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du pays étranger font devenus plus difficiles que jamais. Je pourrais hafarder d'envoyer le 1773. petit paquet, par le carroffe de Lyon, à la chambre fyndicale de Paris. Voyez fi vous. pourriez le réclamer, et fi M. de Sartine voudrait vous le faire rendre. Je fuis étranger, je fuis de contrebande; je fuis environné de chagrins, quoique je tâche de n'en point prendre. Je fuis vieux, je fuis malade; j'ai la mort fur le bout du nez, fi ce n'eft pas pour cette année, c'est pour l'année prochaine. On ne meurt point comme on veut dans les heureux pays libres qu'on appelle papistes ou papaux. Rabelais dit qu'on y eft toujours tour menté par les clers-gots et par les évec-gots. On ne fait où fe fourrer; j'efpère pourtant que je m'en tirerai galamment ; mais avouez que tout cela n'eft pas joyeux. La philofophie fait qu'on prend fon parti, mais elle est trop férieuse cette philofophie, et on ne rit point entre des peines préfentes et un anéantiffement prochain. Je gagerais que Démocrite n'eft pas mort en riant.

Sur ce, mon cher ange, portez-vous bien et vivez.

Je croyais le Kain à Marfeille. Permettez que je vous adresse un petit mot de réponse que je dois à une lettre qu'il m'écrivit, il y a plus d'un mois.

Correfp. générale. Tome XV. B

1773.

› Pour mademoiselle Daudet, je lui en dois une depuis le mois de janvier; il y a prefcription. Je vous fupplie de lui dire que mon trifte état m'a mis dans l'impoffibilité de lui répondre : rien n'eft fi inutile qu'une lettre de complimens. Je lui souhaite fortune et plaifirs et furtout qu'elle refte à Paris le plus qu'elle pourra. Quoique je n'aime point Paris, je fens bien qu'on doit l'aimer.

Que mes anges me confervent un peu d'amitié, je ferai confolé dans mes neiges et dans mes tribulations; je leur ferai attaché tant que mon cœur battra dans ma très-faible machine.

LETTRE V I. I I.

A M. MARIN.

8 de mai.

MON cher Monfieur, je crois, Dieu me pardonne, que je fuis encore en vie : en ce cas, je vous prie d'envoyer un exemplaire de ce petit ouvrage à M. de la Harpe. Pourriezvous me faire parvenir le nouveau mémoire de la Croix? je fais qu'il écrit plutôt contre M. Linguet que contre M. de Morangiés. C'est

une chofe déplorable qu'on fe déchaîne fi universellement contre un avocat qui ne fait 1773. que fon devoir. On dit qu'on ne jugera ce procès que fur les probabilités qui frappent tout le monde; mais je n'en crois rien. Les juges font aftreints à fuivre les lois. L'ancien parlement fe mettait au-deffus: celui-ci n'eft pas encore affez puiffant pour prendre de telles libertés. La détention de M. de Morangiés, et le refus d'entendre de nouveaux témoins, me font trembler pour lui. Je le regarderai toujours comme un homme très-innocent. Dieu veuille qu'il n'augmente pas mon catalogue des innocens condamnés!

Avez-vous vu M. de Tolendal (*)? fon oncle eft une terrible preuve de ce que peut la cabale. Le roi de Pruffe a, parmi fes officiers, le jeune d'Etallonde qui fut condamné, avec le chevalier de la Barre, à la queftion ordinaire et extraordinaire, à l'amputation de la main droite et de la langue, et à être brûlé vif pour n'avoir pas ôté fon chapeau devant des capucins, et pour avoir chanté je ne fais quelle chanfon que perfonne ne connaît. C'eft un exemple qu'il faut toujours avoir devant les yeux: il nous prouve

(*) M. le comte de Lalli. M. de Voltaire le croyait alors et non fils de celui dont il cherchait à faire réhabiliter la mémoire.

neveu,

que notre fiècle eft auffi abominable que fri1773. vole. Il y a bientôt quatre vingts ans que je fuis au monde, et je n'ai jamais vu que des, injuftices. Je crois que Mathufalem aurait pu

en dire autant.

LETTRE I X.

A MADAME DE SAINT-JULIEN.

A Ferney, 19 de mai.

Ce que madame Denis veut vous dire,

Madame, c'eft que monfieur le maréchal de Richelieu, votre ami, vient de m'affliger d'une manière bien fenfible pour un cœur qui lui eft fi tendrement attaché depuis plus de cinquante ans. Il m'accable d'abord de bontés au fujet des Lois de Minos; il n'a jamais été fi empreffé avec moi; et le moment d'après il m'accable de dégoûts, il me traite comme fes maîtreffes. Voici le fait dans la chaleur de nos tendreffes renaiffantes, je lui dédie les Lois de Minos, et je me livre dans cette dédicace à toute ma paffion pour lui ; il me promet et me donne fa parole d'honneur qu'il fera repréfenter les Lois de Minos, à Fontainebleau, au mariage de M. le comte d'Artois. Sur cette parole, je

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retire la pièce des mains des comédiens qui allaient la jouer, et je n'ai de confiance qu'en 1773. fes bontés,

Quelque temps après, le Kain vient lui présenter la lifte des pièces qu'on doit donner à Fontainebleau ; il met dans cette lifte plufieurs de mes pièces, et furtout les Lois de Minos. M. le maréchal les raye toutes, et substitue à leur place le Catilina de Crébillon, et je ne fais quelles autres pièces barbares. Voilà ce qu'on me mande, et ce que j'ai peine à croire : je l'aime et je le refpecte trop pour croire qu'il en ait usé ainfi avec moi, dans le temps même qu'il me prodiguait les marques les plus flatteufes de l'amitié dont il m'a honoré depuis fi long-temps.

Nous avons recours, ma nièce et moi, Madame, à celle qui connaît fi bien le prix de l'amitié, à celle dont la bienveillance et l'équité font fi actives, à celle qui a tiré notre ami Racle du profond bourbier où il était plongé, à celle qui n'entreprend rien dont elle ne vienne à bout. Vous allez à la chaffe des perdrix allez à la chaffe de monfieur de Richelieu trouvez-le, parlez-lui, faites-le rougir, s'il eft coupable, faites-le rentrer en luimême, ramenez-moi mon infidelle. Il n'appartient qu'à vous de faire de tels miracles. Vous connaissez ma pofition: cette petite aventure

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