vers dont ton bras me répond,
Je t'attens dans deux ans au bord de l'Hellefpont.

EPITRE V

A Monfieur DE GUILLERAGUES, Secrétaire du Cabinet.

ESPRIT

SPRIT né pour la Cour, & maître en l'art
de plaire,

GUILLERAGUES, qui fçais & parler & te taire
Appren-moi, fi je dois ou me taire ou parler.
Faut-il dans la Satire encor me fignaler,

Et dans ce champ fêcond en plaifantes malices,
Faire encore aux Auteurs redouter mes caprices?
Jadis, non fans tumulte, on m'y vit éclater:
Quand mon efprit plus jeune & prompt à s'irriter,

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