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Ce qui nous paroiffoit terrible & fingulier,
S'apprivoife avec notre veuë.
Quand ce vient à la continue.

Et puifque nous voici tombez sur ce fujet.
On avoit mis des gens au guet,

Qui voyant fur les eaux de loin certain objet,
Ne pûrent s'empêcher de dire,
Que c'étoit un puiffant navire.
Quelques momens aprés l'objet devint brûlot,
Et puis nacelle, & puis balot;
Enfin bâtons flotans fur l'onde.
J'en fais beaucoup de par le monde,
A qui ceci conviendroit bien;

De loin c'eft quelque chofe, & de prés ce n'eft rien.

LXXI.

La Grenouille & le Rat.

El, comme dit Merlin, cuide engeigner autrui,
Qui fouvent s'engeigne foy-même.

J'ay regret que ce mot foit trop vieux aujourd'hui:
Il m'a toujours femblé d'une energie extréme.
Mais afin d'en venir au deffein que j'ay pris.
Un Rat plein d'en-bonpoint, gras, & des mieux nour-

ris.

Et qui ne connoiffoit l'Avent ni le Carême,
Sur le bord d'un marais égayoit fes efprits.
Une Grenouille approche, & lui dit en fa langue;
Venez me voir chez moi; je vous ferai feftin.
Meffire Rat promit foudain:

Il n'étoit pas befoin de plus longue harangue.
Elle allegua pourtant les delices du bain,
La curiofité, le plaifir du voyage,

Cent rarerez à voir le long du marécage
Un jour il conteroit à fes petits enfans in 19
Les beautez de ces lieux, les mœurs des habitans,
Et le gouvernement de la chofe publique:

Aquatique.

Un point fans plus tenoit le galant empêché.
Il nâgeoit quelque peu; inais il faloit de l'aide.
La Grenouille à cela trouve un tres-bon remede.
Le Rat fut à fon pié par la pate attaché.
Un brin de jonc en fit l'affaire.

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Dans le marais entrez, nôtre bonne commerc
S'efforce de tirer fon hôte au fond de l'eau,
Contre le droit des gens, contre la foi jurée,
Prétend qu'elle en fera gorge chaude & curée;
(C'étoit à fon avis un excellent morceau.)
Déja dans fon efprit la galande le croque.
Il attefte les Dieux; la perfide s'en moque.
Il refifte; elle tire. En ce combat nouveau,
Un Milan qui dans l'air planoit, faifoit la ronde,
Voit d'enhaut le pauvret fe debattant fur l'onde.
Il fond deffus, l'enleve, & par même moyen
La Grenouille & le lien...;

Tout en fut, tant & fi bien./
Que de cette double proye
L'Oifeau fe donne au cœur joye;
Ayant de cette façon !

A fouper chair & poiffon.

La rufe la mieux ourdie

Peut nuire à fon inventeur:

Et

Et fouvent la perfidie

Retourne fur fon auteur

LXXII.

Tribut envoyé par les Animaux à Alexandre.

U

Ne Fable avoit cours parmi l'Antiquité:
Et la raifon ne m'en eft pas connue.
Que le lecteur en tire une moralité.
Voici la Fable toute nuë.

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La Renommée ayant dit en cent lieux, Qu'un fils de Jupiter, un certain Alexandre, Ne voulant rien laiffer de libre fous les Cieux, Commandoit que fans plus attendre,

Tout peuple à fes piés s'allât rendre : Quadrupedes, Humains, Elephans, Vermiffeaux, Les Republiques despoifeaux.!

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La Deeffe aux cent bouches, dis-je,
Ayant mis par tout la terreur

En publiant l'Edit du nouvel Empereur;
Les Animaux, & toute efpece lige

De fon feul appetit, creurent que cette fois

Il faloit fubir d'autres loix.

On s'aflemble au defert, Tous quitent leur taniere Aprés divers avis, on refout, on conclur,180 D'envoyer hommage & tribut.

mb stop? Pour l'hommage & pour la manierezning Le Singe en fut chargé l'on lui mit par écrit Ce que l'on vouloit qui fût dit.

Le feul tribut les tint en peine.
Car que donner; il faloit de l'argent.
On en prit d'un Prince obligeant,
Qui poffedant dans fon domaine
Des mines d'or, fournit ce qu'on voulut.
Comme il fut question de porter ce tribut,
Le Mulet & l'Ane s'offrirent,

Affiftez du Cheval ainfi que du Chameau,
Tous quatre en chemin ils fe mirent.

Avec le Singe Ambaffadeur nouveau.
La Caravanne enfin rencontre en un paffage
Monfeigneur le Lion. Cela ne leur plût point.
Nous nous rencontrons tout à point,
Dit-il, & nous voici compagnons de voyage.
J'allois offrir mon fait à part;

Mais bien qu'il fait leger, tout fardeau m'embarafsc.
Obligez-moi de me faire la grace

Que d'en porter chacun un quart.

Ce ne vous fera pas une charge trop grande,
Et j'en ferai plus libre, & bien plus en état,
En cas que les voleurs attaquent notre bande,
Et que l'on en vienne au combat.

Econduire un Lion rarement fe pratique.
Le voila donc admis, foulagé, bien reçu,
Et malgré le Heros de Jupiter iffû, k
Faifant chere & vivant for a bourfe publique.
Ils arriverent dans un pré

Tout bordé de ruiffeaux, de Acurs tout diapré;
Où maint Mouton cherchoit fa vie;
Sejour du frais, veritable patrie

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Des Zephirs. Le Lion n'y fut pas, qu'à ces gens Il fe plaignit d'étre malade.

Continuez vôtre Ambassade,

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Dit-il, je fens un feu qui me brûle au dedans,
Et veux chercher ici quelque herbe falutaire.
Rendez-moi mon argent, j'en puis avoir affaire,
On déballe; & d'abord le Lion s'écria
D'un ton qui témoignoit fa joye:

Que de filles, & Dieux, mes pieces de monnoye
Ont produites! voycz; La plupart font déja
Auffi grandes que leurs Meres.

Le croit m'en appartient. Il prit tout là-doffus;
Ou bien s'il ne prit tout il n'en demeura gueres.
Le Singe & les fommiers confus

Sans ofer repliquer en chemin se remirent.
Au fils de Jupiter on dit qu'ils fe plaignirent,
Et n'en eurent point de raison.

Qu'eut-il fait? c'eut été Lion contre Lion;
Et le Proverbe dit: Corfaires à Corfaires
L'un l'autre s'attaquant ne font pas leurs affaires.

LXXIII.

Le Cheval s'étant voulu venger du Cerf.

D

E tout temps les Chevaux ne font nez pour les hommes.

Lors que le genre humain de glan fe contentoit, Ane, Cheval, & Mule aux forêts habitoit;

Et l'on ne voyoit point, comme au Siecle où nous fommes,

Tant de felles & tant de basts,

Tant de harnois pour les combats,
Tant de chaifes, tant de carroffes;
I 4

Com

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