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'écrivit avec efprit ce qu'il inventa avec génie : c'eft ce qu'on difait de la Motte. Qui croirait 1773. qu'il y eût encore une louange au-dessus de celle là? et c'eft celle qu'on donne à la Fontaine Il écrivit avec naïveté. Il y a, dans

:

tous les arts, un je ne fais quoi qu'il est bien
difficile d'attraper. Tous les philofophes du
monde, fondus ensemble
n'auraient pu
parvenir à donner l'Armide de Quinault, ni
les Animaux malades de la peste que fit la
Fontaine, fans favoir même ce qu'il fefait. Il
faut avouer que, dans les arts de génie, tout
eft l'ouvrage de l'inftinct. Corneille fit la mène
d'Horace et de Curiace comme un oiseau fait
fon nid, à cela près qu'un oiseau fait toujours
bien, et qu'il n'en eft pas de même de nous
autres chétifs. M. Boifard paraît un très-joli
oiseau du Parnaffe, à qui la nature adonné, au
lieu d'inftinet, beaucoup de raifon, de jufteffe
et de finelle. Je vous envoie ma lettre de
remercîmens pour lui. Ma maladie, dont les
fuites me perfécutent encore, ne me permet
guère d'être diffus. Soyez sûr que je mourrai
en vous regardant comme un homme qui a
eu le courage d'être utile à des ingrats, et qui
mérite les éloges de tous les fages. Je vous
aime, je vous eftime, comme fi j'étais un
fage.
a on brys

Le vieux malade de Ferney, Vt

1773.

LETTRE III.

A MADAME NECKER.

A Ferney, 23 d'avril.

La lettre, Madame, dont vous m'honorez m'eft affurément plus précieufe que tous les facremens de mon églife catholique, apoftolique et romaine. Je ne les ai point reçus cette fois-ci. On s'était trop moqué à Paris de cette petite facétie; et le petit-fils de mon maçon, devenu mon évêque, ainfi qu'il fe prétend le vôtre, avait trop crié contre ma dévotion. Il eft vrai que je ne m'en porte guère mieux. Prefque tout le monde a été malade dans nos cantons, vers l'entrée du printemps.

Je n'avais point du tout mérité ma maladie. Les plaifanteries qui ont couru n'avaient, malheureusement pour moi, aucun fondement; et je vous affure que je mourais le plus innocemment du monde.

Je m'arrange affez philosophiquement pour ce grand voyage dont tout le monde parle fans connaiffance de caufe. Comme on n'a point voyagé avant de naître, on ne voyage point quand on n'eft plus. La faculté penfante, que l'éternel Architecte du monde

nous a donnée, fe perd comme la faculté mangeante, buvante et digérante. Les 1773. marionnettes de la Providence infinie ne font pas faites pour durer autant qu'elle.

De toutes ces marionnettes, la plus fenfible à vos bontés, c'eft moi. Je vous regarde comme un des êtres les plus privilégiés que l'ordre éternel et immuable des chofes ait fait naître fur ce petit globe. Je fuis très-fâché de ramper loin de vous fur un petit coin de terre où vous n'êtes plus; je ne vois plus perfonne, je ferme furtout ma porte à tout étranger: mais je compte que M. Moultou viendra ce foir dans mon hermitage, et que nous nous confolerons l'un l'autre en parlant long-temps de vous.

Je remercie M. Necker de fon fouvenir, avec la plus tendre reconnaissance. Madame Denis me charge de vous dire à quel point elle vous eft attachée.

1

Agréez le fincère refpect, la véritable eftime et l'amitié du vieux malade de Ferney.

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3773.

LETTRE IV.

A M. LE CHEVALIER DE TOLENDAL.

J'AVAIS

A Ferney, 28 d'avril.

'AVAIS eu l'honneur, Monfieur, de connaître particulièrement M. de Lalli, et de travailler avec lui, fous les yeux de M. le maréchal de Richelieu, à une entreprise dans laquelle il déployait tout fon zèle pour le roi et pour la France. Je lus avec attention tous les mémoires qui parurent'au temps de fa malheureuse catastrophe. Son innocence me parut démontrée : on ne pouvait lui reprocher que fon humeur aigrie par tous les contre-temps qu'on lui fit effuyer. Il fut perfécuté par plufieurs membres de la compagnie des Indes, et facrifié par le parlement.

Ces deux compagnies ne fubfiftent plus, ainfi le temps paraît favorable; mais il me paraît abfolument néceffaire de ne faire aucune démarche fans l'aveu et fans la protection de monfieur le chancelier.

Peut-être ne vous fera-t-il pas difficile, Monfieur, de produire des pièces qui exigeront la révision du procès; peut-être obtiendrez-vous d'ailleurs la communication de la

procédure. Une permiffion fecrète au greffier criminel pourrait fuffire. Il me femble que 1773. M. de Saint-Prieft, confeiller d'Etat, peut vous aider beaucoup dans cette affaire. Ce fut lui qui, ayant examiné les papiers de M. de Lalli, et étant convaincu non-feulement de fon innocence, mais de la réalité de fes fervices, lui confeilla de fe remettre entre les mains de l'ancien parlement. Ainsi la caufe de M. de Lalli eft la fienne auffi-bien que la vôtre il doit fe joindre à vous dans cette affaire fi jufte et fi délicate.

:

Pour moi, je m'offre à être votre fecrétaire, malgré mon âge de quatre-vingts ans, et malgré les fuites très-douloureufes d'une maladie qui m'a mis au bord du tombeau. Ce fera une confolation pour moi que mon dernier travail foit pour la défense de la vérité.

Je ne fais s'il eft convenable de faire imprimer le manufcrit que vous m'avez envoyé ; je doute qu'il puisse servir, et je crains qu'il ne puiffe nuire. Il ne faut, dans une pareille affaire, que des démonftrations fondées fur les procédures mêmes. Une réponse à un petit libelle inconnu ne ferait aucune fenfation dans Paris. De plus, on ferait en droit de vous demander des preuves des difcours que vous faites tenir à un président du parlement, à un avocat général, au rapporteur, à des

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