: Que la douleur soit une épreuve, la vie reprend son intérêt et sa beauté. Elle est difficile, j'en conviens; mais au moins la personnalité y trouve son aliment. Elle sent qu'elle a été assez estimée pour être exposée à ces épreuves et à ces tentations, et que, si peu qu'elle soit, elle compte pour quelque chose dans l'ordre de l'univers. Elle sent également qu'elle ne peut plus être brisée sans raison. En effet, une créature qui ne se gouverne pas elle-même n'est qu'un instrument de l'économic générale, un ressort qui n'a de valeur que par rapport au tout il cesse d'être lorsqu'il cesse d'être utile; on ne lui doit aucun compte; c'est le vase qui n'a point le droit de dire au potier : Pourquoi m'as-tu fail? Mais la créature à laquelle la Providence a imposé la charge de se conduire elle-même; à laquelle elle s'est plu à préparer des épreuves de toute espèce, en lui commandant d'en triompher, n'est-elle pas en droit d'espérer qu'elle ne peut être détruite comme un outil usé et impuissant? Oui, je n'hésite point à le dire, pour que l'homme s'estime lui-même, il faut qu'il se sache estimé par son Créateur; s'il n'est qu'une chose qui ne dure qu'un jour, à quel titre voulez-vous qu'il se considére et se traite lui-même comme une personne? Et ne serait-ce pas une contradiction que lui seul fût tenu d'avoir égard à la dignité de sa nature, tandis que l'univers l'écraserait comme un atome aveugle et méprisable? Quoi qu'on fasse, il y aura toujours dans la vie de l'homme une inconnue dont aucune formule sociale ne pourra donner la raison. Cette inconnue, c'est la partie de l'âme qui touche à l'infini et qui témoigne d'une destinée infinie. La vie terrestre, lui donnâton les plus grands objets, ne peut embrasser tout l'homme; il y a toujours un je ne sais quoi qui s'échappe, qui se sent captif dans la cité de la terre et appelle une cité de Dieu. Mais la philosophie peut-elle promettre une cité divine, elle qui n'a pas de lumière surnaturelle, et qui n'a point reçu les clefs d'en haut? Elle le peut, sans déterminer toutefois les conditions de cette future existence. La religion n'ouvre la cité de Dieu qu'à ceux qui ont la foi : la philosophie n'a point qualité pour introduire ou pour exclure; elle laisse le jugement suprême à qui de droit, confiante en l'infaillible justice. Elle ne sait rien non plus de cet avenir mystérieux. L'âme contemplerat-elle la Divinité face à face et sans voiles? S'unira-t-elle à Dieu dans des embrassements ineffables qui surpassent nos conceptions, ou continuera-t-elle à s'en rapprocher dans une série d'existences de plus en plus parfaites, heureuses, lumineuses, mais toujours sé parées de l'infini par un abîme? Jouira-t-elle d'un repos absolu, ou se développera-t-elle à l'état de pur esprit, ou reprendra-t-elle des organes plus subtils et plus parfaits? Questions accablantes pour l'esprit, curieuses seulement pour l'imagination, mais impossibles à résoudre et inutiles à soulever; car, pourvu que l'homme sache qu'il a une destinée au delà de la vie, et qu'elle sera bonne s'il l'a méritée, que lui importe le reste? Cela suffit pour la paix, l'espérance et le courage. FIN |