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passe sans raison d'une disposition à l'autre; l'humeur noire, qui est une tristesse profonde et exagérée, et toutes leurs nuances. L'humeur, enfin, est pour nous une cause considérable de bonheur et de malheur, car elle l'est d'abord par elle-même, et ensuite par ses conséquences.

En revendiquant pour le caractère ce que la plupart des hommes attribuent à la fortune, nous ne prétendons pas remplacer une fatalité par une autre : car le caractère lui-même n'est pas une puissance aveugle et fatale, qui résulterait de la constitution et du tempėrament de chacun. Il se compose, nous l'avons dit, non d'une inclination unique, mais de mille inclinations variées et diversement combinées. Or ces combinaisons n'ont rien d'absolu; elles varient selon les temps, les lieux, les circonstances, l'éducation. S'il en est ainsi, elles peuvent varier également par l'effet de notre volonté. Il faut remarquer qu'il y a en nous mille germes de sentiments et de passions, qui n'attendent qu'une circonstance pour naître et se développer. Nul homme n'est absolument privé d'inclinations bonnes ou d'inclinations mauvaises; il peut développer les unes ou les autres et choisir entre elles. J'accorde que ce travail ne dépasse pas certaines limites fixées par la constitution de chacun; mais ces

limites sont très-larges, et dans l'espace qu'elles enferment il peut naître mille caractères différents. J'accorde encore que parmi les causes qui déterminent le nôtre il faut compter les circonstances; mais il y faut mettre en premier lieu notre propre volonté : aussi peut-on dire que l'homme se fait son caractère, et c'est pourquoi il en est responsable.

On a dit :

Le commun caractère est de n en point avoir.

:

En un sens ce vers n'est pas vrai, car tout homme a une sorte de caractère; il a une humeur, une disposition générale, un certain nombre de passions, petites ou grandes, par lesquelles il se distingue des autres hommes; mais, chez la plupart des hommes, ces différences sont si petites, qu'elles sont à peu près insensibles ou n'offrent guère d'intérêt rien ne ressort, rien n'est en relief, ni les qualités ni les défauts : c'est ce qu'on appelle la médiocrité. Aussi a-t-on réservé souvent dans l'usage le terme de caractère pour exprimer ce qui sort du commun, ce qui se distingue par quelques dispositions particulières portées très-loin, soit en bien, soit en mal. C'est dans ce sens qu'il y a peu de caractères parmi les hommes; c'est aussi dans ce sens qu'on se plaint quelquefois de l'effacement des carac

tères. Cela est un mal, et, quoiqu'il ne faille pas approuver cette recherche exagérée d'un cachet distinctif et original, que l'on appelle excentricité, et qui n'est que le simulacre et l'impuissance de l'originalité, il est cependant digne de l'homme d'atteindre une certaine personnalité, d'être soi, d'être quelqu'un, d'avoir enfin un caractère distinctif parmi les hommes.

On a restreint encore la signification du mot caractère, et l'on entend par là la partie haute, fière et forte du cœur humain. Le caractère, ce n'est pas seulement l'énergie, mais l'énergie noble et employée à un grand but. Ici le caractère vient se confondre avec ce que les anciens appelaient la vertu (virtus), la force virile. La mâle école du stoïcisme a célébré, souvent avec excès, cette puissance que l'homme a reçue de se soustraire à la fortune par la volonté, de vaincre l'inconstance des choses par la tranquillité de l'âme, d'étouffer, sinon de détruire, les passions et les douleurs, et elle a produit des miracles d'héroïsme et d'intrépidité. Mais, sans parvenir jusque-là, l'homme, dans le cercle de la vie la plus modeste et la plus ignorée, peut entreprendre d'opposer aux difficultés infinies de la vie et aux tentations sans cesse renaissantes des désirs immodérés l'obstacle d'une volonté constamment bonne, toujours amie

de l'honnête et de l'équitable. Le caractère ainsi entendu est la vraie mesure de l'homme, et, pour employer les expressions hyperboliques du stoïcisme, c'est là sa noblesse, sa richesse, sa royauté.

La plus haute perfection de l'âme humaine est donc la vertu, c'est-à-dire l'obéissance à la loi de l'honnête; mais ce grand objet est une des plus rares ambitions que se propose l'activité de l'homme. L'honnête, à la vérité, est bien regardé par la plupart des hommes comme quelque chose d'essentiel; mais, d'ordinaire, on le met sur le second plan. On le traite un peu comme un hôte respectable, mais importun, que l'on ne veut pas blesser, mais auquel on fait peu d'honneur. On poursuit ses plaisirs, on travaille à ses affaires, on satisfait ses passions, sans trop penser à l'honnête, jusqu'au moment où il nous apparaît comme une barrière infranchissable. Arrivés là, la plupart des hommes s'arrêtent; ceux qui passent cette limite sont la lie du genre humain.

Mais l'honnête est tout, ou il n'est rien. S'il ne gouverne pas toute la vie, s'il n'est pas la loi constante, vigilante, universelle de toutes les actions et de toules les pensées, il vaut mieux dire qu'il n'existe pas que de le réduire au rôle subalterne de moniteur ennuyeux et négligé. L'honnête, c'est la vérité dans les discours,

la sincérité dans les sentiments, la prudence dans les décisions, la modération dans les plaisirs, la résignation dans la douleur; c'est la dignité et la patience, la simplicité et la gravité; c'est la sévérité envers soimême, l'indulgence envers les autres; c'est la bonté avec la justice, la force avec la douceur. L'honnête a sa place dans les plus grandes vicissitudes et les moindres accidents de la vie; il est la loi de l'intelligence et du cœur aussi bien que de la volonté; il règle même les actions du corps, et les anciens, qui l'ont si admirablement étudié dans leurs ouvrages de morale, l'étendaient jusqu'aux manières : le decorum, ce beau mot dont nous avons restreint le sens, était encore pour eux une partie de l'honnête, et exprimait la grâce, la justesse, l'harmonie générale des gestes et de tout l'extérieur.

Si le bonheur d'un être est, comme nous l'avons dit, en raison de sa perfection, il faut reconnaître que le plus grand bonheur de l'homme est dans la vertu. Ce bonheur, d'ailleurs, est accompagné de la plus grande de nos joies et du plus solide de nos plaisirs : c'est ce qu'on appelle la paix de la conscience, la satisfaction intérieure; ce sont là des vérités tellement connues, qu'il nous suffit de les rappeler.

Mais voici un point d'une nature plus délicate. Quel

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