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EPITRE III.

A Monfieur ARNAULD, Docteur de Sorbonne.

Ui fans peine, au travers des sophismes de
Claude,

ARNAULD, des Novateurs tu découvres la fraude,
Et romps de leurs erreurs les filets captieux.
Mais que fert que ta main leur défille les yeux?
Si toûjours dans leur ame une pudeur rebelle,
Prefts d'embraffer l'Eglife, au Prêche les rapelle.
Non, ne croy pas que Claude habile à se tromper,
Soit infenfible aux traits dont tu le fçais fraper:
Mais un Démon l'arrefte, & quand ta voix l'attire,
Lui dit: Si tu te rens, fçais-tu ce qu'on va dire?
Dans fon heureux retour lui montre un faut mal

heur,

Lui peint de Charenton l'hérétique douleur, Et balançant Dieu même en fon ame flottante, Fait mourir dans fon cœur la vérité naiffante. Des fuperbes mortels le plus affreux lien, (1) N'en doutons point, ARNAULD, c'eft la honte du bien.

Des plus nobles vertus cette adroite ennemie, Peint l'honneur à nos yeux des traits de l'infamie, Affervit nos efprits fous un joug rigoureux,

Et nous rend l'un de l'autre efclaves malheureux.

(1) Horace, Lib. I. Ep. XVI. vs. 24. Stultorum incurta malus pudor ulcera celta.

Par elle la vertu devient lâche & timide.
Vois-tu ce Libertin en public intrépide,

Qui prêche contre un Dieu que dans fon ame il croit? Il iroit embraffer la vérité qu'il voit:

Mais de fes faux amis il craint la raillerie,

Et ne brave ainfi Dieu que par poltronnerie.

C'est là de tous nos maux le fatal fondement. Des jugemens d'autrui nous tremblons follement. Et chacun l'un de l'autre adorant les caprices, Nous cherchons hors de nous nos vertus &nos vices. Miférables jouets de notre vanité!

Faifons au moins l'aveu de notre infirmité.
(2) A quoi bon, quand la fiévre en nos artéres brûle,
Faire de notre mal un fecret ridicule ?

Le feu fort de vos yeux pétillant & troublez,
Votre pouls inégal marche à pas redoublez:
Quelle fauffe pudeur à feindre vous oblige?
Qu'avez-vous? Je n'ai rien. Mais... Je n'ai rien
vous dis-je,

Répondra ce malade à fe taire obstiné.

Mais cependant voilà tout fon corps gangrené,
Et la fiévre demain fe rendant la plus forte,
Un bénitier aux pieds, va l'étendre à la porte.
Prévenons fagement un fi jufte malheur.

Le jour fatal eft proche & vient comme un voleur.
Avant qu'à nos erreurs le Ciel nous abandonne,
Profitons de l'inftant que de grace il nous donne;
Hâtons-nous, le tems fuit, & nous traîne avec foi.

(2) Ibid. vf. 19.

Sed vereor ne cui de te plus quàm tibi credas:
Non fi te populus fanum retéque valentem
Di&titet, occultam febrem, fub tempus edendi
Diffimules: donec manibus renior incidat unis.

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Le moment où je parle eft déja loin de moi.
Mais quoi? toûjours la honte en efclaves nous lie
Oui, c'est toi qui nous perds, ridicule folie.
C'est toi qui fis tomber le premier Malheureux,
Le jour que d'un faux bien fottement amoureux
Et n'ofant foupçonner fa femme d'imposture,
Au Démon par pudeur it vendit la Nature.
Hélas! avant ce jour qui perdit fes Neveux,
Tous les plaifirs couroient au-devant de fes vœux.
La faim aux animaux ne faifoit point la guerre.

(3) Le blé, pour se donner, fans peine ouvrant la

terre,

N'attendoit point qu'un beuf preffé de l'éguillon
Traçât à pas tardifs un pénible fillon.

Lavigne ofroit par tout des grapes toûjours pleines,
Et des ruiffeaux de lait ferpentoient dans lesplaines
Mais dès ce jour Adam déchû de fon état,
D'un tribut de douleurs paya fon attentat.
Il falut qu'au travail fon corps rendu docile
Forçât la terre avare à devenir fertile.
Le chardon importun hériffa les guérets:
Le ferpent venimeux rampa dans les forêts:
La canicule en feu defola les campagnes :
L'Aquillon en fureur gronda fur les montagnes.
-Alors pour fe couvrir durant l'âpre faifon,
'Il falut aux brebis dérober leur toifon.

(3) Virgile an I. des Georgiques, of. 127.

Ipfaque tellus
Omnia liberiùs, nullo pofcente, ferebat.
Ille malum virus ferpentibus addidit atris,
Prædarique lupos juffit, Pontemque moveri
Mellaque decuffit foliis, ignemque removit 2
It paffis rivis currentia vina repreffit.

La pefte en même tems, la guerre & la famine Des malheureux humains jurérent la ruine: Mais aucun de ces maux n'égale les rigueurs, Que la mauvaise honte exerça dans les cœurs. De ce nid à l'inftant fortirent tous les vices. L'Avare des premiers en proye à fes caprices, Dans un infame gain mettant l'honnêteté, Pour toute honte alors compta la pauvreté. L'honneur & la vertu n'oférent plus paroître. La piété chercha les deferts & le Cloître. Depuis on n'a point vû de cœur fi détaché Qui par quelque lien netint à ce péché. Trifte & funefte effet du premier de nos crimes! Moi-même, ARNAULD, ici qui te prêche en ces

rimes,

Plus qu'aucun des mortels par la honte abattu, En vain j'arme contr'elle une foible vertu. Ainfi toûjours douteux, chancelant & volage, A peine du limon où le vice m'engage, J'arrache un pié timide, & fors en m'agitant, Que l'autre m'y reporte, & s'embourbe à l'inftant. Car fi, comme aujourd'hui, quelque rayon de zèle, Allume dans mon cœur une clarté nouvelle, Soudain aux yeux d'autrui s'il faut la confirmer, D'un gefte, d'un regard je me fens alarmer; Et même fur ces vers que je te viens d'écrire, Je tremble en ce moment de ce que l'on va dire.

EPITRE IV.

AURO r.

N vain, pour te loüer, ma Mufe toûjours prête,

E Vingt fois de la Hollande a tenté la conquête.

Ce païs, où cent murs n'ont pû te résister,

GRAND ROI, n'eft pas en vers fi facile à dompter.
Des Villes que tu prens, les noms durs & barbares
N'offrent de toutes parts que fyllabes bizarres.
Et l'oreille effrayée : il faut depuis l'Iffel,

Pour trouver un beau mot, courir jusqu'au Teffel.
Oui, par tout de fon nom chaque place munie,
Tient bon contre le vers, en détruit l'harmonie.
Et qui peut fans frémir aborder Woerden?
Quel vers ne tomberoit au feul nom de Heusden?
Quelle Mufe à rimer en tous lieux difpofée
Oferoit aprocher des bords de Zuiderzée ?
Comment en vers heureux affiéger Doesbourg,
Zutphen, Wageninghen, Harderwik, Knotzem-
bourg?

Il n'eft Fort entre ceux que tu prens par centaine,
Qui ne puiffe arrêter un Rimeur fix femaines,
Et par tout fur le Whal, ainfi que fur le Leck,
Le vers eft en déroute, & le Poëte à fec.

Encor,fi tes exploits moins grands & moins rapides Laiffoient prendre courage à nos Mufes timides; Peut-être avec le tems, à force d'y rêver,

Par quelque coup de l'art nous pourrions nous fauver,

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