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j'espère qu'il ne paraîtra pas trop ambitieux. Mes recherches sont consacrées à la science politique. Considérant cette science dans ce qu'elle a de plus général, et cette science elle-même ne pouvant se séparer de la sagesse, j'avais d'abord voulu adopter le mot de philosophie politique, renouvelé il est vrai des Grecs (), mais autorisé par des intermédiaires respectables, dans des recherches analogues aux miennes quoique notablement différentes (2). Il y aurait à coup sûr autant de motifs pour justifier l'expression de philosophie politique que pour légitimer celle de philosophie de la guerre, employée par des écrivains de nos jours. Je me suis arrêté toutefois à un titre plus modeste dans un sens, et peut-être plus exigeant dans un autre.

Je serais heureux si je pouvais avoir seulement fait entrevoir aux hommes nouveaux, avides de s'instruire, comme à ceux qui se reposent après les orages de la vie publique, les principes de la science telle que j'ai pu la comprendre et que la définissait Macaulay avec un peu d'optimisme, mais avec un fonds de vérité sereine qui doit dominer les déceptions et les découragements :

. Cette noble science, qui est aussi éloignée des

(') Cicéron, de l'Orateur, liv. III, ₫ 28, nous apprend que les philosophes péripatéticiens avaient été autrefois nommés par les Grecs philosophes politiques. (Politici philosophi appellati universarum rerum publicarum nomine.)

(2) Voir le titre de l'ouvrage de Paley, classique à l'Université de Cambridge.

sèches théories des sophistes utilitaires que des petites règles, si souvent prises pour l'habileté de l'homme d'Etat par des esprits rétrécis dans les habitudes de l'intrigue, de l'agiotage ou de l'étiquette officielle: qui de toutes les sciences est la plus importante pour le bonheur des nations: qui de toutes les sciences tend aussi le plus à développer et à fortifier l'homme qui tire sa nourriture et son ornement de toutes les parties de la philosophie et de la littérature, et qui rend en retour la nourriture et l'ornement à toutes ('). »

(1) Miscellaneous Writings, t. Ier, p. 321.

PRINCIPES

DE LA SCIENCE

POLITIQUE.

CHAPITRE PREMIER.

PRINCIPES FONDAMENTAUX DE LA CONSTITUTION DES SOCIÉTÉS ET CLASSIFICATION DES GOUVERNEMENTS.

La société humaine est fondée à la fois sur le besoin le plus impérieux et sur l'intérêt le plus évident de tous ses membres.

A ne considérer que la condition physique de l'homme, sa faiblesse et sa misère lors de sa naissance, la lenteur de son développement, les conditions à l'aide desquelles il peut procréer et élever sa postérité, la brièveté de son âge de force, les tristesses de sa décrépitude, il nous apparaît comme dépendant de ses semblables. L'individu a besoin de la famille, la famille a besoin de la société, non-seulement pour résister à l'action destructive des éléments et pour améliorer son existence physique, mais encore pour marcher au perfectionnement et au progrès.

Aussi le pacte social, pour reproduire une expression souvent employée, est-il généralement un pacte tacite, imposé par des circonstances si impérieuses qu'il n'a été jamais débattu sur une grande échelle ni même réfléchi.

L'enfant qui vient de naître n'est pas libre de discuter le pacte qui l'unit à sa famille, l'artisan ou le laboureur n'est pas libré, surtout dans les conditions de l'existence sociale ancienne, de discuter le pacte qui l'unit aux concitoyens de sa ville ou de son hameau; le citoyen plus fortuné même est rarement libre de quitter une patrie dont les institutions lui déplaisent, et s'il le fait, il est obligé le plus souvent d'adhérer d'une façon muette et absolue aux règlements de celle qu'il adopte.

Le pacte social est l'expression d'un rêve, si on veut lui donner une signification historique tant soit peu large: il est surtout l'indication d'un idéal pour lequel des philosophes ont imagé une société qui, discutant toutes les conditions de son existence, ouvrirait en même temps à tous ses membres le droit d'adhérer à ses institutions ou de choisir une autre patrie. Conçu dans ces termes, le pacte social n'existe nulle part dans la parfaite expression de sa liberté.

J'ignore si dans les institutions les plus démocratiques le droit permanent pour toute individualité et toute famille, pour toute commune, pour toute province, de s'isoler de la société générale dont elles font partie, a été jamais consacré ou pratiqué. Quelques cantons suisses se sont fractionnés. Je doute que les nouvelles organisations détachées du groupe persistant

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