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de ces caractères particuliers ne peut être appliqué aux trois mots; aucun n'a quelque chose de commun avec ces trois mots; ce n'est donc pas cette prétendue idée commune qui fait leur synonymie.

La synonymie consiste moins encore dans les caractères propres et singuliers de chaque expression; car si chacune a un caractère propre et singulier, elle n'a donc rien de commun avec les autres. Au contraire, ce caractère propre et singulier détruit et fait disparaître toute idée commune, de manière que l'une ne peut pas être dite pour l'autre, et qu'elles ont chacune leur objet distinct et séparé.

On pourra appliquer ce raisonnement à tous les mots que l'on donne pour synonymes les uns des autres, et l'on trouvera que leur prétendue synonymie n'est qu'un être de raison.

Adoptant donc l'opinion des grammairiens philosophes, nous dirons qu'il n'y a point de synonymes dans notre langue; mais qu'il s'y trouve fréquemment des mots qui ont entre eux des ressemblances partielles.

Nous n'avons point intitulé notre dictionnaire Dictionnaire des synonymes français, parce que nous croyons, comme nous venons de le dire, qu'il n'y a point de synonymes dans la langue française, mais nous l'avons intitulé Dictionnaire synonymique de la langue française, parce qu'il a particulièrement pour objet non les mots synonymes, qui en effet n'existent pas, mais ceux dont les significations ont des ressemblances partielles, qui, sans contribuer à une synonymie parfaite, ont quelque rapport avec cette synonymie.

Nous croyons avoir évité par là le reproche d'avoir expliqué dans notre ouvrage plusieurs mots qui ne sont pas vraiment synonymes dans l'opinion commune, mais qui sont synonymiques dans celle que nous embrassons; et plusieurs mots qui, sans être synonymes, nous ont paru avoir quelque ressemblance entre cux, ont été recueillis dans notre ouvrage.

Les ressemblances des objets auxquels nous donnons le nom de synonymes ou de rapports synonymiques, sont ou dans la nature, ou dans notre esprit. Dans le premier cas, elles sont rares ou quelquefois nulles, parce que la manière d'exister de chaque objet de

la nature est nette et distincte, et que, par conséquent, ils sont distingués par eux-mêmes de tous les autres objets. Ainsi le mot terre, considéré comme le nom d'un objet physique, n'a point de synonyme, parce qu'il présente d'une manière claire et distincte tout ce qui le fait être tel, et en même temps tout ce qui le distingue des autres objets de la nature. Le caractère de la chose existe dans la chose même, dans la nature; il est inhérent à la nature.

Mais si nous considérons la terre sous divers aspects, relatifs à nous, à nos besoins, à nos usages, et que sous ces aspects nous lui doņnions différens noms, alors, comme l'esprit la considère à sa manière, il naît dans l'esprit une multitude de différences qui, ayant chacune un rapport commun avec la terre prise dans le premier sens, en diffère par chacune de ces différences, et prendra, selon ces différences, une multitude de noms divers.

Mais toutes ces différences ne forment point des synonymies, puisqu'aucune ne ressemble parfaitement à l'autre ; elles établiront seulement des différences partielles.

Ainsi terre, qui ne signifiera dans le premier sens que le globe terrestre et la matière dont il est composé, signifiera dans le second une multitude de choses diverses qui auront chacune leur nom distinctif:

Sous ce point de vue, terre se dira des champs, des vignes, des jardins, des différens terreins, etc.; et nous aurons dans l'esprit une multitude de mots qui, ayant des rapports de ressemblance avec le mot terre considéré dans la nature, en diffèreront par les rapports que nous avons créés. Voilà la principale source de ce qu'on a appelé synonymes.

D'après cela on est surpris de voir certains auteurs prétendre donner au public des dictionnaires universels des synonymes de la langue française, sans songer que les synonymes se multiplient à mesure que la langue s'épure, et que la source qui les produit est intarissable.

Un dictionnaire universel des synonymes de la langue française serait un ouvrage où tous les mots de la langue sans exception seraient comparés les uns avec les autres, où leur signification

précise serait développée, sous tous les aspects possibles; où les limites de leurs différences seraient exactement tracées, en un mot où chaque mot de la langue serait présenté non-seulement avec sa signification exacte, mais encore avec tous les rapports qu'il a ou qu'il peut avoir avec chacun des autres mots de la langue.

Mais ce dictionnaire ne serait plus un dictionnaire de synonymes, ce serait un dictionnaire de la langue aussi parfait qu'il peut être. Nous sommes encore loin d'un pareil ouvrage; et, avant de pouvoir le composer, il faudra que tous les mots de la langue aient été analysés et comparés entre eux d'une manière exacte.

SYNONYMIQUE

DE

LA LANGUE FRANÇAISE,

A.

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À. APRÈS. On dit arracher brin à brin, et avec celle de mon frère; ici le mot épée est arracher les brins l'un après l'autre. Dans la considéré abstraction faite de tout choix, de première phrase, à indique que lorsqu'on a toute exclusion. On dit se battre avec une arraché un brin, un autre brin devient le fourche, et non pas se battre à la fourche, but d'une nouvelle action semblable; dans parce qu'une fourche n'est pas une arme dont la seconde, après signifie qu'on n'arrache on se serve ordinairement pour se battre; que pas plusieurs brins à la fois, mais qu'à l'ac- l'idée de se battre n'a pas un rapport de terme tion d'en arracher un, succède l'action d'en ar- avec l'idée de fourche, et qu'on ne saurait par racher un autre. L'un marque la succession conséquent lier ces deux idées par une prépode la tendance à des termes; l'autre, la suc-sition qui indique ce rapport. On charge cession des actions dans l'ordre du temps. un fusil à balles, un canon à mitraille, et non Brin à brin semble avoir rapport à la conser- pas avec des balles, avec de la mitraille, parce vation des brins, aux précautions nécessaires que cette manière de charger est une de celles pour ne pas les endommager; l'un après l'autre dont on fait ordinairement usage pour ces semble avoir rapport à la difficulté de l'action. sortes d'armes, et que la préposition à indique Pour ne pas endommager le chanvre, il faut comme terme le choix qu'on en a fait. Mais on le cueillir brin à brin. Si vous ne pouvez pas dirait charger un fusil avec des boules de liége, arracher ces plantes à la fois, arrachez les charger un canon avec des pierres, et non pas brins l'un après l'autre, et non pas arrachez- à boules de liége, à pierres, parce que les les brin à brin. boules de liége et les pierres n'étant pas des choses destinées à ces chargemens, on ne peut en avoir fait choix entre ces choses, ce qu'indiquerait la préposition à.

À, AVEC. Il y a de la différence entre se battre à l'épée et se battre avec une épée. La première phrase suppose le choix d'une arme particulière parmi celles dont on se sert ordinairement pour se battre, à l'exclusion de toutes les autres ; la seconde indique seulement l'usage que l'on fait d'une arme particulière, abstraction faite de tout choix et de toute exclusion. Ainsi l'on dirait nous décidâmes que nous nous battrions à l'épée; c'est le choix d'une arme à l'exclusion de toute autre; mais comme je n'avais point d'épée, je me battis

À, DANS, EN. Dans Pierre va à Rome, Pierre est à Rome, etc., à indique que le terme est considéré comme un point fixe, déterminé, indivisible. Mais lorsqu'un lieu est considéré comme ayant de l'étendue, le rapport à ce terme considéré ainsi est indiqué par la préposition dans ou en. On ne dit pas aller à l'Italie ou être à l'Italie; mais aller en Italie, être en Italie, parce que l'Italie n'est pas un lieu que l'on puisse se

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figurer comme un point indivisible, mais un pays étendu dans lequel on peut entrer par divers points très éloignés les uns des autres. Par la même raison, on dit monter à cheval, être à cheval, parce que l'endroit par où l'on touche un cheval peut être considéré comme un point fixe, déterminé et indivisible. Mais on ne dit pas monter à voiture, être à voiture, mais monter en voiture, être en voiture, parce qu'une voiture ne peut être considérée comme un point auquel on atteint en s'y placant, et que l'idée qu'elle présente est nécessairement liée à celle d'un espace dans lequel on est contenu. Si l'on dit aller aux Indes, au Pérou, au Mexique, à la Chine, c'est parce que lorsque ces pays furent découverts, l'éloignement ne les fit considérer que comme des points; et ces façons de parler se sont conservées après qu'on a su que ces lieux étaient des empires ou des royaumes. L'Amérique n'ayant reçu son nom que dans le temps où l'on connaissait déjà plusieurs des pays dont elle est composée, on a dit aller en Amérique, comme on disait aller en Asie. Dans être à Paris, vivre à Paris, Paris, est considéré comme un point où l'on est fixé; dans être dans Paris, vivre dans Paris, Paris est considéré comme un espace dans lequel on est contenu. Un homme qui est à Paris n'est pas à Marseille ou à Toulouse; un homme qui est dans Paris n'est pas hors de Paris. Voyez DANS.

À, SUR. Monter à cheval, c'est se placer sur un cheval dans le dessein de le faire marcher ou manœuvrer. Monter sur un cheval n’a rapport qu'à la position où l'on était auparavant. On monte à cheval pour partir, pour aller au combat, pour s'enfuir. On monte sur un cheval pour ne pas rester à terre; je faisais cette route tantôt à pied, tantôt à cheval; quand j'étais fatigué d'aller à pied, je montais sur mon cheval. La foule m'empêchait de voir le cortège; je montai sur mon cheval pour voir par-dessus la foule. On ne pourrait pas dire ici je montai à cheval. On met un cadavre, un sac sur un cheval; on ne les met pas à cheval.

À, VERS. Venez à moi indique la personne qui parle comme le terme, le but du mouvement qu'elle commande; venez vers moi n'indique qu'un rapprochement. A moi, soldats! signifie soldats, venez à moi, à ma personne, pour la défendre, pour la soutenir. Venez vers moi signifie venez près de moi, approchez-vous de moi.

À, OU. Cela coûte dix à douze francs, c'est-à-dire le prix de cette chose peut aller depuis dix francs jusqu'à douze francs. Il y avait dixà onze personnes dans cette chambre signifie que le nombre des personnes était de

passait pas onze, et à indique le rapport à ce terme; dans la seconde, on veut dire qu'on n'est pas sûr s'il était de dix ou de onze, et ou marque cette alternative.

EN, A, PAR. On dit, on voit à sa mine qu'il n'est pas content, et on juge par sa mine qu'il n'est pas content. Dans le premier exemple, à indique que la mine est regardée comme un signe certain de mécontentement, c'est une chose à laquelle on voit, on remarque le mé-dix, ou tout au plus de onze. Il y avait dix ou contentement comme attaché; dans la seconde, onze personnes dans cette chambre veut dire, par indique que la mine n'offre qu'un signe le nombre des personnes était de dix ou de probable de mécontentement, un signe par le- onze, je n'affirme ni l'un ni l'autre. Dans la quel on juge que le mécontentement doit exis-première phrase, on assure que le nombre ne ter. Dans le premier cas, on voit le mécontentement sur la mine; dans le second, par la mine on juge l'existence du mécontentement. ́À, POUR. On eut bien de la peine à le persuader, on a bien de la peine pour le persuader. Dans la première phrase, la peine tombe sur les efforts tendant à le persuader; dans la seconde, elle tombe sur les moyens employés pour parvenir à ce but. On a bien de la peine à persuader quelqu'un qui ne veut pas écouter les raisons qu'on lui donne : on a bien de la peine pour persuader quelqu'un qui réfute tous les raisonnemens qu'on lui fait. À, SELON, SUIVANT. Celui qui vit à sa fantaisie a pris sa fantaisie pour but de toutes ses actions; toutes ses actions tendent à la satisfaire. Celui qui vit selon ou suivant sa fan

À, DE. On dit commencer à faire une chose et commencer de faire une chose. Dans la première phrase, à indique un rapport au terme, au but, à la fin de l'action; dans la seconde, de indique un rapport au commencement de l'action. Un enfant commence à marcher lorsque, par un usage réitéré de ses jambes, il tend à contracter l'habitude de marcher, à laquelle il est destiné par la nature. “Un homme qui veut aller d'un lieu à un autre commence de marcher lorsqu'il fait les premiers pas, lorsqu'il franchit le commencement de l'espace qu'il doit parcourir; mais il ne commence pas

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