Page images
PDF
EPUB

un bien de voir la lumière du ciel, de respirer l'air nourricier et rafraîchissant. C'est un bien, comme le dit un sage, de se réparer par une nourriture modérée et agréable, de charmer ses sens du parfum et de l'éclat verdoyant des plantes, d'orner même son vêlement, de jouir de la musique, des jeux, des spectacles et de tous les divertissements que chacun peut se donner sans dommage pour personne. « Ces biens, dit-on, ne durent qu'un jour; » oui. Mais pendant ce jour ils ont leur prix. L'insecte appelé éphémère ne dure aussi que l'espace d'une journée; mais, pendant ce jour, il est heureux, il jouit, il vole, il respire, et, comme le dit un charmant poëte, il s'élance dans l'air, joyeux et louant Dieu. Ne doit-il pas louer Dieu aussi, cet être auquel il a donné non-seulement ces biens fugitifs qu'il partage avec les animaux, mais les biens solides et éternels de l'âme et du cœur, et qu'il a fait participer de la vérité et de la lumière intelligible; auquel il a communiqué une flamme divine allumée à l'éternel foyer de son cœur adorable et ineffable; à qui, enfin, il a permis et ordonné de chercher à l'imiter de loin, et de s'élever au ciel par ces deux ailes dont parle l'Imitation, la simplicité et la pureté. Aimer, prier, chanter, tels sont les biens divins que le poëte regrette cu mourant: ajoutez-y ce qu'il oublie

trop dans ses molles extases, la recherche de la vérité et la pratique du bien, et dites comme le misanthrope Jean-Jacques, qui sortait tout en larmes de la représentation d'Orphée : « La vie est encore bonne à quelque chose.» Biens de la jeunesse, santé, plaisir, amour; biens de l'âge mûr, science, gloire, vertu; biens de la vieillesse, sagesse, souvenir, repos, paraissez, paraissez dans votre éclat et dans votre beauté, donnez nous cet amour de la vie sans lequel il est impossible de bien vivre. Le livre saint ne raconte-il pas que Dieu, après avoir créé les choses, a trouvé que son œuvre était bonne : Et vidit quod erat bonum.

Tel est le premier aspect sous lequel la vie humaine nous apparaît et nous charme. Est-ce le seul?

II

« Périsse le jour auquel je suis né! Périsse la nuit en laquelle il a été dit : Un homme a été conçu!

« Pourquoi ne suis-je pas mort dans le sein de ma mère? Pourquoi n'ai-je pas cessé de vivre aussitôt que j'en suis sorti?

« Car je dormirais maintenant dans le silence, et je me reposerais dans mon sommeil.

<< Pourquoi la lumière a-t-elle été donnée à un misérable, et la vie à ceux qui sont dans l'amertume du cœur?

« Je suis comme un esclave qui soupire après l'ombre, un mercenaire qui attend la fin de son travail.

« La vie m'est à charge, et je ne puis vivre longtemps épargnez-moi, car mes jours ne sont qu'un néant.

« L'homme né de la femme vit très-peu de temps; et il est rempli de beaucoup de douleurs.

« Il ressemble à une fleur qui n'est pas plutôt éclose qu'on la coupe; il fuit comme l'ombre et n'a pas de stabilité.

« Toutes mes forces sont épuisées; mes jours ont été abrégés, et il ne me reste que le tombeau.

« La tristesse m'obscurcit les yeux, et les membres de mon corps sont comme l'ombre qui disparaît.

« J'ai dit au sépulcre : Vous êtes mon père; et à la pourriture Vous êtes ma mère et ma sœur. »

Tel est l'amer, le lamentable chant de douleur que Job fait retentir à nos oreilles et à nos âmes troublées dans ce livre sublime dont se nourriront toujours avec délices les âmes qui auront savouré les mystérieuses

séductions de la douleur. Mais ne serait-ce là qu'un cri de désespoir, échappé dans un moment d'oubli à un misérable accablé par la fortune? Écoutez le Sage sur le trône, celui qui a connu toutes les félicités humaines.

« Vanité des vanités! et tout n'est que vanité.

« Quel avantage l'homme retire-t-il de tout le travail qui le fatigue sous le soleil ?

<< Moi, l'Ecclésiaste, j'ai été roi sur tout Israël, dans Jérusalem.

« J'ai fait faire des ouvrages magnifiques, je me suis bâti des maisons, et planté des vignes.

« Je me suis fait des jardins et des clos, où j'ai planté toutes sortes d'arbres fruitiers.

« J'eus des serviteurs et des servantes, et un grand nombre d'esclaves nés dans ma maison; j'ai eu de grands troupeaux, de gros et de menu bétail.

« Je me suis amassé une grande quantité d'or et d'argent, et les richesses des rois et des provinces; j'ai eu des musiciennes, des vases pour servir le vin, et tout ce qui fait les délices des enfants des hommes.

« Je n'ai rien refusé à mes yeux de tout ce qu'ils ont désiré; et j'ai permis à mon cœur de jouir de tous les plaisirs.

« Mais j'ai vu que le tout n'était que vanité et af

fliction d'esprit, et que l'homme ne tire aucun avantage de ce qui est sous le soleil.

« J'ai passé de là à la contemplation de la sagesse. « Je me suis appliqué à rechercher et à contempler tout ce qui se fait sous le soleil.

« J'ai appliqué mon cœur pour connaître la prudence et la doctrine, les erreurs et l'imprudence; et j'ai reconnu que cela même était une peine et une affliction d'esprit.

<«< Car une grande sagesse est accompagnée d'une grande douleur; et plus on a de science plus on a de peine. >>

Ainsi le pauvre et le mendiant dans sa hideuse misère, le sage et le roi dans tout l'éclat de sa science et de sa prospérité, Job et Salomon semblent se répondre; l'un par ses cris, l'autre par ses plaintes accusent également la vie humaine et nous plongent dans la plus profonde tristesse.

Peut-être faut-il attribuer au peuple et à la race cette noire et amère mélancolie. Mais transportez-vous dans un autre coin du monde; écoutez les sages d'une autre religion; écoutez ces paroles, qui, sans égaler les plaintes de Job et de Salomon, ont encore de quoi nous émouvoir et nous tirer des larmes.

Un jeune prince est condamné par une marâtre

« PreviousContinue »