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pour la difformité et la faiblesse d'esprit que pour le vice? N'arrive-t-il pas même bien souvent que les plus belles facultés de l'esprit ne nous inspirent que de la commisération ou du mépris, lorsque nous les voyons profanées par un indigne usage? Si vous dites que nous estimons dans les hommes les qualités qui nous sont agréables et utiles, je réponds que vous devriez estimer au même degré l'esprit qui vous amuse et la beauté qui vous charme que la bienveillance, l'équité, la franchise, la modestie : c'est ce qui n'a point lieu. Vous distinguez donc ce qui vient de l'homme et ce qui ne vient pas de lui; et, tout en goûtant ce qu'il doit à la nature, vous réservez votre estime et votre respect pour ce qu'il doit à sa propre énergie. A la vérité, les hommes reçoivent de la nature des inclinations, soit pour le mal, soit pour le bien; ces inclinations sont inégalement distribuées entre eux; et leur mérite véritable n'est pas toujours celui que semble indiquer l'apparence. Nous ne tenons pas assez de compte de cette différence dans l'appréciation que nous faisons des caractères humains; mais, pour peu qu'on attire sur ce point notre attention, nous y devenons sensibles; et nous nous habituons à tenir compte aux hommes beaucoup moins de leurs qualités naturelles que de l'usage qu'ils en font; enfin

nous nous élevons à cette conception, que le seul juge légitime et infaillible des actions humaines est celui qui sonde les reins et les cœurs, et qui, connaissant le faible et le fort de chacun de nous, peut mesurer à chacun sa part de responsabilité. Mais ce n'est pas là douter de la vertu, c'est seulement apprendre à ne pas juger témérairement des hommes.

Il n'est pas nécessaire d'ailleurs de rencontrer sur la terre la vertu parfaite pour croire à la vertu il suffit d'y rencontrer, ce qui existe en effet, des vertus particulières, ou même des actes de vertu. Cela suffit pour n'autoriser personne à déclarer la vertu chose inaccessible et chimérique, et par conséquent à se dispenser de ses obligations. Ceux-là mêmes qui ont reçu de bons instincts ou une bonne éducation savent bien que ce n'est pas là une défense suffisante contre les tentations, et qu'ils ont toujours beaucoup à faire, soit pour éviter le mal, soit pour se perfectionner dans le bien. Parmi les différents objets que les hommes peuvent se proposer dans la vie, le plus élevé sans aucun doute est l'amélioration de soi-même. Heureux ceux qui ont osé choisir un tel objet d'ambition! Ils n'y mettent pas toujours la même ardeur que dans les autres entreprises de leur vie. Que de défaillances, que de retards, que d'infidélités! enfin, ils sont tra

versés par bien des épreuves. Mais s'ils reviennent toujours avec persévérance à cet objet, s'ils s'en approchent de plus en plus; si enfin ils ont diminué de quelques pas l'intervalle qui les sépare de la perfection, ils peuvent dire qu'ils n'ont pas vécu en vain.

CHAPITRE VIII

LE MONDE ET LA SOCIÉTÉ

Jusqu'ici nous n'avons guère considéré l'homme qu'en lui-même; nous avons à l'étudier maintenant dans ses rapports avec les autres hommes, c'est-à-dire avec le monde et la société. En quoi le monde peut-il contribuer au bonheur ou au malheur de l'individu? C'est ce qu'il nous reste à examiner.

L'un des principaux éléments de notre destinée, c'est la place qui lui est faite dans la société de nos semblables. Si le sage peut dire, d'une manière tout abstraite et toute philosophique, que la condition extérieure importe peu, et que tout dépend de l'étal de notre âme, il est vrai de dire cependant que la plupart des hommes ne parviennent pas facilement à un tel degré de philosophie, et les philosophes eux-mêmes pas plus que les autres. Recherchons donc les principes

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