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accidents extérieurs, qui, sous une apparence monotone, est en réalité plus pleine et plus vivante qu'une vie faussement agitée. Si l'activité est bonne pour l'âme, l'agitation ne lui vaut rien. Ce qu'il faut occuper, ce n'est pas la superficie de notre être, mais la substance même. Un mouvement superficiel qui nous entraîne sans cesse d'un phénomène à l'autre et nous rend successivement le jouet de toutes les chimères n'est pas plus conforme à la vraie destinée de l'homme, et par conséquent à son bonheur, qu'une inaction sèche et nue qui l'appauvrit et le ruine. Si les hommes ne s'entendent pas lorsqu'ils disputent sur la préférence qu'il faut accorder au repos ou au mouvement, c'est qu'ils ne réfléchissent pas qu'il y a deux sortes de repos et deux sortes de mouvements. Le mouvement peut naître d'une activité utile et régulière ou d'une stérile agitation; il peut avoir sa cause en nousmêmes ou en dehors de nous; il peut être le signe de notre empire sur les choses ou de l'empire des choses sur nous, de notre faiblesse ou de notre force. De même aussi il y a un repos qui n'est que le sommeil de l'âme et un repos qui naît de l'équilibre harmonieux de toutes nos facultés : l'un par lequel l'homme s'éloigne volontairement de toutes les épreuves, c'est-àdire de sa vraie grandeur, et l'autre par lequel il sauve

la grandeur de l'âme en renonçant aux prestiges et aux pompes de la vie extérieure. Pour se démêler entre tant de données diverses, il ne faut pas perdre de vue ce principe général, c'est que le bonheur de l'homme est en raison de la richesse, de la puissance et de l'ordre de sa vie intérieure.

CHAPITRE VII

LE CARACTÈRE ET LA VERTU

Le principal ressort de l'activité humaine et de la conduite de la vie, c'est le caractère, c'est-à-dire cet ensemble d'inclinations, d'habitudes, de sentiments, d'idées et d'imagination qui distingue un homme d'un autre homme et lui donne son empreinte; le caractère est au moral ce que sont au physique la constitution et le tempérament.

La destinée des hommes dépend en grande partie de leur caractère; cependant il ne la fait pas à lui seul, car il n'a pas dépendu de moi de naître à telle époque plutôt qu'à telle autre, dans telle ou telle condition, et enfin de me rencontrer en de telles conjonctures, dans de telles relations. De plus, beaucoup d'événements qui m'intéressent et me concernent ont leur cause non dans mes propres passions, mais dans

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celles des autres. La rencontre et l'entre-croisement des passions humaines donnent lieu à ces mille jeux qui paraissent une loterie, parce qu'on ignore les causes subtiles et innombrables qui ont contribué à les produire. C'est ce qu'on appelle la fortune, et il n'est pas juste de la confondre avec le caractère et le mérite de chacun.

Nicole a

C'est cette confusion trop commune que critiquée justement et finement dans la page suivante : « C'est une faiblesse et une injustice que l'on condamne souvent, et que l'on évite peu, de juger des conseils par des événements, et de rendre coupables ceux qui ont pris une résolution prudente selon les circonstances qu'ils pouvaient voir, de toutes les mauvaises suites qui en sont arrivées, ou par un simple hasard, ou par malice de ceux qui l'ont traversée, ou par quelques autres rencontres qu'il ne leur était pas possible de prévenir. Non-seulement les hommes aiment autant être heureux que sages, mais ils ne font pas de différence entre heureux et sages, ni entre malheureux et coupables. Cette distinction leur paraît trop subtile. On est ingénieux pour trouver les fautes que l'on imagine avoir attiré un mauvais succès, et, comme les astrologues, lorsqu'ils savent un certain accident, ne manquent jamais de trouver l'aspect des astres qui l'a

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