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Santorin. La grande chaîne de hautes monta1773. gnes qui couronnent la terre en tout fens, m'a toujours paru auffi ancienne que le monde; ce font les os de ce grand animal; il mourrait de foif, s'il n'y avait pas de fleuves; et il n'y aurait aucun fleuve fans ces montagnes qui en font les réservoirs perpétuels. On fe moquera bien un jour de nous, quand on faura que nous avons eu des charlatans qui ont voulu nous faire accroire que les courans des mers avaient formé les Alpes, le mont Taurus, les Pyrénées et les Cordelières.

Tout Paris, en dernier lieu, était en alarmes; il s'était perfuadé qu'une comète viendrait diffoudre notre globe le 20 ou le 21 de mai. Dans cette attente de la fin du monde, on manda que les dames de la cour et les dames de la halle allaient à confeffe, ce qui eft, comme vous favez, un fecret infaillible pour détourner les comètes de leur chemin. Des gens, qui n'étaient pas aftronomes, prédi rent autrefois la fin du monde pour la génération où ils vivaient. Eft-ce par pitié ou par colère que cette catastrophe a été différée ? To be, or not to be; that is the question, &c.

LETTRE X V I I I.

1773.

A M. LE PRINCE DE GALLITZIN,

AMBASSADEUR A LA HAIE.

A Ferney, le 19 de juin.

MONSIEUR LE PRINCE,

Vous rendez un grand fervice à la raison,

que

en fefant réimprimer le livre de feu monfieur Helvétius. Ce livre trouvera des contradicteurs, et même parmi les philofophes. Perfonne ne conviendra que tous les efprits foient égales ment propres aux sciences, et ne diffèrent par l'éducation. Rien n'eft plus faux, rien n'eft plus démontré faux par l'expérience. Les ames fenfibles feront toujours fâchées de cé qu'il dit de l'amitié, et lui-même aurait condamné ce qu'il en dit, ou l'aurait beaucoup adoucia i l'efprit fyftématique ne l'avait pas entraîné hors des bornes.

On fouhaitera peut-être, dans cet ouvrage, plus de méthode et moins de petites hiftoriettes, la plupart fauffes; mais il me femble que tout ce qu'il dit fur la fuperftition, für les abominations de l'intolérance, fur la liberté,

fur la tyrannie, fur le malheur des hommes, 1773. fera bien reçu de tout ce qui n'eft pas un fot

ou un fanatique. Quelque philosophe aurait pu corriger fon premier livre; mais perfécuter l'auteur, comme on a fait, cela eft auffi barbare qu'abfurde, et digne du quatorzième siècle. Tout ce que des fanatiques ont anathématifé dans cet homme fi eftimable, fe trouvait au fond dans le petit livre du duc de la Rochefoucauld, et même dans les premiers chapitres de Locke. On peut écrire contre un philofophe en cherchant comme lui la vérité par des routes différentes; mais on fe déshonore, on fe-rend execrable à la poftérité, en le perfécutant. Il slen fallut peu que des Mélitus et des Anitus né préfentaffent un gobelet de ciguë à votre aminobonio Tensiolue

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Je dois encore des remercîmens à votrę Excellence pour cette hiftoire de la guerre de la fublime Catherine contre la fublime Porte du peu fublime Moustapha. Vous favez que je m'intéresse à cette guerre prefque autant qu'à la tolérance univerfelle qui condamne toutes les guerres. Il faut bien quelquefois fe battre contre fes voifins, mais il ne faut pas brûler fes compatriotes pour des argumens. On dit que le pape eft auffi tolérant qu'un pape peut l'être; je le fouhaite pour l'amour du genre humain. J'en fouhaite autant au mufti, au

shérif de la Mecque, au grand lama et au daïri. onto -95'10

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Je fuis poffeffeur d'un tas de boue, grand comme la patte d'un ciron, fur ce miférable globe; il y a chez moi des papiftes, des calviniftes, des piétiftes, quelques fociniens, et même un jésuite : tout cela vit ensemble dans la plus grande concorde, du moins jufqu'à préfent. Il en eft ainfi dans votre vafte empire, fous les aufpices de Catherine. On goûte depuis long-temps de ce bonheur en Angleterre, en Hollande, en Brandebourg, en Pruffe et dans plufieurs villes d'Allemagne; pourquoi donc pas dans toute la terre? pourquoi n'adouciraiton pas un peu cette maxime: Que celui qui n'est pas de notre avis, foit comme un commis des fermes et comme un païen? pourquoi jetterionsnous dans un cachot le convive qui n'aurait pas mis fon bel habit pour fouper avec nous ? pourquoi ferait-on aujourd'hui mourir d'apoplexie un père de famille et fa femme qui, ayant donné prefque tout leur bien aux jacobins, garderaient quelques florins pour dîner? pourquoi?.... pourquoi?.... pourquoi?.... Si on me demande pourquoi je vous fuis fi attaché, je réponds: C'eft que vous êtes tolérant, jufte et bienfefant.dst smud

Que dites-vous du barbare énergumène qui a cru que j'étais l'ennemi de votre ami, et qui

m'a écrit une philippique ? Agréez, monsieur 1773. le Prince, ma très-fenfible et très-refpectueuse

reconnaissance.

LETTRE XIX.

A M. LE JEUNE DE LA CROIX.

A Ferney, 28 de juin.

UN vieux malade de quatre-vingts ans, a retrouvé dans fes papiers une lettre du 12 de mai, dont M. le Jeune de la Croix l'a honoré. Il y parle du mot idiotifme. Puifque idiot fignifiait autrefois folitaire, le vieillard avoue qu'il eft un grand idiot; et comme les organes de l'ame s'affaibliffent avec ceux du corps, il avoue encore qu'il eft idiot dans le fens qu'on attache aujourd'hui à ce terme. Il penfe que l'idiotisme eft l'état d'un idiot, comme le pédantisme eft l'état d'un pédant. le jansénisme eft l'état d'un janfénifte, le fanatifme celui d'un fanatique, comme le purifme eft le défaut d'un purifte, comme le népotifme était autrefois l'habitude des neveux de gouverner Rome, comme le newtonianisme eft la vérité qui a écrafé les fables du cartéfianisme.

Le vieillard n'a pas le fatuifme de croire

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