Page images
PDF
EPUB

ta tout tourt. Ce fut de fçavoir duquel des deux gens res, mafculin ou feminin, je ferois le mot d'Equivoque, beaucoup d'habiles Ecrivains, ainfi que le remarque Vaugelas, le faifant mafculin. Je me déterminai pourtant affez vite au feminin, comme au plus ufité des deux. Et bien loin que cela empêchât l'exécution de mon projet, je crus que ce ne feroit pas une méchante plaifanterie de commencer ma Satire par cette difficulté même. C'est ainsi que je m'engageai dans la compofition de cet Ouvrage. Je croyois d'abord faire tout au plus cinquante ou foixante vers; mais enjuite les pensées me venant en foule, & les chofes que j'avois à reprocher à l'Equivoque, fe multipliant à mes yeux,j'ai pouffé ces vers jufqu'à près de trois cent cinquante.

C'est au Public maintenant à voir si j'ai bien ou mal réüssi. Et je n'employe point ici, non plus que dans les Préfaces de mes autres Ecrits, mon adresse & ma Rhétorique à le prévenir en ma faveur. Tout ce que je lui puis dire, c'est que j'ai travaillé cette Piéce avec Le même foin que toutes mes autres Poëfies. Une chofe pourtant dont il eft bon que les Jefuites foient avertis, c'est qu'en attaquant l'Equivoque, je n'ai pas pris ce mot dans toute l'étroite rigueur de fa fignification grammaticale, le mot d'Equivoque, en ce fens-là, ne voulant dire qu'une ambiguité de paroles ; mais que je l'ai pris, comme le prend ordinairement le commun des bommes, pour toutes fortes d'ambiguitez de fens, de penfées, d'expreffions, & enfin pour tous ces abus & toutes ces méprifes de l'efprit humain qui font qu'il prend fouvent une chofe pour une autre. Et c'est dans ce fens que j'ai dit, que l'idolatrie avoit pris naissance

[ocr errors]

de l'Equivoque; les hommes à mon avis, ne pouvant pas s'équivoquer plus lourdement, que de prendre des pierres, de l'or & du cuivre, pour Dieu. F'ajoûterai à cela, que la Providence divine, ainsi que je l'établis clairement dans ma Satire, n'ayant permis chez eux cet borrible aveuglement, qu'en punition de ce que leur premier Pere avoit prêté l'oreille aux promeses du Démon, j'ai pû conclure infailliblement que l'Idolâtrie eft un fruit, ou pour mieux dire, un véritable enfant de

Equivoque. Je ne vois donc pas qu'on me puisse faire fur cela aucune bonne critique ; fur tout ma Satire étant un pur jeu d'efprit, où il feroit ridicule d'éxiger une précision géometrique de pensées & de paroles.

Mais il y a une autre objection plus importante & plus confidérable, qu'on me fera peut être au fujet des Propofitions de Morale relâchée, que j'attaque dans la derniére partie de mon Ouvrage. Car ces Propofitions ayant été, à ce qu'on prétend, avancées par quantité de Théologiens, même célébres, la moquerie que j'en fais peut, dira-t'on, diffamer en quelque forte ces Théologiens & caufer ainfi une espéce de fcandale dans l'Eglife. A cela je répons premiérement, Qu'il n'y a aucune des Propofitions que j'attaque, qui n'ait été plus d'une fois condamnée par toute l'Eglife, & tout récemment encore par deux des plus grands Papes qui ayent depuis long-tems rempli le S. Siege. Je dis en fecond lieu, qu'à l'exemple de ces célébres Vicaires de JESUS-CHRIST, je n'ai point nommé les Auteurs de ces Propofitions, ni aucun de ces Théologiens dont on dit que je puis caufer la diffamation, & contre lefquels même j'avouë que je ne puis rien décider puifque je n'ai point là, ni ne fuis d'humeur à lire leurs

2

Ecrits: ce qui feroit pourtant abfolument nécessaire pour prononcer fur les accufations que l'on for me contr'eux, leurs accufateurs pouvant les avoir mal entendus, & s'être trompez dans l'intelligence des paffages où ils prétendent que font ces erreurs dont ils les accufent. Fe foutiens en troifiéme lieu, qu'il eft contre la droite Raifon de penser que je puisse exciter quelque fcandale dans l'Eglife, en traitant de ridicules des Propofitions rejettées de toute l'Eglife, & plus dignes encore, par leur abfurdité, d'être fifflées de tous les fidèles que refutées férieufement. C'est ce que je me crois obligé de dire pour me justifier. Que fi après cela il fe trouve encore quelques Théologiens qui fe figurent qu'en décriant ces Propofitions, j'ai eù en vûë de les décrier eux-même, je déclare que cette fauffe idée qu'ils ont de moi, ne fçauroit venir que des mauvais artifices de l'Equivoque, qui, pour se vanger des injures que je lui dis dans ma Piéce, s'efforce d'intereffer dans fa caufe ces Théologiens, en me faifant Penfer ce que je n'ai pas penfé, & dire que je n'ai point dit.

Voilà, ce me femble, bien des paroles, & peutêrre trop de paroles employées pour justifier un auffi peu confidérable Ouvrage qu'est la Satire qu'on va voir. Avant néanmoins que de finir je ne croi pas me pouvoir difpenfer d'aprendre aux Lecteurs, qu'en attaquant comme je fais dans ma Satire ces erreurs,je ne me fuis point fié à mes feules lumières, mais qu'ainfi que je l'ai pratiqué, il y a environ dix ans à l'égard de mon Epitre De l'Amour de Dieu, j'ai nonfeulement confulté fur mon Ouvrage tout ce que je connois de plus babiles Docteurs, mais que je l'ai don

[ocr errors]

106 DISCOURS SUR LA SATIRE XII.

né à examiner au Prélat de l'Eglife qui par l'étenduë de fes connoifances & par l'Eminence de fa dignité, eft le plus capable & le plus en droit de me preferire ce que je dois penfer fur ces matiéres. Je veux dire à M. le Cardinal de Noailles, mon Archevêque. J'ajoûterai, que ce pieux & Sçavant Cardinal a eu trois femaines ma Satire entre les mains, & qu'à mès inftantes prières, après l'avoir lûë & reluë plus d'une fois, il me l'a enfin renduë en me comblant d'éloges & m'a affuré qu'il n'y avoit trouvé à redire qu'un feul mot, que j'ai corrigé fur le champ, & fur lequel je lui ai donné une entiére fatisfaction. Je me flate donc qu'avec une aprobation fi authentique, fi fûre, & fi glorieufe, je puis marcher la tête levée, & dire bardiment des critiques qu'on pourra faire deformais con tre la doctrine de mon Ouvrage, que ce ne fçauroient être que dé vaines fubtilitez d'un tas de miférables Sopbiftes formez dans l'Ecole du menfonge, & aussi affidez amis de l'Equivoque qu'opiniâtres ennemis de Dieu du Bon Sens & de la Vérité.

[ocr errors]

D

SATIRE

Sur l'Equivoque.

X I I.

U Langage François bizarre Hermaphrodite, De quel genre te faire, Equivoque maudite, Ou maudit? Car fans peine aux Rimeurs hazardeux L'ufage encor, je crois, laiffe le choix des deux. Tu ne me réponds rien? Sors d'ici, Fourbe infigne, Mâle auffi dangereux que femelle maligne, Qui crois rendre innocens les difcours impofteurs; Tourment des Ecrivains, jufte effroi des Lecteurs, Far qui de mots confus fans ceffe embaraffée Ma plume, en écrivant, cherche en vain ma pensée. Laiffe-moi, va charmer de tes vains agrémens Les yeux faux & gâtez de tes louches Amans; Et ne viens point ici, de ton ombre groffiére, Enveloper mon ftile ami de la lumiére.

Tu fçais bien que jamais chez toi, dans mes dif

cours,

Je n'ai d'un faux brillant emprunté le fecours.
Fui donc. Mais non, demeure, un Démon qui
m'inspire

Veut qu'encore une utile & derniére Satire,
De ce pas, en mon Livre, exprimant tes noirceurs;
Se vienne, en nombre pair, joindre à fes onze,
Sœurs * :

Et je fens que ta vûë échauffe mon audace.
Viens, aproche: Voyons, malgré l'âge & fa glace,
* L'Auteur fait allufion aux onze Satires précédentes, qu'il
A données an Public pendant sa vie.

« PreviousContinue »