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armes. La science étrangère rend hommage au mérite des propositions de ce publiciste dans cette interprétation humaine et progressive du droit de la guerre (1).

Du respect des personnes découle celui des propriétés privées.

L'antiquité et le moyen-âge regardaient comme de bonne prise les biens de tous ceux que l'on considérait comme ennemis.

Le droit moderne distingue entre la propriété publique et la propriété privée de l'ennemi, et il exclut même de la propriété publique, considérée comme de bonne prise, les biens des églises, des hôpitaux, des écoles, ainsi que les bibliothèques, les laboratoires et les collections d'art (2), et même la propriété privée du prince (3).

Si les droits de la guerre maritime sont plus étendus que ceux de la guerre terrestre, s'ils ont admis la capture des bâtiments de commerce à cause peut-être de la facilité qu'il y avait autrefois à convertir les vaisseaux marchands en bâtiments de guerre, cependant

(') Bluntschli, Das moderne Vælkerrecht, p. 33.

De nouveaux efforts sont tentés chaque jour, à l'honneur de la civilisation du XIX siècle, pour adoucir les maux causés par la guerre.

Citons notamment la convention internationale pour l'amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne, qu'ont signée ou à laquelle ont adhéré tous les souverains de l'Europe; la constitution dans les divers pays de sociétés de secours aux blessés militaires; enfin, la récente convention par laquelle les principales puissances européennes se sont interdit l'usage de certains projectiles explosibles en temps de guerre. (Voir sur ces différents progrès le livre intitulé: La Guerre et l'Humanité au XIXe siècle, par M. Léon de Cazenove, 1869.)

(2) V. l'article 34 des instructions pour le gouvernement des armées des Etats-Unis en campagne, annexées à l'ouvrage de Bluntschli sur le Droit des gens moderne.

(3) Bluntschli, p. 37.

le droit de course, flétri par Franklin, répudié par le traité de 1785 entre la Prusse et les Etats-Unis de l'Amérique du Nord, a été enfin condamné par la déclaration du Congrès de Paris en 1856.

Les autres principes adoptés dans le même Congrès et d'après lesquels le pavillon neutre couvre la marchandise ennemie à l'exception de la contrebande de guerre, comme d'un autre côté la marchandise neutre est protégée sur le vaisseau ennemi, et enfin la nécessité du blocus effectif, sont des restrictions considérables du droit de prise maritime, droit qu'il est désirable de voir supprimer lui-même, et qu'en attendant il faut améliorer par l'impartialité de son application (').

Si l'on résumait ces adoucissements progressifs dans la pratique de la guerre, on pourrait adopter la formule suivante d'un auteur contemporain: « Si l'homme d'Etat le plus habile est celui qui réduit à son minimum l'emploi de la guerre dans la politique, le meilleur général est celui qui réduit à son minimum l'emploi de la force dans la guerre, etc. (*).

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Ces perfectionnements dans les règles des luttes nationales armées, ce désintéressement croissant imposé aux belligérants, peuvent contribuer à la suppression de la guerre elle-même. Ce qui est retranché

() Il faut applaudir au précédent posé dans la guerre de 1854 et de 1855 avec la Russie, et par lequel la France et l'Angleterre ont accordé un délai aux bâtiments russes pour sortir des ports où ils eussent pu être arrêtés. Nous croyons devoir signaler aussi une décision du conseil d'Etat du 23 novembre 1867, qui a adopté le principe d'une indemnité pour prise maritime reconnue mal fondée dans l'affaire du Milo:

(2) Prévost-Paradol, la France nouvelle, p. 270.

de ses brutalités rend ce qui en est conservé plus odieux et plus incompréhensible. En s'abstenant du pillage et des contributions forcées, elle devient si coûteuse pour les gouvernements belligérants, qu'on dirait une arme blessant la main même victorieuse qui s'en sert (*).

Un grand progrès serait fait pour la suppression de la guerre le jour où, par une création supérieure à celle de l'ancienne Grèce et dont nous avons déjà parlé plus haut, un conseil amphictyonique européen (2) pourrait être reconnu, sinon comme le juge, au moins comme le conciliateur nécessaire des nations sur le point d'en venir aux mains. Ce conseil préparerait aux heures sereines les perfectionnements à tirer de la paix, et, dans les moments périlleux pour l'harmonie générale, il s'occuperait de conjurer les horreurs et les désastres de la guerre.

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L'expérience des siècles nous apprend, a dit le général Foy, qu'il n'y a de recours contre les excès de la force matérielle que dans l'empire exercé sur les passions des hommes par la plus puissante des forces morales, la justice... »

Constituer un organe public à cette force morale suprême et mettre à son service une influence, peut-être

(1) « La guerre, a dit Proudhon, t. II, p. 281, ne peut mentir à sa cause. Fille de famine, après avoir cherché pâture à l'étranger, mais forcée par le progrès de la civilisation de renoncer à l'étranger, elle va se rejeter sur les propres nationaux : comme Saturne, elle dévorera ses enfants, et c'est afin d'augmenter le nombre de ses victimes, et d'éloigner son suicide, qu'elle continue de chercher des conquêtes. »

(2) Le conseil des Amphictyons paraît n'avoir eu pour objet que l'adoucissement des maux de la guerre et la défense du temple de Delphes. (Histoire du progrès du droit des gens, par Henry Wheaton, p. 5.)

un jour une force matérielle capable de faire respecter ses verdicts ('): voilà le but clairement marqué aux progrès du droit international et aux efforts des esprits généreux appliqués à la suppression du fléau de la guerre.

J'admire les tableaux sublimes ou prétendus tels qu'elle a pu présenter à nos pères et qui ont inspiré, même de nos jours, plus d'un écrivain (2).

Les bienfaits de la civilisation, dérivant des luttes les plus horribles, sont sans doute un des contrastes les plus grandioses de l'histoire de l'humanité. Mais le criterium de l'antagonisme des nations doit se transformer. Le règne de la Parole et de la Presse doit succéder à celui de la Force et de la Guerre; et les vertus même du Testament ancien, s'il m'est permis d'employer ce mot, doivent pâlir devant celles du Testament nouveau.

(1) A tous les symptômes de réduction du domaine de la guerre dans l'avenir, on peut ajouter la neutralité imposée par les traités modernes à certains Etats, comme la Suisse et la Belgique, nonseulement pour la protection de leur faiblesse organique, mais encore pour l'avantage réciproque de leurs voisins, préservés par cet expédient d'invasions soudaines ou de dangers stratégiques particuliers. Il y a lieu de croire que cette neutralité à priori pourra recevoir d'autres applications. (V. la brochure de M. Huber Saladin sur les Petits Etats et la Neutralité continentale dans la situa tion actuelle de l'Europe. Paris, 1866.)

(2) « La guerre, a dit Proudhon, est le phénomène le plus profond, le plus sublime de notre vie morale. Aucun autre ne peut lui être comparé : ni les célébrations imposantes du culte, ni les créations gigantesques de l'industrie. C'est la guerre qui, dans les harmonies de la nature et de l'humanité, donne la note la plus puissante: elle agit sur l'âme comme l'éclat du tonnerre, comme la voix de l'ouragan. Mélange de génie et d'accents de poésie et de passion, de suprême justice et de tragique héroïsme, même après l'analyse que nous en avons faite et la censure dont nous l'avons frappée, sa majesté nous étonne, et, plus la réflexion la contemple, plus le cœur s'éprend pour elle d'enthousiasme. > T. II, p. 384, La Guerre et la Paix.)

CHAPITRE DIXIEME.

CONCLUSION.

DU BUT ET DE LA MEILLEURE FORME DES GOUVERNEMENTS.

Plus d'un lecteur se demandera quelle est notre opinion sur le meilleur gouvernement, et ne la trouvant pas exprimée dans les termes précis où il peut la rechercher, il comparera, je l'espère, l'auteur au physicien qui, écrivant un ouvrage sur les climats, serait admis à donner des conseils de prudence aux habitants des diverses zones, en jugeant oiseux de rechercher quelle est théoriquement la meilleure et la plus digne de recommandation pour les gens sans patrie, qui ne composent pas la plus grande partie de l'espèce humaine.

Avant de se demander quel est le meilleur gouvernement, il faut rechercher en effet quel est l'objet du gouvernement en général, et ici déjà règne plus d'un désaccord.

Il y a des publicistes, parmi lesquels G. de Humboldt dans un écrit de sa jeunesse, il y a des économistes surtout, qui ont réduit la fonction du gouvernement à une mission de police. Réduite à cette tâche, la fonction du gouvernement serait si simple que les formes politiques seraient toutes presqu'indifférentes.

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