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CHAPITRE VIII.

De la Littérature.

S. I.

La Modeftie eft le partage des Hommes de mérite.

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N accufe les fçavants d'avoir de la hauteur & de la fierté. Ce n'eft pas là le caractere des gens qui ont acquis une juste réputation. Perfonne n'étoit plus uni que Bayle, plus fociable que Defcartes & Gaffendi, & plus modeste que Locke. Ceux qui parlent ainfi des véritables fçavants les confondent avec certains petits auteurs qui fe croient auffi parfaits que le public les méfeftine. Racine refta une année à compofer fa tragédie de Phedre, chef-d'oeuvre du théâtre. Avant de la faire jouer, il confulta long-temps fes amis, corrigea plufieurs endroits par leurs confeils, & attendit la réuffite de fon ouvrage pour ofer s'affurer de fa bonté. Pradon fit la même piéce dans un mois, la donna hardiment, affura le pu

* "Lettres Juives.

blic qu'elle étoit excellente. Il lui arriva
ce qui arrive ordinairement aux demi-
fçavants; fon ouvrage alla bien-tôt chez
les beurieres, au lieu que celui de Racine
percera la postérité la plus reculée.

La retenue & la modeftie font le par-
tage des grands hommes. Contents des
louanges qu'ils méritent, ils ne vont point
les mendier. Ils en font d'autant plus loua-
bles, que fi la vanité est pardonnable,
c'eft dans un homme qui mérite des élo-
ges auffi éclatants que ceux qui convien-
nent à bien des fçavants.

S. II.

La Science eft préférable à la nobleffe du
fang.

On accorde tous les jours des honneurs
à un fat noble, fils d'un fat noble, petit-fils
d'un fat noble, arriere-petit-fils d'un fat
noble. Parce qu'un homme compte une
longue fuite d'aïeux ignorants & ridicu-
les, dont il fuit parfaitement l'exemple, il
jouit de plufieurs privileges qui l'élevent
au-deffus du refte de fes concitoyens.
Que m'importe à moi qu'un homme ait
eu un de fes peres capitaine d'une com-
pagnie de chevaux dès le temps des Croi-

fades? Quoi! je ferai obligé d'honorer un imbécille, parce qu'un de fes aïeux aura été affommé par un Sarafin, ou parce qu'il aura fait le voyage d'outre-mer? & je verrai avec indifférence un homme utile au monde entier, dont les préceptes moraux forment les mœurs des peuples, dont les découvertes mathématiques enrichiffent les nations, dont la science tranf met à la postérité la plus reculée l'histoire de notre fiécle, ou celle des temps paffés? Il faut être fou, ou auffi imbécille que celui qu'on honore, pour préferer la chimérique nobleffe à la fcience & à la vertu.

Les hommes font bien revenus de cette foumiffion fervile qu'ils avoient pour de vieux contrats. Il a éte un temps où l'on avoit dans toute l'Europe autant de refpect pour les vieux titres, que les Egyptiens en eurent autrefois pour les crocodiles & pour les oignons de leurs jardins. On a fecoué cette fervitude, l'on a relégué cette fuperftition chez certains peuples qui en font fort entichés. Dans ces pays tout homme qui, pour le malheur du genre humain, naît baron, ou feigneur de terre, a le droit de tourmenter quelques miférables payfans. Il fe croit un des premiers fouverains du monde, quoique fes terres n'aient pas fouvent une lieue

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d'étendue. Son ignorance craffe, qui lui laiffe ignorer fi le monde en a plus de deux cents, eft la feule chofe qui puiffe excufer fa vanité. On trouve communément, dans bien des pays, de ces petits tyrans qui n'ont de la nobleffe que l'ancienneté, des mœurs que la corruption, & de l'homme que la reffemblance. Penfestu, mon cher Brito, qu'une perfonne qui fe fert de la lumiere naturelle, puiffe préférer à des gens illuftres par leurs fcien

ces, & recommandables par leur candeur, ces nobles réduits au feul inftinct? Parce qu'un homme auroit le droit d'ajouter à fon nom le titre de duc, ou de marquis, auroit-il celui d'en impofer aux gens de bon fens? Il faudroit alors que la nobleffe, dépourvue d'autre mérite, devînt un enchantement chez les imbécilles.

S. III.

Parallele de la gloire d'un Homme de Lettres, & de celle des Princes & des Conquérants.

La poftérité regle fagement les récompenfes dues aux fçavants, qu'elle égale aux grands princes. Trois mille ans après leur trépas, leur gloire n'eft point ternie par celle des héros les plus renommés,

Homere eft auffi connu qu'Achille, & le nom de Virgile auffi fameux que celui d'Augufte. L'habile hiftorien, le poëte célebre, le grand philofophe, confervent un avantage fur le conquérant & le général. La mémoire des uns ne préfente à l'imagination que le fouvenir de quelques actions paffées; mais les ouvrages des hommes fçavants tranfmettent, font revivre d'âge en âge leur génie & les connoiffances de leurs auteurs. Vingt fiécles après leur mort, ils parlent encore avec autant d'éloquence & de vivacité que de leur vivant, & leur efprit fe communique à tous ceux qui lifent leurs écrits. L'on retrouve de nos jours Horace & Virgile tels qu'ils étoient à la cour d'Augufte; les héros qui ne fe font illuftrés que par leurs actions, ont beaucoup moins d'empire fur nos cœurs. Le fimple récit d'un fait touche moins qu'une converfation vive & animée; & c'eft la façon dont les bons écrivains agiffent fur notre esprit. J'entre dans les peines d'Ovide lorfque je lis fes élégies; je parcours les merveilles de la nature pas à pas dans les Euvres de Lucrece; il me femble que je l'entends luimême m'en développer les fecrets les plus cachés.

Les héros doivent infiniment aux poë

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