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et conservant, autant que possible, un assentiment public général pour ses actes; mais, évidemment, cette même idée ne s'applique pas moins à un régime absolument populaire, supposant la nécessité d'un appel fréquent et répété à des plébiscites ('). De telle sorte que par le choix d'interprétations également soutenables, et suivant que l'on considère la souveraineté du peuple comme destinée à agir directement, ou comme chargée seulement de surveiller la marche du gouvernement, on risque d'incliner, peut-être à son insu, le gouvernement vers la monarchie représentative, ou vers les réalités, et à la longue, vers les formes de la République.

Telle est donc la condition des gouvernements mixtes qu'ils exigent, chez les hommes livrés aux affaires d'État, ou seulement chargés d'une influence sur l'opinion, plus de circonspection, de sagesse et de maturité peut-être qu'aucune autre profession de la vie intellectuelle et libérale. Partout où ne s'est pas formé le sens exact et ferme d'une nation sérieuse et mûrie par des expériences bien comprises, l'imagination, l'erreur et la passion peuvent mettre en jeu des forces politiques perturbatrices, incapables de prendre d'une manière durable les rênes de la société, mais destinées à la troubler et à la précipiter dans des crises violentes.

(1) Il est à remarquer que Bossuet ne séparait pas absolument la monarchie de la délégation populaire, au moins quant à son origine.

« Le peuple donne la souveraineté; donc il la possède. Ce serait plutôt le contraire qu'il faudrait conclure; puisque le peuple l'a cédée, il ne l'a plus, ou en tout cas il ne l'a que dans le souverain qu'il a créé. » (Politique de Bossuet, par Nourrisson, p. 152)

Telle a été, je crois pouvoir le dire malgré la réserve qui me retient habituellement dans les applications directes des principes que je cherche à poser, telle a été cette époque mémorable de la première révolution française, ɔù un peuple à l'imagination vive, passionné, et inexpérimenté dans la vie politique, se trouva tout à coup appelé à résoudre des problèmes sociaux, qui avaient plutôt fermenté que mûri dans les esprits, alors que les conditions de durée des formes gouvernementales étaient d'ailleurs absolument inconnues à l'opinion publique des masses, que la révolution avait improvisées souveraines.

Eclairées par des principes généraux justes et logiques dans l'ordre de la démocratie pure, mais égarées en même temps par l'inexpérience et l'ignorance la plus absolue, tant à l'égard de la nécessité des préparations historiques pour les grands changements dans la constitution d'un État qu'à l'égard des garanties désirables pour le jeu combiné des forces politiques en présence ou plutôt en lutte dans la nation; abandonnées en même temps par une aristocratie spirituelle et brave, mais dépourvue d'instruction politique et ne sachant que se partager entre l'inertie énervante des cours et le séjour modeste des champs: que pouvaient devenir, que pouvaient faire les masses populaires? Elles ne pouvaient que se perdre dans leurs propres voies, en portant dans les institutions qu'elles essayèrent de renouveler, et dans le personnel de la société qu'elles prétendaient épurer, une puissance terrible de destruction, inspirée autant par le désordre des idées que par le vertige des passions : destruction

dont les traces ne sont pas encore aujourd'hui, et ne seront peut-être pas de longtemps effacées.

Non-seulement la révolution de 1789 ne put aboutir directement à une monarchie représentative, édifice essentiellement historique, qui exige la lente cristallisation des temps calmes; mais on peut dire que depuis trois quarts de siècle la France est occupée à combiner péniblement, sous des formes et avec des ciments nouveaux, les ruines dont la fin du XVIe siècle a jonché son sol.

Plusieurs souverains ont pris en moins d'un siècle le chemin de l'exil: l'arrière-petit-fils de Louis XIV a signé du nom de Capet, le fils de Napoléon Ier de celui de Reichstadt (').

N'y a-t-il pas quelque chose de défectueux dans les idées d'un pays qui éprouve, dans une période de quatrevingts ans, tant de révolutions contraires, tout en cherchant à réaliser un idéal permanent ou à peu près tel?

Nous avons essayé par quelques lignes, trop indécises et trop vagues sans doute, d'indiquer ce qui nous manque. Peut-être les considérations, auxquelles nous nous sommes laissé entraîner, ne paraîtront-elles point renfermer une conclusion pratique assez nette. Il y a lieu cependant de les résumer en disant que l'intelligence exacte de la force et des effets de chaque principe renfermé dans un gouvernement mixte, l'attention des représentants de chacun de ces principes à le soutenir sans l'exagérer, et à se modérer sans se méconnaître, sont les moyens les plus sûrs d'éviter les

(') V. les Autographes du Musée des Archives impériales à Paris.

ruptures de l'équilibre par la prépondérance d'un seul élément, et de constituer cette œuvre transactionnelle qui, suivant le poëte, fait ressortir l'harmonie de la différence même des intérêts (').

Si ces observations générales sont justes, si elles font penser et parfois même douter, si elles provoquent la réflexion de nos lecteurs, elles ajouteront déjà par cela même quelque chose aux chances de durée du gouvernement représentatif mixte; car je regarde ce gouvernement comme une expression de sagesse et de science pratique nationale. L'ignorance et la passion sont ses plus grands ennemis.

Offrant un terrain de conciliation aux traditions de notre passé et aux aspirations de notre avenir, le gouvernement mixte, sous la forme qui nous a le plus occupé, se recommande d'ailleurs à l'attention des publicistes de ce pays sous un double aspect.

Les circonstances sociales actuelles et l'élasticité considérable de ce type politique, semblent en faire, pour un temps plus ou moins long, la forme nécessaire de notre organisation nationale. Enfin la difficulté sérieuse de le constituer, sous une forme durable dans ses bases, peut paraître à certains esprits persévérants, jaloux de contribuer à de meilleurs résultats sociaux, un motif d'attention scrupuleuse, ou si l'on veut même, quelque chose comme un attrait plus vif qui porte à étudier les principes élevés et les conditions délicates de ce mode de gouvernement.

(1)

Till jarring interests of themselves create
The according music of well mixed state.

POPE, Essay on the Man, 3° Ep.

CHAPITRE SIXIÈME

DES RAPPORTS ENTRE LA CONSTITUTION DE L'ÉTAT
ET CELLE DE LA FAMILLE.

La famille est en quelque sorte la molécule sociale. Les lois qui règlent son organisation ont une importance considérable pour la constitution de l'Etat lui-même.

Quelque indépendance que les idées modernes assurent à la conscience, la législation de la famille constitue un lien incontestable entre le gouvernement de l'Etat et les idées fondamentales de la morale religieuse.

L'unité et, dans certaine mesure, l'indissolubilité du mariage constituent le trait d'union entre les croyances d'un pays et sa législation civile.

La plupart des Etats civilisés modernes ont cessé d'avoir une base religieuse exclusive. Sur la question du mariage, ils ont tous cependant une législation déduite de la tradition mosaïque et chrétienne, comme par leurs règles sur le serment politique et sur le serment judiciaire, ils conservent une législation véritablement théiste.

Chose remarquable, la famille, qui marque ainsi dans son organisation le caractère religieux de

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